Si ce n'est ton odeur
molly
Les chaussures sont les mêmes. Des tennis gris foncé, en toile. Le pantalon, presque noir, en jean, pourrait être le sien. Les jambes sont un peu plus courtes. La ceinture, pourquoi pas : elle est en cuir, fermée par une boucle argentée, serrée autour des hanches étroites. Une chemise gris-bleu finement rayée de blanc, que lui ne porterait que pour les « occasions » : pour un entretien… Pas de cravate. La pomme d'Adam prononcée déforme davantage le cou. Mâchoire carrée. Les joues sont rasées du matin, grisonnant déjà, piquetées, et la barbe renaissante semble plus foncée. Il est brun, et ses yeux sont marron. Bêtement marron elle pense.
Ses yeux à lui étaient bleus. C'est con, mais elle pouvait se noyer dans ses yeux. Dans les yeux de l'autre aussi, remarque, avec un peu d'imagination. Océan de chocolat. Océan de merde, c'est selon.
Il est objectivement assez beau. Il pourrait lui plaire, le brun, si elle n'avait pas l'autre dans la peau.
Souvent alors qu'elle déambule elle regarde les hommes qui remontent en sens inverse, les dévisage, les classe : celui-là oui, celui-là non, celui-là peut-être, celui-là oui. Ca la rassure, de compter les hommes qui pourraient être le sien. Il y en a plein. Ca la rassure, de savoir qu'il y en a plein. Quand elle sera sevrée, elle se dit qu'elle n'aura qu'à cambrer les reins et jouer des cils pour lui trouver un remplaçant.
Mais un éclat de bleu dans la marrée de gueules cernées et son cœur bat la chamade, elle croit le reconnaître. Les papillons dans le ventre, les jambes incertaines. Puis la trouille : et si c'était lui, quoi ? L'embrasser sur la joue et effleurer sa bouche, sentir sur sa joue les lèvres qui la mordaient, entrevoir ses mains, planquées dans les poches, les mains qui ornaient si bien ses hanches. La place de ses mains c'était ses hanches. Pas ses fesses, pas ses seins, non, ses hanches dont elles épousaient parfaitement les contours.
Elle est amputée. Un éclat de bleu dans les gueules cernées, et la trouille. Elle l'a dans la peau, putain.
Souvent les hommes qui pourraient être le sien la regardent aussi. Elle détourne les yeux, rentre le menton. Elle ne se reconnaît pas. Elle a tout oublié. Passée experte dans l'art de le séduire lui, elle ne sait plus comment séduire les autres. Elle rougit d'un rien. Manque de répartie. Une fille timide et inexpérimentée.
Le souvenir du bleu la brûle.
Le brun la regarde. Les chaussures sont les mêmes. Le pantalon pourrait être le sien. La ceinture et la chemise, il suffit des les enlever. Pourquoi pas. Elle rend son regard au brun. Ils parlent. Ils vont boire un verre. Elle rougit beaucoup, bégaie, mais il est séduit. Elle prend de l'assurance. Cambre les reins et joue des cils.
Viens on va chez moi.
Dans l'ascenseur, il l'embrasse. Elle ferme les yeux. Dans l'appartement elle éteint la lumière. Enlève la chemise et la ceinture inadéquates. Puis le reste. Un corps d'homme contre le sien, des mains sur ses hanches. L'obscurité rend l'illusion correcte.
Si ce n'est l'odeur.
L'odeur, partout, l'odeur n'est pas la même. Le gel dans les cheveux, le parfum sur la clavicule, la sueur de la journée et le déodorant qui la masque.
L'odeur n'est pas la même.
L'odeur n'est pas la sienne.
Elle l'a dans la peau, putain.
Très bien écrit!
· Il y a environ 11 ans ·Marion B
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· Il y a plus de 11 ans ·J'apprécie. D'où le pingouin euphorique (si si, il est euphorique).
molly
Une constante dans les trois textes que je viens de lire de toi : bien écrits !
· Il y a plus de 11 ans ·Bravo, et merci !
Mathieu Jaegert
À quoi ça tient, l'amour. Je te taquine car j'ai trouvé ton texte aussi bien conçu qu'écrit. CDC
· Il y a plus de 11 ans ·Archange Flippé