Sahara 8. La colère du désert
carouille
Daniel veut redémarrer, mais impossible. Le vent le fait tomber, et il doit se résigner à attendre. Il fait un trou dans le sable et se soumet à la tempête. Vers 15 heures, une accalmie lui permet de rouler encore un peu. Mais il ne voit plus la piste, le ciel est voilé, le soleil éteint. Après avoir été renversé deux fois par le vent, il s'arrête à la balise 100. Grelottant de froid, il s'enterre dans le sable.
Le jour du 26 février se lève sur une tempête toujours aussi furieuse. Un car de la Transsaharienne conduit par Néouze s'arrête vers 7h30, et Daniel se résout à profiter de la TSF pour demander du secours à Reggan. Sa machine est incapable de rouler, le moteur empli de sable.
Ce même jour dès 8h30, le docteur Malachowski et un chauffeur de la Transsaharienne, René Martinez, sont dans la chambre du radio. Ils attendent de recevoir des nouvelles de Douard grâce à Néouze. Mais la tempête de sable est telle qu'il est impossible de savoir si les messages pourront passer. La journée est longue, et silencieuse. Dans la soirée, ils reçoivent un SOS d'un aviateur perdu hors de la piste quelque part entre Bidon V et Reggan. Martinez se ronge les poings. Le gérant lui a dit de partir à sa recherche s'ils n'avaient aucune nouvelle à 9h. Et Martinez doit être à Béchar sans faute 48 h plus tard, pour assister au baptême de sa nièce dont il doit être le parrain.
A 8h30, enfin, la voix hachée de Néouze filtre : « Douard bloqué vent sable balise 100. Bonne santé ». Rassuré, le docteur Malachowski décide de s'armer de patience. Mais Martinez connaît le désert et ses terribles tempêtes. La météo annonce des vents au sol de 80 km/h, des vents chargés de millions de grains de sable. Alors à 10h, il craque, télégraphie à Béchar qu'il faut annuler le baptême, et prend la direction du Sud pour aller au secours de l'aviateur perdu ; il prend aussi des vivres pour Douard. La journée s'écoule, dans l'attente. A chaque sortie, il faut s'équiper de lunettes, se cacher dans un chech, et affronter l'enfer.
Daniel reste prostré dans sa couverture, tentant au mieux de se protéger des rafales de vent qui le criblent de sable. Et il attend. Cette fois même sa ténacité est impuissante à lutter contre un tel déchaînement. A 14h, nouveau bruit de moteur. Martinez s'arrête pour lui donner un peu d'eau. A la recherche de l'aviateur perdu, même lui, qui connaît les pistes comme les lignes de sa main, a peur de se perdre.
Notre aventurier reste à nouveau seul dans la tempête. Les yeux, le nez et la bouche le brûlent. Ses vêtements emplis de sable sont insupportables contre la peau. Il tente de s'enterrer sous la balise, puis se fabrique un abri de fortune avec des tôles coincées entre des cailloux. La journée sombre et morne se passe, puis vient la nuit. Attendre dans le hurlement du sable, c'est tout ce qu'il peut faire.
Au dîner, à 100km de là, le planteur belge Gillieaux n'en peut plus. Il annonce au docteur son intention de partir dès le lendemain à 4h pour porter secours à Douard. Il décide d'emmener son mécanicien pour le cas où la machine serait réparable sur place.
Et dès le lendemain, le voilà parti. A ce jour, ils sont 6 dehors en pleine tempête de sable : Gillieaux avec son chauffeur et le mécanicien, Martinez avec son camion, Douard à la balise 100, et l'aviateur dans un endroit inconnu. L'angoisse du docteur Malachowski grimpe encore. Et si quelque chose arrive à Daniel ? Ce serait à lui d'apprendre la nouvelle à ses parents, de faire face à leur douleur. Il se sent responsable.
Le matin du 27 février, après deux jours passés seuls dans la tempête, Daniel se réveille à 7h du matin. Il grelotte de froid, et regarde d'un air désespéré l'opacité sableuse qui le cerne toujours. Il tente encore de démarrer son moteur, mais le vélomoteur engorgé de sable ne veut plus rien entendre. Daniel n'a pas peur, il a connu une telle tempête en 1935 quand il était chauffeur de la Transsaharienne. Non, ce qui le rend fou, c'est cette inaction, et son vélomoteur en panne. L'arrivée de Gillieaux est une vraie délivrance. La tempête commence à se calmer, et sur le chemin jusqu'à Reggan, il peut enfin voir le soleil, pour la première fois depuis trois jours. Daniel a le cœur lourd, il est obligé d'abandonner sa machine. Martinez la récupérera au retour avec son camion. Arrivé à Reggan, accueilli à bras ouverts par le docteur Malachowski et les camarades de la Transsaharienne, Daniel peut enfin prendre une douche : la première depuis onze jours !!
Le lendemain, 28 février, il prend un peu de repos bien mérité en déambulant dans la palmeraie. Un bruit de moteur annonce l'arrivée d'un avion. L'aviateur suisse perdu dans la tourmente a profité de l'accalmie pour retrouver son chemin jusqu'à Reggan. Il ne reste plus dehors que Martinez, perdu dans l'immensité du désert, et toujours à la recherche du rescapé.
Enfin le 1er mars, la tempête s'achève. Et à 11h du matin, Martinez rentre à Reggan, avec la précieuse machine à bord de son camion. Aidé de l'aviateur et du mécanicien du bordj, Daniel démonte entièrement le moteur du vélomoteur pour le vider de son sable. Certaines pièces sont tellement grippées et coincées qu'il faut les dégager à coups de marteau ! Enfin à 23h45, la petite machine ronronne à nouveau. Daniel décide de repartir dès le lendemain.
Le 2 mars, Daniel fait viser ses feuilles de route par le chef de poste et démarre à 7h45. Enfin le vent est calmé. Mais la poisse s'attarde. Après seulement 1km, la chaîne du vélo saute, à cause de l'écrou desserré du moyeu arrière. Daniel repart et parcourt finalement 146 km jusqu'à Adrar, où il arrive à 13h10. Martinez et le docteur Malachowski l'attendent, et l'aident à refaire le plein. Martinez déposera sur la route des réserves d'essence supplémentaires, car le moteur du vélo, usé par ces épreuves, consomme de plus en plus. A l'hôtel où il prend un temps de repos, Daniel croise le cinéaste Gilbert, auteur du scénario de la Piste du Sud, et compatriote originaire de Châteauneuf-sur-Loire. Il lui a servi de chauffeur en 1935.
Il fait signer sa feuille de route par le capitaine Gellion et repart à 16h45. Il veut parcourir les 40 km qui le séparent de l'oasis de Sba. L'ensablement de la piste le contraint plusieurs fois à pousser sa machine, mais il arrive à 18h30. Invité par le caïd de l'oasis, il mange un couscous et du lait aigre, et change l'eau de ses réservoirs. Sba est connue pour les foggaras qui drainent l'eau claire et limpide vers les oasis alentours. Il est invité à dormir dans un abri en terre sans porte ni fenêtre, pris dans les courants d'air, mais ne parvient pas à trouver le sommeil. Les indigènes rassemblés autour du feu boivent le thé, et Daniel accepte leur invitation à le partager pour se réchauffer un peu. Puis il regagne son abri et s'endort enfin.
Le 3 mars, il se réveille transi de froid, et se réchauffe encore une fois en courant un 100 mètres. Le soleil dépose des couleurs aériennes sur les rochers. Mais Daniel sent son impatience se tendre, veut avancer. Après tous ces retards, toutes ces épreuves, il veut en finir. Il boit un thé à la menthe et repart sous les salutations des indigènes « Emchi Bess Lam ! In cha-Allah ! ». Il dévore la piste assez roulante ce matin-là malgré des passages de tôle ondulée qui le font une fois de plus sauter dans tous les sens. Quand il s'arrête, ses poignets lui font mal à force d'amortir les secousses, et il découvre que sa sacoche de cuir crevée à laisser échapper la moitié de ses outils. Il ramasse ceux qu'il retrouve et abandonne toute idée de recherche. Une tension intérieure l'habite. Il veut avancer. Arrivé au vieux bordj de Foum-el-Kréneg, il s'arrête pour récupérer 5L d'essence et des conserves déposées par le docteur. Et dans son impatience, refuse le thé offert par le gardien. C'est négliger l'hospitalité du bled, et Daniel a conscience de le froisser. Mais il éprouve ce sentiment d'urgence. Avancer, il doit avancer, il n'a plus de temps à perdre. Il repart.
La chaîne saute. Le petit pignon d'entraînement est usé, mais impossible de le changer puisque les clés sont perdues quelque part dans le sable. Il continue.
Le volant magnétique se dérègle.
La chaîne saute encore une fois.
Et enfin une crevaison. Qui l'immobilise pour la nuit. Ce n'est que la 10ème depuis son départ. Abattu, Daniel ne peut rien manger ni boire. Grelottant de froid, il doit faire son lit d'un sol tapissé de gros cailloux noirs. La nuit est longue. Plusieurs fois, le froid le réveil et l'oblige à courir pour se réchauffer.
Le 4 mars, dès 6h, il est au travail pour achever sa réparation. Mais le moral n'est pas au rendez-vous, Daniel a le cafard. Après avoir réparé la chambre à air, il reste inquiet. La jante arrière est bosselée en de nombreux endroits, et le vélomoteur ne démarre qu'après plusieurs ratées.
Il affronte la montée du col 15 en poussant son vélo pour parvenir jusqu'à la crête. La pente est aigue, et il doit lutter contre l'éboulement des cailloux et les passages de sable pour parvenir au sommet. Et là, c'est la bougie qui doit à nouveau être nettoyée.
Vers 10h30, il croise de nouveau l'équipe de cinéastes de la Piste du Sud, et Albert Préjean insiste pour le filmer afin de l'incorporer à un documentaire.
A 12h30, Daniel récupère l'essence laissée à l'aller à Timoudi, et se sent à nouveau plein d'espoir. Devant lui s'ouvre entre deux chaînes de montagnes le terrible couloir de La Gardette. Il espère pouvoir le franchir avant la nuit. Mais la piste est rude et caillouteuse, et bientôt c'est à nouveau la crevaison, la 11ème. Cette fois le mal est plus grand. La jante est tellement bosselée que le pneu est complètement sorti. Deux fois encore il devra s'arrêter pour le replacer dans la jante. Quand la nuit tombe, il s'arrête au milieu du couloir. Les roches de part et d'autre au-dessus de sa tête semblent sur le point de basculer dans le vide. Tout petit dans ce décor minéral en dégradé de noirs et de violets, Daniel se contente de boire quelques gorgées d'eau pour son diner. Et s'étend sur de grosses roches pour dormir. Au moins la température est-elle plus clémente ici, les montagnes arrêtant le vent. Aujourd'hui, il a parcouru 130 km.
Le 5 mars à 6h, Daniel ramasse ses affaires et démarre, le ventre noué par l'angoisse. Il peut lire dans chaque déformation de la jante la catastrophe qui s'annonce. Une heure plus tard, la chambre à air éclate de nouveau, et sort à moitié du pneu déjanté. Il redresse comme il peut la jante au marteau, mais il sait que la fin approche. Il réussit à franchir les montagnes, et retrouve une piste meilleure.
A 10h, l'inévitable arrive. La chambre à air crève une fois de plus. La jante est désormais trop déformée pour retenir le pneu, et de toute façon il n'a plus de chambre à air de rechange. Il aura crevé 13 fois depuis le début de son raid ! Mais cette panne ultime l'oblige à abandonner.
Perdu au milieu du désert, il lui reste quelques dattes et un litre d'eau pour attendre les secours.
Il est midi. Un soleil intense brille. Daniel décide de grimper sur un des sommets qui l'entourent et entame l'escalade. Parvenu en haut, il a la vision inoubliable et bouleversante des dunes du Grand Erg Occidental qui déroulent leurs couleurs fantastiques à l'infini. Et devant ce paysage magnifique, Daniel s'abandonne.
Il a parcouru 74km depuis le matin.
1930 km depuis Gao.
Il est à 250 km de Colomb Béchar.
Et c'est là que son aventure s'arrête.
Il passe la journée à attendre près de son vélomoteur éreinté. Il guette les nuages de poussière qui jouent avec ses nerfs. Jusqu'à ce que la nuit tombe.
Le 7 mars, l'attente reprend. Et enfin apparaît le car de la Transsaharienne revenant d'Adrar. Daniel charge sa machine dans la soute et grimpe dedans. Alors que les kilomètres défilent, il reste songeur. L'amertume le prend de devoir terminer ainsi, même s'il puise quelque réconfort dans la conviction d'avoir donné le meilleur de lui-même. Après un arrêt à Béni Abbès, le car repart pour Béchar. Et Daniel se demande soudain si la poisse le quittera un jour, car le car tombe en panne à son tour, alors que le chauffeur est terrassé par une crise de paludisme ! Fidèle à son serment, Daniel refuse de faire demi-tour. Il s'occupe de réparer la panne (plus de 5h de travail !) et reprend le volant malgré son propre épuisement. Mais deux fois de plus le car tombe en panne, et à cours de pièces de rechange, il doit stopper définitivement à minuit, à 8 km de Taghit, la perle du Sahara. Réveillé à 6h par le froid, Daniel et l'un des voyageurs gagnent Taghit par une marche forcée de plus d'une heure. Dès 15h, le service de dépannage est passé, et enfin Daniel arrive à Béchar à 19h.
C'est la fin du raid transsaharien.
Il est accueilli par le docteur Malachowski, par des officiers de la garnison, des camarades…Tout le monde s'empresse autour de lui, demande des autographes. Une bonne douche et un peu de repos le remettent sur pied. Et il doit affronter les visites officielles. Mais il reste dérangé par ses cheveux en pétard qui témoignent de son aventure. Le mécanicien tente une coupe armé de sa tondeuse, mais le résultat est catastrophique. Du coup c'est au docteur Malachowski de tenter de reprendre les choses en mains, avec toujours aussi peu de succès. Heureusement, alors qu'il lui reste encore un peu de cheveux sur la tête, débarque l'aviateur qui s'était perdu dans la même tempête de sable que lui. Dans le hall du bordj, Daniel, garde républicain en uniforme, enveloppé d'un peignoir, reçoit la tête sagement baissée, une coupe de cheveux digne de ce nom des mains d'un aviateur suisse chevronné, ingénieur de renom et coiffeur improvisé. Il faut être dans le bled pour trouver naturel des spectacles pareils ! Plus tard le docteur Malachowski recevra une photo de la scène avec un petit mot de l'aviateur : « Voyez-vous, les ciseaux, ça a toujours été mon violon de…comment s'appelait votre grand peintre ? ».
Daniel a passé 16 jours et demi et 14 nuits dans le désert.
Parcouru 1930km.
Il a exécuté ce raid sans aucun entraînement préalable.
Il est le premier à avoir osé cette aventure seul. A avoir presque réussi la traversée du Tanezrouft en solitaire.
Seul, à ne pouvoir compter que sur lui-même, loin de tout secours, de tout être humain. A des centaines de kilomètres.
Le résultat concret de cette aventure est la démonstration du postulat de départ posé par Daniel lui-même : le Sahara accessible à un véhicule léger. La lettre officielle de félicitations écrite par le président du Conseil, ministre de la Défense nationale et de la Guerre, parle d'un « exploit remarquable ».
« Et maintenant s'il faut une conclusion à ce carnet de voyage, ma vocation première n'étant pas d'écrire, j'irai la chercher prochainement dans le bled. »
Eh ben... quel suspense ! Moi, j'y croyais à fond qu'il y arriverait... mais bon... En tous cas, c'était plus qu'un récit, presque un film ! Bravo :-)
· Il y a environ 9 ans ·Yeza Ahem
:)) Et tu sais quoi ?? Plus qu'un film, la réalité !! Promis, va lire Sahara 9, tu verras :)) merci de ton passage yeza :))
· Il y a environ 9 ans ·carouille
J'espère pouvoir prendre vite le temps de le lire :-)
· Il y a environ 9 ans ·Yeza Ahem
Je pense que le mot final va nous en apprendre encore plus. Ce fut un régal d'avoir parcouru cette traversée que tu as détaillée remarquablement. Tu ne serais pas historienne par hasard ?
· Il y a environ 9 ans ·erge
....de l'art, monsieur l'ours ;)))
· Il y a environ 9 ans ·carouille
Il n'est jamais tard pour commenter ton art !:)
· Il y a environ 9 ans ·erge
Mais tu as l'art et la manière de le faire ;))
· Il y a environ 9 ans ·carouille
je n'ai que la tanière !
· Il y a environ 9 ans ·erge
Avec des peintures rupestres ??;)
· Il y a environ 9 ans ·carouille
peintes avec mes mains ou mes pattes ! :))
· Il y a environ 9 ans ·erge
Je t'envoie une équipe d'experts tout de suite !!! C'est une révolution dans l'histoire de l'art !!! ;))))
· Il y a environ 9 ans ·carouille
Plutôt une évolution car un ours polaire perdu dans le désert, c'est un présage ...
· Il y a environ 9 ans ·erge
Ouille !! ;(( là c'est déprimant !! Toute façon si tu avais vraiment été là, Daniel, tu l'aurais mangé !!! Et mon histoire aurait été bien différente....;))
· Il y a environ 9 ans ·carouille
L'histoire aurait été autrement. Pas forcément comme on l'attend...c'est le principe des belles histoires d'avoir des fins inespérées...
· Il y a environ 9 ans ·erge
:)))))))
· Il y a environ 9 ans ·carouille
Superbe et précis !!! Bravo !!
· Il y a environ 9 ans ·Patrick Gonzalez
Merci ;)) ne restera plus qu'à mettre en préambule ton poème sur les dunes ;)))
· Il y a environ 9 ans ·carouille
;-))
· Il y a environ 9 ans ·Patrick Gonzalez
Oui un exploit remarquable ! Merci de nous avoir fait partager ce périple et voyager dans le Sahara. Bravo Daniel !!
· Il y a environ 9 ans ·ade
:)) le mot de la fin demain soir :))
· Il y a environ 9 ans ·carouille
Cooollll :)))
· Il y a environ 9 ans ·ade
Waoouh, quelle aventure
· Il y a environ 9 ans ·chloe-n
N'est-ce pas ?? Chapeau Daniel quand même hein :)))
· Il y a environ 9 ans ·carouille