Silver Plume
Hawk
Les plus hautes montagnes se dessinent dans mes pupilles, se reflètent dans mon dessein. La voiture ne cesse d'avancer, emportant nos corps lourds de regrets loin du commun. La route, gavée de nos peurs, nous amène dans les bras chaleureux d'une énorme sottise. Evidemment, aucun de nous ne parle. Et le silence ne cesse de hurler sa présence. Comme une fortune malheureuse.
La nuit n'est pas encore tombée que la voiture s'arrête, net. Le soleil charmant est immobile, il ne réagit pas, bien sûr, quand des poings, lourds de peines, s'abattent sur le volant. C'est dur, d'accord, mais on s'aime, non ? On avait pas dit qu'on était plus fort que les océans ? Il dépose des baisers au coin de mes lèvres, pour se faire pardonner de tant d'idiotes décisions. Mais je voudrais lui dire, je voudrais lui crier que je ne regrette rien. Mais l'écume de mon aphorisme reste bloquée dans ma gorge, trop sèche pour prononcer le moindre mot. Alors il cri, encore, à ces montagnes énormes qui regardent la peur nous détruire. Puis il égratigne de nouveau mes lèvres d'un autre baiser. Et puis mes larmes qui brûlent mes pommettes et le fond de mes yeux.
Dieu que j'aime cet instant. Je chéri cette fureur. Je chéri cette tendresse.
La voiture avance.
Le silence a ricoché sur la terre avant de revenir s'installer, entre le siège passager et le siège conducteur. Entre son âme et la mienne.
Silver Plume, Colorado.
Le panneau a filé comme une étoile qui meurt. Mes doigts parcourent la couverture brûlante d'un vieux Dickens. Ma paume fiévreuse le sert comme une enfant. Le chemin se dessine au fur et à mesure que les oiseaux avancent. La voiture s'arrête, devant une autre de ces boutiques bourrées de charme. Les planches de bois qui font offices d'extérieur ont été repeintes de la couleur des nuages, et le nom trône, ravissant, au-dessus de celles-ci.
La porte grince, le vent fait danser les gris-gris. Une fillette cour dans les hautes herbes. Une vieille femme apparait de derrière un énorme comptoir brun, les bras noyés sous de très jolies fleurs.
Nous demandons refuge, une fois de plus.
Les nuits américaines sont les plus belles. Quand les étoiles bavardes me racontent des histoires et que le vent silencieux fait frissonner ma peau nue. Une nuit de plus passé dans cette liberté faussement crédible. Une nuit que je passe blottis dans les bras d'un amant qui ne m'est inconnu que sous ce ciel curieux. Je lève mon corps ivre de la nuit. Mes pieds chuchotent des flatteries au froid planché. J'enfile une robe et des bottes de pluie qui trainent. Il fait noir, tellement noir. Je descends l'escalier de bois que le temps effiloche, il hurle, grinçant silencieusement. C'est fou ce que je me plais dans cette poussière de vieux objets.
Une horloge ! Une vieille horloge ! Glorieuse lorsque danse avec application sa béquille qui jamais ne cesse de se balancer.
« Dis-moi, Coucou maladroit, comptes-moi ton histoire. Une heureuse vie, un drame familial, puis c'est la fin tragique ; les hommes, aujourd'hui ne t'aiment plus comme jadis. Tu es en entier, c'est pourtant essentiel ! Moi ? Moi, je me suis enfuie. Enfuie de l'usage, cessé le politiquement correct. Moi j'ai pris mes jambes à mon cou. On avait pourtant essayé de…
Un bruit interrompt la fin de ma phrase et dans son fracas, brise ma voix.
Excusez ma maladresse, je ne voulais pas déranger, je remonte, mille pardons. »
Plus un bruit. La porte soupire, derrière mon dos. Et mon corps tout entier s'écroule sur le lit. Mes yeux se ferment, mon trouble s'endort.
La voiture démarre. Le jour s'éveille, suivant la deuche d'un œil dissolu. La petite boutique s'éloigne pour ne devenir bientôt qu'un nom sur un panneau.
Voilà une heure déjà que l'odeur de la poussière de Silver Plume nous a faussé compagnie. C'est comme si les pleurs de l'horloge vagabondaient encore dans mes oreilles. Mais non, non, je suis certaine de bien entendre des larmes ! «Tu entends, dis, tu les entends aussi, ces gémissements ? » Oui, bien sûr qu'il les entend, mais il aurait juré que ce fussent les miens !
« Bon sang ! Que diable fais-tu là ? »
Je n'en crois pas mes yeux. Une gamine, plantée là, noyée sous d'affreuses perles de chagrin et un soleil qui la trahit, sanglote entre nos deux énormes valises marron. Je fus tellement occupés à piétiner mes souvenirs que je n'ai pas remarqués la petite vagabonde d'un mètre trente qui avait pris quartiers sur les sièges passagers.
Le vent écorche ma joue, griffe ses mains et violente nos cœurs, nos cœurs si pénibles et las. Mon séducteur est grave. La petite s'appelle Clara. C'est elle qui, le soir précédent, était restée m'écouter chanter ma vie au coucou et qui m'avait effrayé -sans le vouloir. Elle aussi a lu L'horloge de Maître Humphrey. Elle est minuscule mais lit déjà beaucoup. « Il est super, le bouquin. » Elle dit qu'elle aussi, elle voulait voyager, faire tout comme moi. Parce que, c'est bien ce que j'avais dit, moi, que je m'étais enfuie, « n'est-ce pas ? ». Mais voilà qu'elle ne veut plus. Sa tante lui manque.
« Alors, on fait quoi, petite maligne ? » Me lance mon compagnon, le regard comme la vase : souillé et torturé ; et pourtant tellement brillant.
Qu'est-ce que j'en sais, moi, d'abord ?
La station est toute calme. Les grands sapins gesticulent et valsent aux éclats de la complainte du vent. Le haut des montagnes est blanc, « comme une glace à la vanille, ou au chocolat blanc. » C'est Clara qui me dit cela, à l'oreille. Je ne peux pas la laisser. Elle remonte dans la voiture, lui était parti chercher un encas. Je le rejoins.
« Tu ne crois pas que nous devrions camper ? Et c'est promis, demain, nous la ramènerons là-bas, mais s'il te plaît, elle voulait s'envoler, comme toi. Comme moi aussi, oui. »
Le Deadman Lake. C'est un drôle de nom pour un lac comme celui-ci. Il est de la couleur de ciel. L'onde est si belle lorsque le jour se couche dessus, lorsqu'il pose sa tête maladroite pour soulager les yeux des Hommes somnambules, alors que lui, lui que le temps épuise, lui que le travail accable, lui ne dormira peut-être jamais.
Le crépuscule est brûlant mais l'eau rafraîchit nos corps amorphes. La fillette chantonne près des flots. Moi je me suis perdu dans les bras chauds de mon amant, tremblante comme une jeune fille et creusée comme une épouse. Le repas est prêt, le feu crépite, la brume nous embrasse.
La Nova comme refuge et l'esprit sous une nappe d'espoir, le feu, à présent, s'essouffle. Mes yeux s'endorment, mon visage appuyé sur les courbes d'un tendre ami et une enfant cachée sous mes bras.
Silver Plume, Colorado.
C'est ici, je le sais, la fin de mon histoire. Alors qu'une petite fille rit aux bêtises de son ami maintenant, le panneau a filé, une fois de plus. Nous voilà revenu. Le temps est ainsi le même que lorsque nous l'avons laissé.
La gamine s'en repart et nous sommes seuls. Et moi je pleure, et lui m'embrasse.
Très beau texte, poétique à souhait. Une faute à corriger : faussé compagnie au lieu de fossé compagnie"
· Il y a plus de 10 ans ·Catherine Caroff
J'en ai pris note, merci beaucoup, pour tout.
· Il y a plus de 10 ans ·Hawk
C'est magnifiquement mené. Les mots chantent, les émotions dansent.... J'aime beaucoup!
· Il y a plus de 10 ans ·Deux ou trois petites choses à corriger, dont: "Elles tombent dans un bouquant (boucan) atroce" et "lui était partit (parti)" et "lorsque qu'il (lorsqu'il) pose sa tête maladroite "
Frédéric Clément
Merci infiniment pour votre correction et vos délicieux mots doux, ils me donnent un petit peu d'espoir !
· Il y a plus de 10 ans ·Hawk
N'ayez pas trop d'espoir!... Mais ayez de la confiance!
· Il y a plus de 10 ans ·Frédéric Clément