Sain Thomas Taquin

petisaintleu

Aujourd'hui, il me brûle de vous conter la vie du sain Thomas Taquin. D'un caractère inquisiteur dès sa plus tendre enfance, il attrapa sa première crise de foi à cinq ans à cause d'un rôtisseur peu regardant sur la qualité de sa viande. Cet incident fut suivi quelques semaines plus tard des méfaits d'un boulanger. De retour de Jérusalem, il rapporta du sarrasin ainsi que du seigle et par la même occasion le feu de Saint-Antoine. Dès lors, Thomas entra en croisade, sans autre forme de procès, contre les administrés de sa ville, Albi.

Il n'était pas du genre à se coincer la bulle et prit l'initiative de leur montrer de quel bois il se chauffait. Il y eut bien quelques protestants. Il les libéra de leurs états d'âme par la catharsis – histoire qui sera reprise par Tom Wolfe dans son roman Le Bûcher des vanités. Les esprits chatouilleux pourraient s'insurger contre ces pratiques peu catholiques. Au diable l'orthodoxie (dans le cas contraire, il aurait sans doute opté pour la roulette russe, mais le revolver n'avait pas encore été inventé) ! Je dois vous faire l'aveu que je n'y vois que de la compassion, la morsure d'un brasier étant préférable à la croix de Saint-André.

Dès lors, sa nature hermétique le poussa à la recherche d'un absolu : faire bon office de ses pratiques pour séparer le grain de l'ivraie. Parvenu à la trentaine, le moyen âge à une époque où on était considéré comme un vieillard à quarante, il se fit d'humeur plus massacrante. Il faut bien avouer que faire pénitence n'est pas tous les jours chose facile. Il se sentait souvent seul pour accomplir son œuvre et il n'avait guère l'occasion de papauter, le Saint-Père se trouvant à des semaines de marche.

Besogneux – il était un bourreau de travail –, il se fit une réputation dans tout le Sud-ouest, de Toulouse à Montségur. Par son insatiable curiosité, il adorait soumettre toute la région à la question, de l'ordinaire à la plus extraordinaire. Ainsi, bien que cachottier, il parvint à se faire des aficionados. Dans certaines bourgades, son passage tournait à l'hystérie et il se fit des apôtres qui devinrent ses plus ardents fanatiques, bien que soumis au feu des critiques d'obscurantistes et dogmatiques sectaires. Comment les condamner ? C'eut été dénoncer leur zèle qui servait sa cause et il ne pouvait leur en tenir rigueur. Il avait lui aussi la foi grasse et ça ne le gênait pas de les gaver de sermons.

Il les nourrissait au missel, ce qui avait pour conséquence de les abreuver d'une inextinguible soif de connaissances. Toutefois, ce n'était pas encore l'auberge espagnole, la péninsule ibérique se trouvant sous le joug mauresque. Il faudra patienter plus d'un siècle pour que Bob, un mercenaire dominicain, la débarrasse des mahométans et convertisse les marranes au catholicisme (les plus rétifs préférèrent l'exil ; on les retrouva jusqu'en Indochine).

Ne l'accusez pas de prosélytisme. Ce serait faire preuve à son égard d'une injuste persécution. Lui qui donna sa vie au Christ, ce serait le clouer au jugement ou à la censure de notre monde contemporain. Replaçons le dans le contexte de son siècle et reconnaissons que lui-même fut soumis dans son esprit à la torture, prisonnier du cruel dilemme de conduire l'Homme sur le chemin de la rédemption par des voies, il est vrai, peu amènes.

Je me refuse de le condamner à des poursuites en révision qui nous amèneraient à prononcer une sentence séculière. Laissons à Dieu le soin de lui octroyer sa miséricorde ou la géhenne.

Que reste-t-il de ses préceptes ? Devenus gênants quand les Temps modernes se firent jour et concurrencés par les jésuites, ses adeptes furent à leur tour victimes d'une inquisition. Pour mémoire, on pourra retenir l'édit Mitchell de 1624 qui les condamna à l'exode vers les Amériques. Mais ils s'étaient forgé un caractère à toute épreuve. Ils auraient pu disparaître face à cette chasse aux sorcières. Il se serrèrent les coudes contre le coup de blues et une communauté prospère finit par s'installer dans ce qui est aujourd'hui le Tennessee, à Nashville.

Signaler ce texte