SANS AMOUR NI TENDRESSE - Echec et moche.

Isabelle Revenu

La toute première fois ?

Ben quand on me pose ce genre de question, j'ai tendance à m'emballer un peu et à immédiatement penser à l'amour. Alors que je pourrais tant bien répondre la première fois que j'ai fait du vélo ou la première fois que j'ai mis mon poing dans la tronche de cake à Emilio, ce con de calabrais qui piquait mes billes à la récré...Et qui faisait bien une tête de plus que moi.

Mais non, de tous mes souvenirs d'avant,  l'amour est toujours là en première marche du podium. Même sinueux, même douloureux. Et la première fois le fait sortir de dessous les feuilles de mon automne approchant.

Elle n'était pas spécialement belle, du moins dans mon souvenir. Ni féminine. Mais pour moi elle avait ce quelque chose en plus qui la distinguait des autres plus avenantes et plus provocantes. Je n'ai jamais cédé aux lumières trop vives de la vie. Aux appels trop aigus des sirènes en détresse. 

La première fois donc, puisque vous me le demandez, c'était avec elle. Pas grande et ça m'arrangeait plutôt. Pas fière non plus, je crois qu'elle tremblait autant que moi.

J'avais repéré une encoignure un peu plus loin dans l'allée de ginko biloba. Ca sentait bon les feuilles nouvelles et les odeurs de béatitude divine de ces instants précieux entre tous.

J'ai bien tenté de lui prendre la main mais bon dieu qu'on est gauche à cet âge-là !

J'avais quinze ans, peut-être seize et pas dégourdi pour un rond.  Elle était légèrement ma cadette.

Je lui ai proposé de venir admirer mes poissons-ventouse, les nettoyeurs attitrés de la résidence-aquarium trois étoiles que j'avais acheté avec l'argent de ma collection de chromos Callebaut.

J'avais croisé si fort les doigts pour qu'elle dise oui, qu'elle a dit oui.

Et j'ai reçu le coup au coeur le plus puissant que j'ai jamais ressenti jusque..il n'y a pas bien longtemps.

Nous avons admiré les poissons-clowns, les discus rouge-rose et les scalaires rigolos.

Elle regardait les mouvements élégants des vaguelettes du fond de l'eau....et moi je la regardais.

Amoureux ? Peut-être...

Curieux de savoir enfin pourquoi parfois on gémit ? Sans doute...

Doucement je l'emmenai dans le couloir assombri par un rideau de toile légère recouverte de velours taupe.

Elle s'est retournée vers moi et m'a pris les bras. Les a enroulés autour de sa taille comme elle aurait fait d'une ceinture de flanelle.

Je l'ai embrassée tout à mon envie d'elle.

Et puis j'ai ouvert sans bruit la porte de ma chambre d'étudiant.

L'ai prise dans mes bras tremblants et l'ai déposée comme mon plus précieux trésor sur le plaid à carreaux.

On s'est caressés maladroitement, fiévreusement, nerveusement. On était pressés de connaître ce qui se planquait derrière tout cet amour d'adolescents.

J'étais en nage.

Je bandais à m'en faire mal. Fallait que je trouve une combine pour pas partir trop vite. Ni passer pour un débutant.

En m'excusant, je me levai sous prétexte de mettre de la musique pour couvrir nos petits jappements impatients. Rapports aux autres couillons qui devaient avoir l'oreille collée à la paroi de plâtre. Mince comme un espoir de poilu dans les tranchées de Verdun.

Je mis le premier trente-trois tours un peu hard que je trouvais. C'était Ummagumma de Pink Floyd.

C'est sûr qu'avec ça on ne nous entendrait pas beaucoup.

Je me recouchai à côté de sa chaleur animale. Essayant de conserver un semblant de calme. Mais la nature nous joue des tours quand on s'y attend le moins.

Priant David Gilmour de distraire mon envie impérieuse, je craquais sur les dernières notes et partai tout seul, honteux et confus. La laissant me traiter de pauvre type. Me hurlant qu'elle me trouvait pas terrible, moche même. Qu'elle aurait mieux fait de s'abstenir plutôt que monter dans ma chambre. Qu'elle se fichait de mes poissons autant que des cours de morale dispensés le mercredi au patronage.

Et que je ferais mieux de remonter mon froc et de la raccompagner en bas.

J'avais cru si fort que j'allais devenir un homme et me voilà classé dans son coeur au rang de Père La Déveine.

Tout l'étage a su que je n'avais pas tenu le premier round. Que j'avais jeté l'éponge et le reste.

Elle n'a jamais vu mes larmes, trop occupée à sa colère de presque femme...

Je me souviens encore avec détresse du parfum salé de ses cheveux. Et des éclairs dans sa voix.

Je n'ai plus jamais osé dire je t'aime.

A part

à toi.....

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