Samuel et Irisea

Manou Damaye

 

Samuel et Iriséa

  Là, assis dans un fauteuil de velours rouge cramoisi, au centre de l’orchestre du Théâtre d’Ombre. Traits fatigués, cheveux mouillés de sueur, chemise à l’abandon, il est las.

  D’une voix atone, Mr Pietchowska, le concierge lui rappelle qu’il faut partir, sinon « il devrait compter des heures supplémentaires ». Il se redresse de toute la longueur de ses jambes, enfile un vieux manteau de laine. D’un pas souple, il échange le fauteuil  pour une chaise en rotin de la terrasse du « Chien qui fume », place des Victoires, face au théâtre. Là, il est las sur la chaise en rotin, élégant, régal à voir …tant de silence !

 /Là, elle est là, de l’autre côté de la place,  se fait lueur dans le soir. Elle prend son temps, le temps de le voir à la manière de « Voir » de Castaneda, de le déguster avant de fondre. C’est toujours un moment de douceur, si précieux. Elle sait,     il est préoccupé par son art, il ne sait pas encore qu’elle est là.  

     Elle voit ses narines trembler, humer l’air. Elle fait battre son cœur pour en augmenter sa lueur, se met à voler vers lui, lui empruntant sa gracieuse élégance.  Joyeuse, elle voit ; les muscles de son visage se détendent, un doux sourire  éclaire son regard jusque là si absent. C’est si plaisant de voleter ainsi vers lui, d’humer son odeur d’éther et de sueur.

Et voila, elle est là, luciole, à quelques battements d’ailes de celui qu’elle aime. Il n’a pas bougé de la chaise en rotin du « Chien qui fume ». Doucement elle se pose sur la pulpe de ses lèvres, il la cueille et l’avale comme on boit un nectar …tombe …  Tombe dans le coma.

  C’est ainsi que les portes de leurs mémoires s’ouvrent. Iriséa est devenue son guide, un amour de plusieurs vies. Tous deux réunis  voyagent dans l’éther, s’abreuvant, voyage faisant, des musiques qui avaient nourries toutes ces vies qui furent les leurs; Pergolèse, Bach, Mozart, Chopin et plus récemment Satie. Ils se noient dans les peintures de Tintoretto, Vermeer, Gauguin, et Franken, oh combien ! L’éternité a cela de parfait qu’elle contient tous les univers dans le moment présent.

  Iriséa attend que Samuel se dévoile. Elle laisse le temps au temps. Mais cette fois ci des flots de sons sortent de tout son être exprimant sa douleur de ce vide d’inspiration pour attirer le public dans son théâtre d’Ombre. Le monde se sent en crise, le monde n’applaudit plus que les variétés et les franches rigolades. Même le fidèle Mr Pietchowska commence à déprimer et à parler d’heure « sup » ! Lui qui était devenu concierge par amour du théâtre, pour ne pas en rater une miette ! Il ferait un spectacle sur elle bien sur, ferait voleter des lucioles vers les spectateurs, leurs parlerait de…. mais ; car il y a souvent un mais … les aiguilles de l’horloge de la vie tournent. Iriséa amène son protégé à la vitesse de la lumière dans les montagnes de l’Hélicon près de l’Olympe. Elle veut lui offrir un bain de Muses et d’inspiration.  Samuel n’avait d’yeux que pour elle. Ils connaissent par cœur l’issue de ces rendez vous bonheur !

  Ses grands yeux bleu lavande s’ouvrent sur le mur blanc de la chambre de l’hôpital St Anne. Elle est là, l’infirmière qui guette son réveil avec sa bienveillance habituelle. Sur le drap blanc est écrit, Iriséa, 100% coton, bouillir à 90°. Samuel chercha du regard la bouteille d’alcool  sur le chariot de l’infirmière et dit «  A bientôt » à son prochain rendez vous coma.

Signaler ce texte