Scènes

novembre

Le soir s’infuse en rousseurs dans le ciel relevé. Le monde vaque au parc. Dans les allées générales, des étrangers, dont les jambes s’allongent avec l’urgence des heures transitoires, flânent dernièrement aux hasards des perspectives. A leurs cous tannés par les provinces de la saison centrale, des boîtes noires et solides, pesantes, pendent comme de grosses et antiques médailles. Ailleurs, des troupes ont pris place sur les chaises en fer forgés qui ceinturent les rares plans d’eaux en train de miroiter tièdement, sous l'effet du soir, comme des plateaux de bronze ; le torrent bas de leurs conversations circulent maintenant ; entre eux, cette égérie présentement à tricoter un bonnet de laine noir derrière la vitrine de son élégance, à l’ouest de cette dame en âge trempant son amertume fardée, ses pieds vernis dans le miroir, s’affranchissent des fontes de l’enténébrement en résonant silencieusement avec moi.

Aux abords du parc, la nuit s’allume avec l’ouverture des grands restaurants, qui embrassent de leurs lumières aromatisées les boulevards venteux où se déversent les saignées de l’affluence, dorées par les parures de la ville. Marquant le mouvement, un tandem s’est levé, qui s’allonge déjà vers les îlots de leurs terrasses. La pulsation mondaine et alentie de ses talons à elle leur déclin vers l’horizon décélère, alors qu’ils descendent en direction de l’ongle de la Concorde leur disparition derrière le kiosque retarde. Partout, le bleu s'estompte. Partout, la densité des foules a décru ; des silhouettes serpentines aux reflets orangées ou roses filtrent entres les flammes sombres et rangées des arbres, coulissant vers les fritures de la fête foraine voisine.

Or, la foire avait doré la nuit. Par tous ses pores écarquillés, sans discontinuer, les ténèbres luxueuses de la capitale déchargent, comme des viennoiseries dans un four, les faces cultivées tout le jour, les jambes mises en scènes, les torses marqués pour la circonstance. Depuis les hauteurs du chapiteau nocturne, des constellations de cotillons jettent leurs rires de machine à sous et leurs lueurs dérisoires sur les bouquets, sur les grappes de ballons et de têtes. Les haleines poignantes des baraques pétrissent les chairs et les formes tandis que le tintamarre du tohu-bohu achève de les mâcher. Dans l’attraction des attractions, l’espace et la foule s’enroulent avec le méli-mélo des mélodies et depuis d’immémoriales périodes, la grande roue accomplit sa révolution dans l’hypnose générale. Vers quelques directions où il se tourne, le regard, comme un sans-gêne élastique et infini, se déroule, se déplie, se débobine à l’avant flouté par les transports de toutes parts, se heurtant de temps à autre contre les femmes assourdissantes et prestigieuses qui se pavanent aux bras des amants flous de la fête …

Jardin des Tuileries, août 2013 

  • c'est un texte très riche et vraiment bien mené et sa complexité d'écriture voulue n'en enlève pas le plaisir de lecture, au contraire même, je dirais qu'il donne envie de le relire d'un autre oeil !

    · Il y a environ 11 ans ·
    B3

    janteloven-stephane-joye

    • Et en effet, il devrait l'être.

      · Il y a environ 11 ans ·
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      novembre

  • Un niveau de langue élevé que l'on rencontre rarement ici, bravo pour votre maitrise du vocabulaire et des mots justes. Malheureusement, c'est aussi le défaut de ce texte qui parfois frôle l'opacité à force d'effets littéraires et de tournures de phrases alambiquées. Vous avez du talent, inutile de faire de votre virtuosité une démonstration outrancière. Merci pour la lecture.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Poule 2

    Giorgio Buitoni

    • Je comprends.

      Ce texte est aussi un exercice, pour moi. Et ce n'est pas exactement de la prose, à supposer que l'opposition prose/poésie soit toujours d'actualité ...

      Je retiens tout de même avec attention la remarque.

      · Il y a environ 11 ans ·
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      novembre

    • Oui, j'ai bien senti que vous glissiez vers la poésie... mais n'oubliez pas vos lecteurs en cours de route. Au plaisir de vous lire.

      · Il y a environ 11 ans ·
      Poule 2

      Giorgio Buitoni

  • C'est très beau et si bien écrit.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Gif hopper

    Marion B

    • Merci Marion !

      · Il y a environ 11 ans ·
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      novembre

  • Joli tableau, j'ai une préférence pour le dernier paragraphe, d'ailleurs un peu avant, la magie commence à opérer pour moi à partir de la déclinaison de couleur. Un bémol pour la quatrième phrase, au début, bon j'ai un problème avec les phrases longues à la base, mais là c'est un peu apnéique. Mais j'aime quand même beaucoup l'ensemble, un peu comme devant un tableau dont on peut prendre le temps de parcourir les détails.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Avat

    hel

    • Des commentaires toujours intéressants, merci hel ... !

      · Il y a environ 11 ans ·
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      novembre

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