Séb
Alex De Querzen
PUBLIÉ SUR http://www.alexanderdequerzen.com/texte/seb/
Séb
Il s’appelle Seb.
Son nom n’a strictement aucune importance dans la suite de ce récit.
Il est typiquement le genre de personne que vous ne remarquez pas. Il se fond dans la masse. Ses habits sont une protection contre le monde extérieur, une carapace contre les regards, une non-invitation à faire connaissance. Habillé de manière passe-partout, privilégiant les couleurs sombres, s’autorisant parfois un petit extra au niveau de son teeshirt, parfois revendicatif, parfois à l’effigie d’un groupe qu’il aime, parfois simplement parce que c’est le premier qui lui est tombé sous la main. Visage caché par une casquette, cheveux rasés, Seb est le parfait exemple de Mr ToutLeMonde, de Mr Personne.
Vous le verriez, vous n’en sauriez même pas qu’il s’agit de lui.
Sa vie est un vaste cycle de recommencements perpétuels, une longue suite monotone de remakes des mêmes moments, aux mêmes endroits, avec les mêmes gens.
Lorsqu’il était petit, Seb était intimement persuadé d’être le prisonnier d’une vaste cage en verre, où un géant s’amuserait à jouer avec lui, ses sentiments, ses peurs, ses envies, son existence… Comme il jouait lui même avec ses PlayMobils. Au fond, pourquoi pas : bien que ses parents (surtout son père, surpris d’un tel illogisme chez un enfant censément intelligent) lui aient prouvé que ce n’était pas possible, Seb n’en est pas intimement convaincu. Quelque chose lui dit que l’on n’en sait trop rien en fait.
Seb est fils unique, son monde est imaginaire, sa vie est rêvée et sublimée pour mieux pallier la morne et triste réalité.
Peut-être à cause de ça, Seb s’est replié sur lui-même.
D’enfant unique il est devenu enfant solitaire.
Ses parents cochaient pourtant toujours la case “s’intègre facilement dans un groupe” : au fil du temps, il s’était aperçu qu’être un caméléon avait beaucoup d’avantage.
Petit à petit, Seb a grandi, traversant les années 80 sans s’en rendre compte, puis les 90 en commençant à prendre conscience que le monde semblait définitivement ne pas tourner rond.
Au XXIème siècle, maintenant, Seb continue de se sentir bizarre dans un monde qui ne lui appartient pas.
Son grand père avait eu le débarquement et la guerre d’Algérie? Lui aura eu la mort de Ceausescu et la chute du mur de Berlin.
Ses parents ont eu mai 68? Il se prendra en pleine face les bombes dans le métro en 95, les attentats du 11 septembre 2001 et ceux du 11 mars 2004.
Selon la classification de Strauss et Howe, Seb fait plus ou moins partie de la fameuse “Génération Y”. Plus ou moins, pas exactement, tout dépend de la version adoptée.
Seb, lui, pense qu’il est juste là.
Ni totalement Y, ni formellement X.
Le terme de “next generation” lui conviendrait mieux.
La génération suivante.
Celle après ceux-qui-ont-ouvert-le-chemin.
Mais la différenciation est plus subtile.
Seb a lu des livres, beaucoup. Certains en diagonale, parfois par obligation, d’autres avec plaisir, il en a même relu tout ou partie. Il pourrait citer Philip Kindred Dick et Maurice Dantec, Ann Scott, Virginie Despentes ou Nick Hornby, Stephen King et Ann Rice, Antoine de Saint Exupery, ou encore Bret Easton Ellis, Chuck Palahniuk et Charles Buchovski… Il voit de plus en plus de films adaptés de livres, sans que les gens le sachent. Il est attristé de voir que l’imagination semble se désagréger. Il aime retrouver ses auteurs, comme de vieux amis.
Seb aime la musique, même si ce n’a pas toujours été le cas. Il croit être passé par tous les courants musicaux, du hard rock au rap, en passant par le reggae ou le rock, à chaque fois oscillant entre le bac commercial et les découvertes du moment. Grâce à ses ami(e)s, Seb peut continuer de découvrir de nouveaux morceaux, de nouvelles manières d’exprimer un sentiment, modifiant ainsi son TopTen permanent des musiques favorites. Certaines restent toujours des coups de cœurs, sortes d’hymnes souvenirs d’une époque. Certaines lui semble le décrire parfaitement, soit en partie, soit totalement. Certaines sont spécifiques à des personnes, d’autres à des moments, bons ou mauvais, partagés (ou pas). La musique est une nécessité vitale pour Seb, quelque chose qui le rapproche du héros de “Haute Fidelité” : elle lui permet plus ou moins de savoir si une personne est compatible, au même titre que pour les livres et les films…. D’une certaine manière…
Nourrie à l’image, parfois déformée par la caméra, d’autres fois retouchée par ordinateur, l’information se mélange à la fiction, le blockbuster de l’été ne l’impressionnant pas outre mesure mais tombant en admiration devant un film dialogué par Audiard. Il cherche les bons films, cumulant un scénario intelligent, des acteurs qui gèrent et un réalisateur qui se prend pour un véritable chef d’orchestre et cherchera la version dvd ultimate pour ceux-là, mais larvera devant la dernière production hollywoodienne pour peu qu’elle n’en soit pas trop indigeste.
Tableau idyllique d’un humain en pleine possession de ses capacités intellectuelles.
Carnage catastrophique car la culture appelle la culture et qu’elle est sœur de dévoreuse de temps.
Nourri au nouvelles technologies, à même pas 30 ans il est doublement drogué.
Aux médicaments d’abord.
Légaux et illégaux.
Toujours de quoi supporter la réalité. Atténuer les effets néfastes d’une vie chaotique.
Contre le mal de tête, pour pouvoir dormir, contre l’allergie, contre la toux, pour la peau…
A l’Internet, pieuvre tentaculaire, matrice globale et locale.
Tellement accroc qu’il ne lui semblerait pas si difficile ni si inconcevable que ça de s’enfermer dans une tour pendant une période (in)déterminée. “Le Maître du Haut Chateau”. L’expression lui revient, traversant son esprit, faisant frétiller quelques neurones, libérant quelques souvenirs et pistes, saturant encore un peu plus sa mémoire.
Le “Do Your Thing” des hippies continue de s’appliquer au fond.
Lui, et ceux de sa génération n’en savent strictement rien de ce qu’ils sont venus foutre sur cette planète à moitié dévastée par leurs prédécesseurs. Un environnement dégradé, se détruisant de plus en plus, inexorablement, une courbe de destruction exponentielle. Une population aveuglée, en ne se préoccupant pas du sort de Gaïa, ne donnant aucune confiance dans l’avenir.
Attristé de voir que des médicaments soignant de nombreuses choses pourraient voir le jour, mais qu’ils ne sortent pas des laboratoires.
Dépité de voir que des modèles de voiture hybrides sont disponibles mais inaccessibles pour le commun des mortels.
Perplexe face à la course à l’industrie, à l’automatisation, à l’informatisation, mais en participant pleinement à cet état de fait.
Seb se pose en observateur, il est loin, très loin d’être un exemple ou un chemin à suivre.
Il essaye de se contrôler.
Il essaye de s’intégrer.
Il essaye d’apprendre.
Il essaye de gérer.
Il essaye de vivre.
Mais il n’y réussit pas.
Il le voit bien depuis quelques joursemaines.
Il se couche de plus en plus tard.
Il n’arrive plus à se lever, chose normale après des nuits de 4 ou 5 heures.
Il a de plus en plus tendance à s’auto-exclure du groupe, de la meute, marre des mini-guerres de clans, des micros luttes de pouvoir…
Il se sent bien chez lui, caché, inaccessible sauf quand et à qui il le désire, préférant la solitude d’un appartement vide à la foule bruyante d’un bar bondé.
Longtemps considéré comme un oiseau de nuit, il n’en rentre maintenant plus que complètement déchiré, devant faire des efforts de mémoires pour savoir si oui ou non il a passé une bonne soirée.
L’alcool, son dégât majeur, troisième drogue à rajouter. Comme tous ceux de son âge, à des degrés différents, tout simplement, il a l’alcool mondain, entre amis, celui des restaurants et des soirées en clubs.
Combiné à la cigarette ou au joint, cocktail explosif et détonnant pour avoir l’air cool mode caméléon quelque part.
Ne pas se dévoiler, encore.
Se cacher, toujours.
Toujours avoir l’air de s’en foutre, d’être cynique. Ou au contraire exagérer ses sentiments.
Son exubérance lui sert de paravent à son incapacité chronique à avoir confiance en lui.
Seb a fait les comptes, il a 30 ans.
Plus aucune perspective d’avenir, il se sent trop vieux pour créer son entreprise, ses parents ne dirigent pas une société qu’il va devoir reprendre, son boulot n’est qu’un simple 9/18 basique et commun au trois quart des gens avec qui il partage ses métros quotidiens…
Sa copine veut s’installer avec lui, il ne sait pas comment lui dire qu’il se demande toujours pourquoi il est encore avec elle depuis tout ce temps, elle a pourtant déjà prévu leur programme sur les 6 prochains mois. Il continue de fantasmer sur sa collègue de bureau et la serveuse de son bar favori, et ne peut pas s’empêcher de détailler les gens (essentiellement du sexe féminin) qui croisent son chemin ou son regard pendant ses pauses…
Sans être catastrophique, son compte en banque n’est pas reluisant.
Entre son prêt pour l’appartement, celui pour l’installation et le crédit pour le scooter, la fin du mois commence de plus en plus tôt. Par la force des choses il a été obligé de diminuer le rythme des sorties, et considère profiter moins bien de la vie qu’auparavant.
Seb se pose la question : que fout-il ici? Présentement? A l’heure actuelle?
En ce moment précis, il ne croit plus en rien.
Il en a juste marre.
Marre d’essayer de gérer.
Marre de tenter de vivre une vie passable.
Marre de courir après le temps.
Marre surtout de faire semblant.
Il est dans un épais brouillard, dans une nuit noire, un endroit obscur, un tunnel sombre où la lumière ne perce pas.
Je suis Seb.
Je suis personne.
Mon nom est légion.
C’est dur de vivre lorsqu’on n’en a pas forcément envie.
J’appuie sur la détente de mon flingue introduit dans ma bouche.
Merci Mathieu !
· Il y a plus de 11 ans ·Alex De Querzen
J'aime beaucoup l'écriture, et l'ambiance que dégage ce texte.
· Il y a plus de 11 ans ·Mathieu Jaegert
Reponse C et D mon cher Alain :)
· Il y a plus de 11 ans ·"Séb" étant une autre partie de "Simon" le (anti)héros de Intimate Diary of a Killer (IDK) ;)
Alex De Querzen
Wow ! Mister Alexander! Honnêtement j'ai adoré. J'oserais avoué que j'ai été Seb, la drogue et le flingue en moins. Quel incroyable talent que de décrire le 'spleen' de la génération "X", de la livrer sans ménagement, sans complaisance. Comme Seb, la marginalité peut mener au désarroi. La suite est un choix personnel. Est-ce puisé à même une situation vécue Alexander ? Si non: bravo pour le réalisme. Si oui, merci d'avoir troqué l'écriture au flingue!
· Il y a plus de 11 ans ·Alain Le Clerc
Merci Mylou.
· Il y a plus de 11 ans ·Alex De Querzen
Superbement écrit ,j'ai adoré,cdc
· Il y a plus de 11 ans ·mylou32
Sorry Junon =)
· Il y a plus de 11 ans ·Alex De Querzen
Pas forcément la lecture idéale avant d'aller dormir... J'ai peur de faire de sombres rêves. Mais c'est très bien vu tout ça.
· Il y a plus de 11 ans ·junon