Sainté tu me rends fou, (je t'aime moi non plus)...

mikmirak

Texte écrit pour le concours "#Stéphanoisfiers"

Sainté tu me rends fou, (je t'aime moi non plus)..


     Les Verts, la Mine, Manufrance, le chanteur aux biscottos là.. eh oui, Lavilliers bien sûr. Saint Étienne pour moi c'était à peu près ça.
     La mine ça me parle. Je suis originaire de Motherwell dans le North Lanarkshire à vingt kms au sud-est de Glasgow. Le plus gros gisement de minerai de fer à ciel ouvert d'Europe, trois fonderies et des milliers d'emplois dans les activités connexes. Ça c'était avant Thatcher. Des mines de charbon aussi dans tous les villages autour qui se sont peu à peu épuisées après guerre. Mon grand-père maternel était mineur à douze ans, mort quand j'avais deux ans de la silicose. Je ne me souviens pas de lui mais ma mère me racontait des anecdotes à son sujet.
     Le foot aussi ça me parle. Dans la famille on est Glasgow Celtic. Non pas ceux des poteaux carrés qui ont battu les Verts en finale en soixante-seize, eux c'est les Glasgow Rangers, leurs couleurs, rouge blanc et bleu. Nous c'est le maillot vert et blanc avec un écusson en or pour rappeler la terre de nos ancêtres et une coupe d'Europe gagnée en mille neuf cent soixante sept. Les irlandais sont arrivés en masse en Écosse durant la famine des années dix-huit cent soixante et jusque dans les années vingts. Ils se faisaient cracher dessus dans la rue me disait ma grand-mère et un grand nombre d'entre eux ne parlaient pas l'anglais.
     J'étais donc curieux et excité de venir pour la première fois à Saint Étienne. Par un coup de bol extraordinaire mon groupe de musique avait été sélectionné pour jouer en clôture le dimanche à dix-huit heures, au festival «  Les roches Celtiques  ». Le festival se déroule au lieu dit «  les Condamines  »* tout près de St Victor sur Loire. Les balances* étaient prévues à midi. La veille nous avions joué à St Pal de Mons à trente kms de là et la fête s'était prolongée jusqu'à 6 h du matin, mais on est arrivés quand même à l'heure prévue. Les organisateurs nous avaient réservé des chambres au Cheval Noir, un hôtel situé rue François Gillot dans le centre ville de Sainté (depuis notre arrivé sur site j'avais vite compris que personne ici ne disait  St Étienne), et une fois les balances terminées, vu qu'on avait du temps à perdre, on a décidé de s'y rendre pour faire une courte sieste. cinq cents kms la veille et une mega fête-concert, on en avait besoin tous les trois.
     Le trajet paraissait simple, La Roche Molières puis tout droit direction St Étienne centre-ville. On n'a pas de GPS dans notre voiture, mais je m'enorgueillis d'avoir un bon sens de l'orientation et j'avais un plan de la ville à l'arrière de mon «Atlas des routes de France».
     On part  : St Victor La Roche, pas de problèmes, de là on prend la D3, un grand rond point et tout droit. On nous avait dit «suivez les panneaux pour le Musée de la Mine», sauf qu'on n'en voit aucun. Je vois bien qu'on descend sur Sainté mais où est le Musée de la Mine  ? D'après la carte on va arriver à un moment sur le boulevard Pierre Mendès France et puis prendre la deuxième à gauche avenue  Augustin Dupré, mais on est dans quelle rue? «Hé les gars, faut regarder les panneaux, j'peux pas et conduire et regarder les panneaux! - mais on fait que ça! Ya pas d'panneaux!».
     Finalement on voit un panneau de nom de rue  : rue Pierre Senard. On s'arrête comme on peut et je consulte la carte. Je vois que la rue Pierre Senard est dans la continuité du boulevard Pierre Mendès France. Demi-tour et on repart vers le nord et je dis au gars que là il faut-être super vigilant, d'après moi c'est la quatrième à droite, donc à partir de la troisième on roule tout doucement. «C'est quoi le nom de cette rue?  - chais pas moi, y a pas de panneaux!». Derrière nous ça klaxonne, je m'en fous. Ca doit-être ici me dit mon collègue Chris, encore pas de nom de rue, j'interpelle des passants  : «c'est bien l'avenue Augustin Dupré? - on est pas d'ici, désolé  ». Engage toi me dit l'autre collègue Lulu, mais non je leur dis, vous avez bien vu la carte, il n'y a que des sens interdits, je veux savoir où je suis avant de m'engager. On s'engueule, ça klaxonne derrière et je décide de continuer sur la rue Mendès France. Un panneau, rue Auguste Rateau.
     On s'arrête encore, la carte nous dit qu'on a dépassé Augustin Dupré d'une rue mais si on s'engage dans la rue Auguste Rateau on prend à droite en bas de la rue et on se retrouve rue Tarentaize et là on file tout droit jusqu'à la Comédie, avenue Président Loubet et là on est au moins dans le vrai centre. On s'engage dans la rue Auguste Rateau pleins de joie et on arrive en bas. «Merde, on peut pas tourner à droite, pourtant c'est pas indiqué sur la carte que c'est sens-interdit, c'est quoi cette merde!». La carte. C'est bon, si on prend à gauche puis la première à droite rue Aristide Briand jusqu'au bout on sera à cent mètres de l'hôtel. On descend la rue jusqu'à l'intersection de la rue de la Résistance et on se retrouve face à une de ces bites pour lesquels il faut un bip. Pas d'autre choix que de tourner à gauche et puis encore à gauche rue d'Arcole, mais là on se dirigeait dans le mauvais sens. Encore la carte, là je vois que si on prend la quatrième à gauche, rue Elisée Reclus et qu'on la suit, on arrive rue Michel Roudet, puis à gauche et on débouche sur la rue Tarentaize dans le bon sens pour arriver à la Comédie.
     Maintenant le trajet paraissait simple, boulevard du président Machin, rue du Théatre, rue Ronsard, cours Victor Hugo, simple et poétique. S'en suit gauche, gauche, droite, droite, gauche, gauche et gauche et dodo. Mais quelque part on a dû se tromper, je pense qu'on a raté la rue Ronsard.
     Une heure-trente qu'on était partis de St Victor, je me disais qu'on ferait mieux d'abandonner et de retourner au festival, mais en même temps on était si près du but. Même si on ne faisait qu'une heure de sieste ça suffirait à nous requinquer. L'autre alternative aurait été de larguer la voiture dans la première place de parking disponible et de continuer à pied mais on avait quelques milliers d'euros de matériel de sonorisation dans la voiture et l'hôtel avait son propre parking fermé.
     On n'était plus dans l'hyper-centre mais cette fois-ci je suis descendu de voiture avec la carte pour demander notre chemin. Là c'est simple, on me dit, tu continues tout droit dans la rue des Francs Maçons et quatrième ou cinquième à gauche rue Mulatière, tu files tout droit jusqu'au tram et là tu tombes avenue de la Liberté. Ok, cool, super, géniale, à partir de la je m'en sors, je lui dis. Finalement après quelques turpitudes supplémentaires, genre marche arrière dans le trafic, cinquante mètres de sens-unique à contre-sens, nous sommes arrivés au Cheval Noir. Du personnel prévenant  ; deux chambres confortables et vingt minutes de sieste. Retour St Victor.
     La sortie de la ville s'avérait bien plus simple que l'entrée. Ensuite, super concert. Le public était clairsemé car l'après-midi tirait à sa fin et nous étions le dernier groupe à passer mais il a super bien réagi. Je ressentais une vraie chaleur humaine, proche de celle que je retrouve chez moi dans le Lanarkshire. Tout était bien  : le site, un peu comme un théâtre de verdure immense avec la scène en contre-bas  ; les techniciens, ils nous avaient fait un super son  ; et nous on avait été bons, ce qui n'allait pas de soi car Lulu le batteur n' avait jamais joué avec nous auparavant et nous à rejoint 4 jours avant le festival.
     Le concert fini, on a mangé avec toute l'équipe du festival dans une ambiance détendue, sans doute le résultant du sentiment d'un travail bien fait par tous. Les au-revoir faits et deux bouteilles de champagne en cadeau, j'étais impatient repartir et de me lever le lendemain matin afin d'aller flâner en ville pour sentir un peu le pouls de cette cité. Mais d'abord il fallait s'y rendre!  Bien sûr à table on avait raconté nos péripéties et Florence, qui nous avait accueillis au festival, nous conseilla de nous rendre en ville plutôt par la N88 et de prendre la sortie centre-ville qui nous amènerait  sur le cours Fauriel et de là on devrait mieux s'en sortir.
     A peine partis et un voyant rouge s'alluma sur le tableau de bord. La batterie. Arrêt. Sous le capot.. l'alternateur* avait rendu l'âme. On avait le temps qu'il faudrait d'ici que la batterie se vide pour se rendre jusqu'à l'hôtel. On repart, sortie centre-ville, mais là subitement les panneaux indiquant le centre avaient disparu. Déjà la lumière des phares commençait à baisser. Pour économiser la batterie on se mit en veilleuse et au lieu d'utiliser les clignotants on sortait les bras de la vitre pour indiquer droite ou gauche. De nouveau on était perdus mais heureusement tout le monde connaissait le cours Fauriel. On voulait se rendre au lycée Fauriel car de là il suffisait de monter tout droit pour tomber sur la rue de la République puis l'hôtel rue François Gillot. La carte nous indiquait de suivre le cours Fauriel qui devient Gustave Nadaud puis Hippolyte Sauzea. On y était presque. «Non, c'est pas possible, Hippolyte machin c'est sens-interdit!». On s'est retrouvé obligés de prendre à droite sur la rue Etienne Minard, fermé à gauche pour travaux. C'était comme une force centrifuge, plus tu te rapproches du centre, plus tu te fais expulser vers la périphérie.
     On a erré à droite à gauche, pour la énième fois on a demandé notre chemin : «Oui je connais, c'est la rue juste derrière l'église là-bas, mais pour y aller en voiture, alors là....». Je commençais a bouillir, putain de ville de merde je criais, j'ai fait Paris, Londres, Bruxelles en bagnole et j'ai jamais rien vu de pareil. Pourquoi on n'a pas de GPS? Oui je sais, on est tous trois des sous-smicards avec des familles à nourrir, mais si on s'était cotisés..
     De nouveau j'arrêtais un passant, mon désespoir devait se lire sur mon visage car le gars a proposé de monter avec nous pour nous y emmener. Faute de place Lulu est passé derrière sur les genoux de Chris et Hamid est monté devant. Il nous a emmené à bon port et pour le remercier j'ai dégotté un de nos cd du coffre.
     Une fois installés de nouveau à l'hôtel on a débouché le champagne et la pression est lentement retombé.

Le lendemain on est retourné à St Pal de Mons pour déjeuner avec la patronne du bistrot où on avait joué l'avant veille. Elle nous a expliqué que St Pal est encore dans le Velay mais assez proche de Firminy et Sainté, beaucoup d'hommes y descendaient jadis pour travailler dans les mines et les industries, donc il y règne une atmosphère assez différente de celui du Velay de l'intérieur. Le Velay traîne une réputation d'être un peu conservateur, vieilles valeurs et tout ça, le climat y est rude et il y avait autrefois peu d'étrangers. Mais à St Pal ils ont eu les doubles valeurs ouvrières et montagnardes. Des montagnards cosmopolites il me semble.


     Suite à des contacts pris au Roches Celtiques, Chris et moi sommes revenus en hiver et encore deux hivers de suite jouer dans des bistrots à Sainté. Je me suis fait des amis et jusqu'à maintenant le public est super. Non seulement chaleureux mais également connaisseur. Souvent dans notre sud-ouest le public est plutôt homogène : étudiant-jeune ou alors populaire ou encore intello-bobo, mais rarement ces populations se mélangent et je n'ai pas encore évoqué les races.. J'ai l'impression qu'à Sainté, en centre-ville du moins, c'est diffèrent. Les classes sociales et les races se mélangent et se côtoient dans les bistrots. Paris aussi est cosmopolite et bien sûr dans certains bars tout le monde se retrouve sans distinctions, mais à Sainté cela me semble plus généralisé. Je ne prétends pas bien connaître la ville, mais j'ai flâné, j'ai bu le café le matin à chaque fois dans un bar différent et je me suis fait une idée.
     Le passé minier, ouvrier, jusqu'où a t'il influé le comportement des gens de cette ville? On disait qu'à la remontée des hommes de la mine tout le monde avait la même couleur noire. La race de l'homme à vos côtés comptait peu, il fallait par contre pouvoir compter sur lui en cas de pépin au fond. Les valeurs ouvrières de solidarité et d'entre-aide, tout ça c'est loin maintenant que la plupart des industries lourdes se sont délocalisées. Ces valeurs ont été transmises au fils/filles petits-fils/filles, mais dans combien de générations vont elles s'estomper?

     Lors de notre dernière visite nous avions rendez-vous à midi au musée de la Mine avec le patron du bistrot où on avait joué la veille au soir pour remplir des papiers administratifs. Il tenait une buvette dans l'arrière cour à l'occasion d'un week-end portes-ouvertes, à cette heure là le lieu était quasiment désert et il faisait un froid glacial. J'ai été saisi, je pense, par l'histoire des lieux et envahi par un flot d'émotions. J'ai pensé à mon aïeul, au hommes morts au fond, aux estropiés, aux familles.
     Le lendemain nous avions du temps et sommes revenus visiter le musée et j'ai été déçu. Dans ce que j'ai vu, nulle part était fait mention des grandes luttes ouvrières et de la pénibilité du travail. Il y avait beaucoup d'explications techniques sur l'extraction et le fonctionnement de la mine. Des dates, des chiffres, le détail géologique du bassin houiller. Intéressant oui,  mais où est l'hommage aux mineurs et leurs familles? Leur sacrifice? Certes les conditions de travail ce sont améliorées au fil des années et à la fermeture du puits en soixante-treize les mineurs avaient des acquis et des avantages, des salaires décents et des horaires supportables, mais ils se sont battus pour obtenir tout ça. Apparemment le site est exploité depuis les années dix-huit cents quarante et je pense qu'à cette époque là les conditions de travail devaient être épouvantables. Il n'en est pas fait mention.
     Oui, les conditions de visite n'étaient pas idéales pour s'imprégner de l'atmosphère du lieu, on était trop nombreux à faire la queue devant chaque étalage. La salle des lavabos où pendent les tenues de travail fait effet, ainsi que les objets patinées encore en état, mais les seules choses qui on fait remonter une émotion similaire à celui que j'avais ressenti la veille étaient les affiches où figuraient les consignes de sécurité : on comprenait à quel point ce travail devait être dangereux. Ces affiches étaient reléguées dans un couloir facile à rater. Dans une salle il y a des poèmes exposés et on peut écouter dans des casques des chansons de mineurs, mais franchement, à mon avis, les interprètes de ce que j'ai écouté n'étaient pas à la hauteur. Lavilliers aurait sans doute fait une super boulot, mais je connais des chanteurs-euses de Sainté qui auraient bien fait l'affaire.
     
     Nous avons passé moins de deux heures au musée, peut-être une prochaine fois, lors d'une prochaine visite j'y passerai plus de temps et mon avis sur le musée de la Mine changera. Cependant mon avis sur le plan de circulation à Saint Étienne ne changera pas; sans doute cela partait d'un bon sentiment : rendre le centre-ville aux piétons, décongestionner la ville etc.. Mais, il me semble qui si on confiait le projet de refaire le plan de circulation à une classe de CM1-CM2 ils n'empireraient pas la chose, peut-être même serait-ce le contraire? J'ai hâte de revenir à Sainté approfondir mes connaissances et mes amitiés, mais malheureusement mon travail fait que je suis obligé d'y pénétrer à chaque fois en voiture. Depuis ma première venu j'ai trouvé des astuces, je sais que tel lieu où je dois aller se situe à coté de tel parking qui est bien signalisé dans toute la ville et j'ai mémorisé le plan des sens-uniques de quasiment toutes les rues à l'est de la rue de la Résistance. Il n'empêche que quand je passe le périphérique pour rentrer en ville, à chaque fois j'ai des sueurs froides d'appréhension.
     Vivement qu'on devienne célèbre, on jouera au Zenith en périphérie, mais on ne fera pas autant de rencontres, on ne se fera pas d'amis, le service d'ordre nous protégera back-stage*, on ne flânera plus en ville avant et après concert.
      
      
   

*Plusieurs personnes m'ont dit que Les Condamines aurait été donné à la ville de Saint Etienne pour que les familles des ouvriers/mineurs puissent venir s'y détendre. J'ai cherché à me documenter là-dessus mais je n'ai rien trouvé.
 
*La balance audio, plus souvent appelée balance son, consiste en l'établissement de tous les réglages fondamentaux des sources sonores. La balance se fait avec les musiciens après la mise en place technique et avant l'arrivée du public(merci Wikipedia).

*L'alternateur a pour but de fournir de l'énergie électrique au moteur ainsi qu'aux accessoires tels que les éclairages, le chauffage, la climatisation, etc.

*Un lieu situé généralement derrière une scène de spectacle reservé aux musiciens et techniciens/organisateurs.


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