SERENA: LA COMTESSE EN FUGUE

Elise Valere

Dans la campagne made in Scotland, le train roule à toute allure vers Edimbourg…

Première classe, compartiment 63 : Séréna Linge se frotte voluptueusement les doigts de pied contre le velours du fauteuil d’en face quand le train freine brutalement et s’immobilise dans un crissement de freins aigu. La tête projetée en avant vers l’accoudoir, notre héroïne se redresse, furieuse du désordre ainsi imposé à sa coiffure et s’engouffre dans le couloir pour comprendre l’objet de cet arrêt imprévu.  Ses charmantes oreilles imposent le coup du mépris au haut-parleur qui abreuve les passagers d’un flot d’excuses incertaines et ses yeux verts VIP en otage ne tardent pas à découvrir  les raisons de l’incident : une collision brutalement ravageuse avec une vieille Peugeot 205 bordeaux qui se trouve encore sur la voie. Le spectacle est peu ragoutant mais ravive tous ses sens en alerte et Serena se faufile bientôt parmi les curieux. L’odeur de brulé se fait plus dense mais notre agent n’a rien en commun avec ces badauds dont les paupières plaident en faveur des cactus.  A l’intérieur de la carcasse d’acier encore  fumante, la Comtesse découvre un homme écrasé au volant d’un tas de ferraille à l’imparfait. Exhibant sa carte de médecin secouriste, elle s’agenouille auprès de la victime pour examiner le visage en charpie d’un défunt qui lui semble tout-à-coup bien familier. Après une fouille discrète mais consciencieuse de cet homme qui porte le pyjama en guise de linceul, elle débusque un morceau de papier coincé dans sa chaussure gauche portant l’inscription « Meaheaven » avec le dessin d’un hippocampe.  

L’inspectrice écossaise dépêchée sur les lieux salive littéralement devant cette américaine à la silhouette sexy. Décidée à s’en faire une amie particulière, Séréna perd un temps précieux à entretenir son image de baroudeuse médicale à l’auberge du coin. Après quelques péripéties entre des draps rugueux, elle saute dans un hélicoptère pour un débriefing en urgence à l’ambassade US de Londres.

Dans les locaux soo british de la CIA, la Comtesse use de son charme et recueille un flot d’informations disparates auprès de ses nouveaux collègues dont certains ne sont pas insensibles à son accent raffiné.

 A l’issue d’ébats inattendus avec un collègue dans le placard de son supérieur, elle découvre une photo de la victime dans le costume de rechange de celui-ci.  Lovée contre le bois britannique imperturbable, elle surprend une conversation dangereuse pour son avenir.  Grace à quelques paroles en l’air suspendues, l’image tremblotante du passé danse en un éclair sur son front clair: l’homme trouvé sur les rails semble être le sosie d’un fils illégitime du président.

L’inspectrice écossaise l’appelle régulièrement sur Skype même si l’enquête piétine pour les ruraux… entre deux conversations à saute-mouton érotique, elle apprend que  Mistheaven est en réalité une sorte d’asile très chic. Cette clinique de repos accueille des patients bien nantis mais dont la pathologie psychiatrique s’avère généralement pire qu’un roman de gare. Faisant fi de sa hiérarchie, la voici donc dans les lieux sous l’identité d’Alice Forhead, une jeune femme victime d’un traumatisme qui lui a ôté la parole et paralysé les jambes. Cette nouvelle mission lui ouvre les portes d’un univers où  elle se sent très vite piégée par des règles farfelues imposées par la dictature en blouse blanche. Un jeune interne la surveille et profite de son immobilité forcée pour abuser d’elle mais cet incident crée l’occasion qui lui permet d’accéder aux archives de cet endroit inquiétant.  Trompant son monde, la Comtesse se lie d’amitié avec quelques patients dont un adolescent qui lui parle longuement des habitudes de l'inconnu assassiné. Grâce à ces indices, Séréna déterre une enveloppe au pied d'un arbre dont l'écorce porte la gravure d'un hippocampe.  Elle obtient ainsi la preuve de l’identité réelle du défunt et devine le danger encouru par le président des Etats Unis himself.  L’agent secret perd subitement le fil de ses conclusions, assommée par 3 gardiens pervers dont les intentions semblent bien plus transparentes  que le sol javellisé de sa cellule.

Serena puise dans ses forces ultimes et combat comme une déesse, l'aide inopinée  de son jeune ami lui permettra de s’enfuir de ces lieux dont les murs lézardés étendaient leur gout crayeux jusqu’au contenu de sa tasse de thé quotidienne.

Changement de décor… Nous retrouvons le président en compagnie de son fils illégitime, dans leur résidence d’été sur l’île de Martha’s Vienyard.  Ils devisent allégrement et la nouvelle bonne leur sert le mythique café morning.  Ses vêtements semblent transparents et sa silhouette en contrejour affole la libido de la dynastie Mac Govern. Trempant son doigt dans la confiture de rose, notre fausse ingénue leur évoque son bonheur de travailler à leur service : elle évoque un passé difficile et leur dévoile un morceau de cuisse appétissant. Tandis que le père tend la main pour caresser cette chair innocente, le fils étendu sur le divan veut rester tranquille mais une main douce le guide…

Malaise cardiaque fatal à 34 ans : un jeune homme invité du président a succombé à une embolie foudroyante après son footing quotidien, l’enterrement aura lieu dans la plus stricte intimité.

La barque s’éloigne du rivage et Serena tourne vers le ciel qui s'étire son visage à l'ovale délicat, fatale  vestale encore une fois… scénario parfait pour l’aube claire.

CA TIRE FATAL

Avant d’avoir eu le temps de se retourner pour comprendre l’origine de ce bruit, la Comtesse se sentit projetée en avant par une bourrade qui l’envoya valdinguer au pied de l’arbre. Son adversaire lui saisit la tête avec brutalité et elle attrapa sa main au vol qu’elle mordit avec toute la rage dont elle était capable. L’homme poussa un grognement et recula d’un pas, Serena en profita pour lui expédier un coup de genou drastique entre les deux jambes. Jaugeant le type en face, ses yeux se plissèrent pour essayer de mieux distinguer la face de son agresseur. Dans l’obscurité, elle devina une blouse blanche désormais brutalement assise sur le derrière mais avant de pouvoir s’en écarter davantage, elle sentit qu’on lui empoignait la crinière en la tirant en arrière.  « Un geste et tu y passes » lui murmura une voix à l’haleine chargée tandis qu’un revolver à la gueule de plomb se chargea de lui vriller les reins.  L’agent secret poussa un faible cri et tenta de se retourner mais l’arme heurta son front de plein fouet lui assenant au passage plus d’étoiles qu’un ciel d’aveu. Ils étaient deux maintenant à la traîner sur la pelouse en direction des annexes de la grande bâtisse, ils ne prononcèrent pas un mot et ce silence-là indiquait qu’il s’agissait de professionnels.  Serena se laissa porter en dodelinant de la tête laissant paraitre un état de confusion et de faiblesse propre à lui donner le temps de la réflexion.  Le porche éclairé apparut au détour du sentier et le trio forcé sembla accélérer ce rythme oppressé sans doute pressé d’entamer la volée de marches menant au perron. Baissant la tête et projetant ses coudes en avant dans les côtes de ses suiveurs, Séréna s’arracha de leur étreinte et se coucha dans l’herbe. Elle roula sur elle-même cherchant avant tout à être hors de portée de la lumière avoisinante. L’ombre de la nuit complice la vit dégainer l’automatique lacé au creux de sa cheville et elle tira 2 coups brefs mais sans appel. .. Il n’y eut pas de rappel mais juste le hululement d’une chouette qui l’incita à presser le pas vers la liberté.

CORPUS DELICTI

L’aide-soignant aux cheveux hirsutes entra discrètement dans la chambre de la Comtesse peu après que la vieille - surnommée le hibou à cause de ses mains recroquevillées comme des serres- se soit endormie sur sa chaise.

Il virevolta autour de la forme étendue dans des draps blancs, cette immobilité soumise et virginale le transportait de joie. Caressant la soie du couvre-lit, il chercha son chemin à tâtons et commença à effleurer doucement la cheville inerte de la patiente.

La Comtesse, tous les sens en alerte, choisit de rester immobile comme son rôle de paralytique traumatisée lui indiquait mais ses pensées frénétiques volaient dans tous les sens. Elle devina le souffle de l’homme penché sur elle et perçut le contact de sa blouse contre ses seins vulnérables.

La gisante maudit sa couverture au propre comme au figuré, deux œufs sur le plat dans une poele à frire, un peu de sel s’il vous plait… elle n’en demandait pas tant mais comment lutter ?

L’autre l’examina, attentif à son souffle régulier et rassuré, poursuivit son exploration clandestine.

La main de l’interne remonta doucement jusqu’à la chaleur de sa cuisse à la chair vulnérable et si élastique, il se mit à la pétrir doucement. Séréna  saisit soudain tout le parti qu’elle pouvait tirer de cette situation… elle pourrait dans un proche avenir renverser le rapport de force et lui imposer sa volonté. Elle garda donc un visage de madone serein et immobile tandis que les doigts épais du pervers grimpaient à l’infini pour se repaître de leur levain humide. Feignant de respirer calmement, la Comtesse sentit son clitoris se durcir au frottement insistant de cette situation nouvelle et s’en étonna vaguement. "L'étrangeté de la situation plutôt que l'odeur de sueur de ce type"se dit-elle. Son visiteur ne tarda pas à percevoir ce trouble mécanique et grogna de contentement, son sexe érigé frottant à présent contre le matelas tout proche. La jolie forme étendue l’entendit verrouiller la porte de sa chambre et revenir vers elle à pas feutré. Elle sentit qu’il poussait ses jambes vers l’extérieur, révélant sa vulve en coquillage offerte dans le creux de la lumière bleue nocturne.

 LEPIDOPTERA, TIRER SON EPINGLE DU JEU

Serena fit la moue au miroir en lui adressant sa dédicace mentale du jour nouveau : « Papillon »

Aujourd’hui, elle se sentait virevoltante, son maquillage serait donc tout en légèreté, aussi subtil que l’effleurement d’une aile de soie.  Elle planta ses yeux verts dans son reflet en offrande et s’offrit le luxe de se contempler de la tête aux pieds. Vêtue d’une robe noire à la simplicité nonchalante, cette dernière était l’écrin qui sublimait en douceur le rayonnement de sa chair toute entière.  Elle exécuta une pirouette et en guise de parodie, fit claquer ses escarpins vernis sur le sol blanc. Ses chevilles aux fines attaches ne semblaient exister qu’en guise de prélude à ses longues jambes, elle se demanda un court instant si le reflet de son âme avait besoin de telles armes.  Sans doute le prix à payer pour l’entraînement sévère qui lui avait mainte fois sauvé la vie: dans la courbe affriolante de ses hanches, s’inscrivait en creux le grimoire du parcours d’une combattante d’exception.

La Comtesse se pencha en avant et appliqua un gloss discret sur ces lèvres gourmandes. Le collier de perle qu’elle avait choisi mettait en valeur son cou gracile, passeport trompeur de la proie facile mais avec du style. Le visage tendu vers son double, elle se contempla en guise de pomme à croquer, débusquant à l’instant un cil déserteur. Chacun de ses traits semblait émaner d’une grande facture classique de la Renaissance, son menton pointu, sa bouche ourlée, tout cela était rehaussé par des pommettes d’exception, des plages en offrande à l’océan émeraude de ses grands yeux expressifs. Elle secoua la tête et le casque discipliné de sa longue chevelure d’ébène se remit en place.  Cette couleur lui donnait du caractère, elle venait d’endurer trois semaines de perruque rousse et retourner à son naturel  lui semblait un luxe précieux.

Son décolleté discret laissait entrevoir en transparence une fine bretelle de dentelle azurée, un éclair retentissant comme un appel en guise d’avion détourné au dernier moment de son vol. Une fantaisie calculée comme de bien entendu, sa cible du jour étant un artiste fantasque, autant lui laisser croire au privilège de sa découverte esthétisante.

Un sourire sans pitié la traversa mentalement, elle repensa un instant à la petite fille de dix ans, sourde-muette qui avait survécu cinq semaines dans les caves putrides du manoir natal après l’attaque fomentée par les adversaires politiques de son père. Cette parenthèse- là avait marqué de son sceau son destin… L’Amérique était bien différente de son pays natal même si à présent, elle ne ressentait rien que du mépris pour ses origines, elle était heureuse d’avoir trouvé sa voie.  Après tout, être guépard femelle au service de la CIA requiert du talent, de l’intelligence et surtout un équilibre psychologique d’airain. A des milliers de lieues de ces aristocrates qui avaient fait passer le bien de la famille avant son avenir à elle, l’enfant unique de la famille Cagliostro di Gardone.

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