Sankara cry

nouontiine

Sankara cry

Il se tenait droit, la tête haute et le regard ferme dans la chaude effervescence de l’aéroport national de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso.

Il venait de débarquer sur sa terre natale avec la ferme intention de rendre gloire, dignité et intégrité à son peuple trop longtemps bafoué. Il rentrait au pays pour y fonder le Nouveau parti révolutionnaire d’inspiration sankariste et permettre ainsi à toute une nation de relever la tête. « La patrie ou la mort, nous vaincrons ! », telle était la devise de la Mère Terre, et il était déterminé à rendre ses lettres de noblesse aux dignes héritiers du Moro Naba.

Il s’était départi de son nom d’esclave pour répondre fièrement au nom de Kombouolson, « celui qui ne dit pas papa » en dagara, l’ethnie indépendante et rebelle dont il descendait. Il avait reçu ce patronyme à sa naissance, au cours d’un rite ancestral qui avait mobilisé toute la communauté et à laquelle on avait convié en grande pompe les esprits des ancêtres, afin qu’ils bénissent le nouveau-né et facilitent son entrée dans le monde moderne. On avait coutume de dire qu’il faut tout un village pour élever un enfant, et la tradition était non seulement respectée mais vénérée. En effet, quelle plante, aussi flamboyante soit-elle, pouvait se targuer de fleurir sans puiser du suc dans ses racines ?

Kombouolson s’était fait seul, parcourant chaque jour à pied les quinze kilomètres aller-retour qui séparaient son village de l’école du chef-lieu. Il s’était acharné, même lorsque la plante de ses pieds nus brûlait au contact de la terre rouge calcinée par le soleil. Il n’avait non plus renoncé lorsque son ventre criait famine pour n’avoir ingurgité la veille au soir qu’une poignée d’arachides bouillies, quand les greniers restaient vides, faute de pluie.

Il avait marché, toujours plus loin, le pas rapide et assuré, parce qu’il portait la fierté de tout un village sur ses frêles épaules d’adolescent. Et il avait fini, à force d’application et de persévérance, à décrocher son baccalauréat avec une mention assortie d’une bourse au mérite pour aller étudier en France. Sa mère avait pleuré ce jour-là, de joie, de fierté mais aussi de rage, parce qu’elle craignait que cette terre lointaine, vorace et belliqueuse, ne lui mange son fils comme elle avait auparavant dévoré son mari, parti faire la guerre pour une patrie où il n’avait en aucune façon été reconnu, pas même en tant qu’homme. Aussi avait-elle prié les esprits de veiller sur son enfant, au-delà des océans, et de le lui ramener vivant, afin qu’il perpétue à son tour la noble lignée des Dagari.

Quelques années plus tard, Kombouolson était de retour, l’oeil aiguisé, estimant que la farce n’avait que trop duré. Il était prêt désormais. Prêt à rappeler au monde qu’ils étaient les enfants de la Terre Mère, et qu’il était temps pour elle d’être de nouveau fier de sa progéniture. Et il ne mentirait pas. Non, il n’entretiendrait pas le mensonge selon lequel l’occident était un eldorado où l’argent coulait à flots. Ce temps-là - si jamais il avait existé - était définitivement révolu. Là-bas, les héritiers du Royaume balayaient les trottoirs, quand ils ne peinaient pas été comme hiver sur des chantiers poussiéreux ou condamnés à traquer leurs semblables déguisés en agents de sécurité ; ils étaient relégués dans des cités dont on murmurait le nom de manière entendue. La poudre et les armes y circulaient aisément, un trafic nourri par la rage et le désespoir depuis que l’État avait réussi à faire intégrer à ces citoyens de seconde zone la politique du « laissez-les se tuer entre eux ». Après tout, n’étaient-ils pas des sauvages ?

Il avait observé avec perplexité la désinvolture outrageante avec laquelle on traitait son peuple. Il avait évalué le degré de suspicion que suscitait sa peau noire doublée d’une chevelure trop crépue et d’un accent prononcé. Particulièrement auprès de ceux de la communauté qui se targuaient d’être né en France. Quelle blague ! Comme si cette naissance leur avait conféré une quelconque autorité sur leurs cousins. Comme s’ils avaient acquis, hormis ce fameux droit du sol, une quelconque reconnaissance vis-à-vis de leur culture, de leur religion ou de leurs coutumes. Comme si cette prétendue appartenance à la France leur avait permis de briguer de meilleurs emplois, d’accéder non sans difficulté à des logements décents ou encore de nourrir de l’ambition pour leurs enfants.

Non, la plaisanterie n’avait que trop duré, et Kombouolson se sentait investi d’une mission : délivrer les siens de la mental slavery dans laquelle ils se fourvoyaient depuis trop longtemps. 

Au cours des quelques années passées sur le continent à étudier la micro-économie dans la perspective de développer le système des tontines mis en place par les femmes de son pays, il n’avait récolté que solitude, indifférence et froideur. La maladie des nantis.

Aussi s’était-il concentré, cherchant la meilleure alternative pour fédérer son peuple autour de la Terre Mère. Il avait toujours montré l’exemple comme le capitaine  Thomas Sankara avant lui, privilégiant l’intérêt collectif au détriment du sien, évaluant les efforts à fournir à long terme, listant les sacrifices indispensables pour s’émanciper de la servitude à laquelle ils avaient depuis des siècles été soumis. Il riait dédaigneusement lorsqu’on évoquait la dette de l’Afrique devant lui. De quelle dette parlait-on ? De quel côté du globe était-on réellement redevable ?

La Terre Mère avait indubitablement besoin d’hommes et de femmes probes et courageux, capables de tenir tête aux décideurs de ce monde, capables de dire « non » à l’exploitation sauvage de tout un continent. Kombouolson se savait de cette trempe, parce qu’il venait du pays des hommes intègres et qu’il préférait mourir plutôt que de baisser la tête.

Aussi avait-il décidé de rentrer au pays, une fois ses études achevées, parce qu’on comptait sur lui.

« Le plus important, je crois, c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que, finalement, il peut s’asseoir et écrire son développement ; il peut s’asseoir et écrire son bonheur ; il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur », Thomas Sankara (1949-1987). Dirigea la révolution burkinabé à travers la mise en place de réformes majeures pour combattre la corruption, développer l’éducation, l’accès aux soins, l’agriculture et favoriser l’émancipation des femmes (décrété le 8 mars, jour chomé en honneur aux femmes, seul pays au monde). Modèle de la jeunesse africaine pour son intégrité, sa simplicité et ses idées avant-gardistes. Surnommé le « Che Guevara africain ». Assassiné par son frère d’armes, Blaise Compaoré, président du Burkina Faso depuis 24 ans !

 

 

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