Sentir son corps

Courir. Courir longtemps. Jusqu'à devenir un pur esprit en promenade, confortablement installé au sommet d'un corps entièrement à son service, aux mouvements automatiques, pantin tirant lui-même les fils qui le portent, ressort infatigable. Sentir perler les gouttes de sueur sur son front. Fragments de vie qui s'échappent, s'évaporent.

Faire des pompes. Lutter contre la gravité. Sentir son corps triompher. Chuter et se relever. Mourir et renaître. Des dizaines de fois de suite. Ressentir la force dans ses bras, dans ses épaules. En faire l'expérience.
Sentir ses muscles le lendemain, douloureux, tiraillés. Sentir la douleur, oui, mais sentir son corps.

Jouer au foot. S'équilibrer. Prendre des appuis. Synchroniser ses mouvements. Dompter cet animal qui sans cesse bondit. Danser autour de lui. Technique, concentration, improvisation, transe. Accélérer. Être plus rapide que l'adversaire. Être à la lutte. Coup d'épaule. Montrer qu'on est là, qu'on ne se laissera pas bousculer.

Frapper. Frapper. Frapper dans le vide, encore et encore. Sentir les flots de haine se déverser dans le corps, s'écouler le long des bras, se concentrer dans les poings. Taper droit devant. Que les coups se dissipent en vaguelettes sur ce rideau qui pend mollement devant moi. Coups d'épée dans les eaux troubles de ma vie.

Faire l'amour. Déborder d'une énergie contenue. Tirer sur les rennes d'un désir toujours sur le fil. S'activer jusqu'à l'épuisement, jusqu'au triomphe du corps, lorsque l'esprit s'évanouit avec fracas. Petite mort.