Servante d'Ana

Le miroir réfléchit une ombre blanche et filiforme. La sienne. Elle s'escrime nuit et jour, jour et nuit, pour rendre à son corps la finesse qu'Ana exige. Ses tout petits poignets, ses toutes petites hanches, ses jambes minuscules... Tout en elle a la petitesse de la grandeur. Oui, elle se sent grande et puissante, dans ce corps taillé comme la mine d'un crayon. Un sculpteur a dessiné le contour de ses os à la lime : l'os iliaque est plus pointu que ses ongles peints en rouge, la colonne vertébrale semble perforer la peau à chaque mouvement. Délicate petite fleur de souffrance, son visage affiche la maîtrise de soi, la perfection. Résolument parfaite, ainsi qu'elle le souhaitait. En passant devant son miroir, nuit et jour, jour et nuit, elle s'illumine, atome d'uranium effervescent. Elle, malade ? Vous rigolez ! Elle ne s'est jamais sentie si belle, si désirable. Antiféministe, c'est l'étiquette qu'on lui colle ; mais le monde entier sait que les féministes sont grosses et laides, parce qu'elles sont incapables de devenir comme elle. Incapables de devenir aussi belle, aussi mince que cette tige de porcelaine, que l'on entend craquer comme une branche à chaque pas. L'hiver est rude pour toi, servante d'Ana. Oui ; ton corps s'affaiblit, mais tu restes forte, convaincue de ta beauté.