Slush Money

Juliet

-Chantez-moi une chanson.

Et le garçon de se lever de sa chaise, marcher en silence comme un automate vers l'homme assis qui, instinctivement, lui tend les bras.
C'est l'habitude. Il sait que, lorsqu'il se lève, c'est qu'il va venir se blottir contre lui.
Le garçon s'assied sur ses genoux, entoure ses épaules de ses bras, et le dévisage de ses grands yeux d'un bleu océan. Il a l'air éberlué, une moue boudeuse ramollit ses lèvres tendres et roses, il semble impatient parce que sa jambe se balance machinalement d'avant en arrière mais il ne dit rien. Il attend, juste. L'homme sourit, le dévore du regard, leurs visages sont à deux ou trois centimètres l'un de l'autre seulement, et puis alors, l'homme entonne :


-Maintenant tout s'est évanoui,
tout comme ce monde oublié.
Mon cœur est en train de disparaître.
Ah, bien-aimée Maria,
dis-moi où es-tu ?


Sa voix est grave et lisse, a la simplicité, la complexité et la transparence d'un ange finement taillé dans le plus pur cristal. Le garçon l'observe, silencieux. Ses paupières jamais ne clignent, son visage jamais ne change d'expression, il écoute simplement, attentivement, et s'imprègne du mieux qu'il le peut de cette voix afin de l'apprendre.
-Je dis au revoir à ces jours ;
la tragédie a dépassé ses limites.
Parce que je veux te voir, du fond du cœur…


Il chante, ses yeux dans les siens, comme si ces mots lui étaient proprement dédiés. Le garçon sait, pourtant, que ce chant ne lui appartient pas, et que ces minutes qu'il est en train de vivre ne reviendront jamais. C'est pour cela qu'il se tait et écoute. Pour se laisser bercer et enchanter par cette voix d'homme si envoûtante et caressante.
Il a envie de pleurer mais ne le fera pas.
-Je me réveille et par-delà mon rêve, je murmure
"Ne t'en va pas".

Le garçon enfouit son visage au creux du cou de l'homme et laisse couler ses larmes. Toute la honte et ce chagrin qu'il ressent, il voudrait les étouffer contre lui, les écraser entre ses bras, mais il n'y arrive pas. L'homme continue à chanter, inlassable. Il n'arrêtera pas tant que le garçon ne le lui demandera.
-Le vent de cette saison est ma sérénade…


-Tu triches.
Le garçon a relevé la tête, et ne voilà-t-il pas que l'homme se retrouve en face à face avec un visage baigné de larmes, bougon, qui le scrute d'un air réprobateur. Lui, il penche la tête de côté en signe d'incompréhension.
-Cette chanson. Elle n'est pas de toi. Même si elle est belle, tu triches.
L'homme rit. C'est un rire élégant et retenu qui pourtant ne peut cacher son réel amusement. Le garçon donne une tape innocente sur son épaule, furieux.
-Ce n'est pas drôle ! Je vous dis que vous trichez. Vous n'en avez pas le droit. Ne me prends pas pour un idiot.
-Je ne te prends pas pour quelqu'un de tel, déclare l'homme avec tendresse tout en rivant sur lui ses yeux brillants et malicieux. Si je ris, c'est que tu ne sais pas où tu vas.


Le garçon desserre son étreinte et, sans un mot, vient se plaquer dos contre le mur, tête baissée, avant de sortir un mp3 de sa poche. Il met les écouteurs, démarre la musique et marque le rythme de son pied, marquant par-là même la distance psychique qu'il installe entre lui et l'homme.
-Tu écoutes beaucoup trop fort.
Le garçon pousse un cri rageur lorsque l'homme lui arrache les écouteurs de force et les lui confisque. Il essaie de les reprendre dans la poche du voleur mais, dans une hilarité non retenue, l'autre le repousse avant de revenir s'asseoir. Le garçon reste figé, indigné, tandis que l'homme commence à rédiger un bref rapport sur un papier.
-Tu me tutoies, puis me vouvoies, puis me tutoies et me vouvoies, dit-il sans lever les yeux de sa feuille. C'est la raison pour laquelle je riais.
Le jeune homme a voulu rétorquer quelque chose mais s'est résigné et, dans une moue bougonne, s'est laissé affaler sur le bureau. Allongé là comme si de rien n'était, il a pensivement tendu ses bras fins vers le plafond sinistrement éclairé.
-Eh bien, je ne sais pas.
-Tu ne sais pas ? a répété l'autre, intrigué.
-Oui. La distance que je dois mettre entre nous. Je ne sais pas.
-Il me semble que, depuis le début, c'est toi qui as cherché à tout faire pour effacer la moindre distance entre nous, non ?
-Et vous faites allusion à quoi en disant cela ?
-Mais, à ta proposition. Terukichi, j'avais renversé du café sur le bureau.

Le dénommé Terukichi s'est précipitamment redressé et a frôlé le torticolis pour examiner son dos.
Il a soupiré et a reporté son regard translucide sur l'homme.
-Oui, mais toi, tu n'as pas effacé la distance comme je le voulais.
-Bien sûr que je l'ai fait.
-Non ! Yuki, ce n'est pas ce dont nous étions convenus.
-Mais moi, cela me va ainsi.
-Vraiment ? Moi, cela me paraît malhonnête.
-Que veux-tu dire ?
-Comme l'échange n'est pas équitable, puisque vous refusez la part la plus importante de ce que je vous offre, j'ai l'impression que vous avez le dessein de me trahir.

Dans un sourire espiègle, Yuki s'est approché du garçon et a avancé son visage à une distance à la limite de la décence du sien. Inflexible, Teru s'est contenté de le défier. Et Yuki a passé ses mains dans les cheveux d'argent du jeune homme.
-Qui sait ? Peut-être que j'ai fait semblant d'accepter pour te mettre en confiance et ainsi mieux te tromper. Les coups bas, il y en a autant dans le crime que dans la Police.
-Je n'ai jamais rien eu à voir avec le crime, a rétorqué Teru avec acidité.
-Peut-être, rit Yuki. Mais moi, je suis de la Police. Ce envers et contre tout.

Ils se sont dévisagés longtemps comme ça, l'un rieur, l'autre froid, puis Yuki s'est détaché de lui et, s'adossant au mur, a sorti un paquet de cigarettes de sa poche avant de constater avec déception qu'il était vide.
-D'habitude, quand la Police veut faire avouer, elle a recourt à la violence.


Teru avait dit cela d'un ton pur et simple. Yuki a levé des yeux ronds vers lui, et le visage empli de candeur de Teru l'a frappé. Cette bouille d'un ovale parfait et diaphane, ces grands yeux bleu profond, et ces jambes qui se balançaient innocemment du bout de la table, tout ça l'a déconcerté.
-Alors, si tu veux me faire avouer, même si je suis innocent, pourquoi tu ne me frappes pas ?

Yuki a détourné le regard et, fait étrange, il tenait son bras plié tendu, et tandis que ses autres doigts étaient repliés, il avait son index et son majeur dressés, légèrement écartés, comme s'il y tenait une cigarette invisible.
-Tu es masochiste ?
-Bien sûr que non, soupira Teru.
-Alors, pourquoi tu me poses cette question ?
-Parce que… je ne comprends pas. Vous acceptez de m'aider, ou non ? Si ce n'est pas le cas, inutile de faire semblant. Je céderai à la violence plus rapidement que si vous essayez de me soudoyer en feignant la gentillesse.
-Bien. C'est ainsi que cela fonctionne, je l'avoue. Mais ne suis-je pas en quelque sorte ton associé ?
-Associé ? Non, je ne suis l'associé de personne. Moi, je suis un monnayeur. J'échange une valeur contre une autre valeur, c'est aussi simple que cela. Je devais vous donner une chose, en échange de quoi vous m'en donniez une autre. Seulement, vous me donnez ce que je désire sans accepter ce que je vous dois. Il est donc légitime que je vous soupçonne de me soudoyer.
-Dans ce cas, pourquoi est-ce que tu n'avoues pas ? rétorqua Yuki en lui lançant un regard malicieux.
-Je ne peux avouer un crime que je n'ai pas commis.
-Mais tu sais que tu l'avoueras un jour, si telle est mon intention.

Teru a passé ses mains sur son visage, l'air subitement harassé, et dans un geste désespéré il est venu poser son front contre l'épaule de Yuki.
-Le problème, c'est que tu n'es pas sûr que telle est mon intention, pas vrai ?
-Tu es odieux, souffla Teru.
-Comme je te comprends. En théorie, tu n'as aucune raison de me faire confiance. Pourtant, mon comportement est celui du parfait allié. Il y a de quoi être tourné en bourrique.
-Chantez-moi une chanson.
-Teru…
Le garçon n'a pas répondu. Il semblait dormir, le visage enfoui au creux de son cou, mais il avait les yeux grand ouverts.
-Je ne suis pas attiré par les gamins qui pleurent sur mon épaule. Et je suis censé coucher avec un garçon comme toi ?







-Alors ?
-Toujours rien.
-Quoi ? Tu n'as rien pu tirer de lui ?
-Rien.
-Tu rigoles ? C'est quoi ton problème en ce moment ?
-Je n'ai aucun problème. Ce garçon ne dit rien, c'est tout.
-Eh, attends, c'est rien qu'un gosse, là. Tu vas me dire que tu ne sais pas t'en occuper ? Yuki, tu en as fait avouer des bien plus durs que lui.
-Oui, mais lui, soit il me jure qu'il est innocent, soit il reste muet comme une tombe.
-Muet, c'est vite dit. Je l'entends hurler de douleur depuis mon bureau.
-Cela, c'est quand je le frappe.
-Et il ne dit rien quand tu le frappes ?
-Au contraire. Plus je le frappe, plus il se renferme.
-Merde ! Mais on sait que c'est lui le coupable !
-Je n'en suis pas certain.
-Il était sur les lieux du crime.
-L'on dit que ce sont les absents qui ont tort.
-Mais il n'a opposé aucune résistance quand on l'a capturé.
-Justement. Peut-être qu'il se disait qu'il aurait été plus que douteux de s'enfuir. De plus, il s'est dit sans doute que, étant innocent, il ne risquait rien. Ce doit être le genre naïf, tu vois. Qui croit que le monde est beau et gentil, il a dû simplement se dire que la justice allait découvrir le vrai coupable et le libérer.
-Tu as une autre solution ?
-Quoi ?
-Pour ce gamin. Soit tu le lui fais avouer, envers et contre tout, soit tu trouves le vrai coupable si tu penses qu'il est innocent. Mais si on n'a personne à foutre derrière les barreaux pour cette histoire d'ici quelques temps, c'est nous qui allons casquer.
-C'est comme je me disais, a lâché Yuki en renversant sa tête en arrière pour expirer un fin sillon de fumée.
-Quoi ?
-T'es qu'une ordure.







-Je viens de comprendre pourquoi est-ce que tu ne voulais pas coucher avec moi, a subitement déclaré Teru en le rivant d'un regard fixe et sans expression.
Yuki, les mains jointes sur la table, s'est figé. Il a haussé les sourcils d'un air interrogateur.
-J'aurais dû y penser plus tôt. Mais il y a des caméras, ici. On ne peut pas faire n'importe quoi. D'abord, depuis le début, notre comportement est douteux. Pourquoi tu ne m'as pas mis en garde ? Bon, j'ai compris. Yuki, pour que tu couches avec moi, on peut aller à l'hôtel.

Le rire de Yuki a retenti, dénaturant l'atmosphère. Un rire d'abord rauque qui subitement devint glissant et cristallin. Ces milliers d'éclats de rire ressemblaient comme à autant d'éclats de cristal scintillant sous les rayons du soleil. Un rire doux et radieux, en somme.
-Ce n'est pas drôle, se vexa Teru, bougon. Moi, je suis sérieux.
-Oui, mais tu n'es qu'un idiot.
Teru allait l'invectiver, rageur, mais se ravisa aussitôt lorsqu'il vit le regard doux de Yuki se poser sur lui.
-La raison pour laquelle je ne couche pas avec toi, malgré notre accord, n'est pas celle-là. Il n'y a pas de caméra dans cette pièce, tu sais.
-Comment est-ce possible ? balbutia le garçon.
-Eh bien… il arrive qu'il se passe des choses interdites, dans cette pièce. C'est pourquoi ce qui s'y fait n'est pas filmé.
-Décidément, il n'y a que des ordures dans la Police, hein…

La voix de Teru s'est infléchie et il a baissé la tête, morose.
-Qu'est-ce qu'il y a ?
-C'est parce que je suis moche que tu ne veux pas coucher avec moi ?
-Peut-être.
-Mais alors, pourquoi tu m'aides si je ne peux pas te donner mon corps en échange ? C'était ça, le marché que je t'avais proposé. Si depuis le début tu n'avais pas envie, pourquoi tu as accepté ?

Teru a attendu, en vain, qu'une réponse ne vienne. Nonchalamment adossé au mur, Yuki allumait une cigarette avant d'en aspirer longuement la première bouffée.
C'est toujours comme ça, s'est dit Teru.
À chaque première bouffée, il ferme les yeux et avale la fumée.
Ce n'est qu'à partir de la deuxième qu'il la recrache.
-Il n'y a pas de pot-de-vin sans vin.


Et sur cette déclaration péremptoire, Teru a résolument marché vers Yuki avant de se coller intimement à lui, honteux mais déterminé. Ondoyant maladroitement des hanches comme une petite fille voulant apprendre à danser, il a soulevé sa chemise comme si de rien n'était.
-Mets-toi à nu, si ça te chante. Mais ne compte pas sur moi pour te toucher.


La chemise de Teru est tombée au sol, mais le garçon demeurait collé à lui, le torse nu et les bras ballants. Comme il avait la tête baissée, Yuki ne s'est pas immédiatement rendu compte qu'il pleurait.
-Tu n'aimes pas les hommes, c'est ça ?
-Les hommes, oui, a répondu Yuki dans un rire sardonique. Les bambins, non.
-Je ne suis pas un bambin ! protesta l'adolescent en levant vers lui un regard empli de reproches.

Il tremblait, les poings serrés, et tout son dos nu était couvert de frissons. Cette rage qu'il contenait, il n'était même pas certain de savoir contre qui elle était dirigée.
-Mince… J'ai dix-sept ans.
-C'est cela. Un gosse, donc.
-Tu as peur d'être accusé de détournement de mineur, c'est cela ?
-Non. Les corps trop jeunes, surtout les corps purs comme le tien, cela me dégoûte.
-Te dégoûte ? Purs ? a répété Teru comme s'il ne comprenait pas.
-Eh bien, oui. Tu es encore vierge, non ?

Les joues diaphanes de Teru se sont rosies, et il s'est hâtivement détourné.
-C'était évident. Tu joues au grand, mais dans le fond, tu ne connais rien au monde des adultes.
-Vous ne savez pas ce que vous dites, a déclaré Teru d'une voix blanche.
-Puisque tu es vierge, tu ne devrais pas vendre ton corps à la légère comme cela. Au moins pour la première fois, choisis bien la personne. Après, si tu veux te conduire comme un prostitué, libre à toi. Pour l'instant, suis mes conseils.
-J'agis comme bon me semble. De plus, vous ne pouvez pas affirmer que je suis vierge. Cela ne vous regarde pas, et quand bien même je le serais, cela ne m'ôterait pas le droit légitime de vendre mon corps à qui le veut. D'ailleurs, si j'ai voulu vous le vendre, ce n'était pas par plaisir, mais par instinct de survie.
-Justement. L'instinct de survie, ce n'est pas une bonne raison. Plus tard, tu le regretteras. Pour l'instant, tu y tiens seulement parce que tu as peur de la justice, et c'est bien normal, tu tiens à ta liberté et en cela, c'est un instinct de survie. Mais, plus tard, peut-être te diras-tu "j'aurais pu trouver un autre moyen". Oui, c'est cela que tu penseras plus tard avec amertume Teru. "Il y avait sans doute un autre moyen". Cela surtout si tu es innocent. Sacrifier ta virginité à cause d'un crime que tu n'as même pas commis, ne penses-tu pas que tu le regretteras plus tard ? Cela ressemblera plus à un suicide qu'à un instinct de survie. Non, décidément, cette raison n'est pas la bonne.
-Quelle est la bonne raison, d'après vous ? le défia l'adolescent avec colère.
-Pour faire l'amour, il faut de l'amour, non ?


Yuki a dit cela avec un regard interloqué, comme si la réponse lui semblait bêtement évidente, et ses yeux arrondis sur le coup donnèrent à Teru l'impression que l'homme avait rajeuni de dix années.
-Et ce qu'il me faut faire pour que je sois innocenté, tu peux me le dire ?
Teru n'attendait pas de réponse à cette question. Sentant un sentiment inexplicable de déréliction l'envahir, il s'est détourné de Yuki et est venu s'affaler contre un coin de la pièce, prostré.
Il a entouré ses genoux de ses bras et y a enfoui son visage, paupières closes.

Il n'a pas réagi quand la main de Yuki s'est posée sur son épaule.
-Pour être innocenté, commence déjà par être innocent.
Teru a levé le visage vers lui, ahuri, avant de fondre en larmes.







-Sérieusement, il faut que tu fasses quelque chose.
-Quelque chose ? a répondu Yuki en haussant les sourcils comme il feignait l'intérêt.
-Je veux dire, ça ne peut plus continuer ainsi.
-J'ai bien peur que tu aies raison, souffla l'homme en écrasant le mégot de sa cigarette sur le bitume.

Il s'est tu un instant, observant le mégot d'un air pensif, et puis, d'un geste vif mais presque robotique, il a ramassé le mégot entre ses doigts et l'a porté à la poubelle, à l'entrée de la grille qui enceintait le bâtiment. Son camarade l'a regardé faire, scié.
-Je suis content que tu le reconnaisses, a-t-il dit tandis que Yuki revenait. Ce jeune, il est bien plus coriace qu'il en a l'air, le bougre ! Alors, tu as trouvé un moyen pour le faire parler ?
-Qui a parlé du jeune ? Ah, c'est quoi son nom, déjà ? fit Yuki qui jouait parfaitement la comédie. Terukichi…
-Cela fait des semaines que tu le traînes ici, et tu ne te souviens pas de son nom ?
-Je suis lassé des interrogatoires. De plus, je te le dis : c'est inutile. Il est innocent, cela, j'y crois dur comme fer.
-Ben tiens. Et moi, j'ai découvert l'Amérique.
-Je ne blague pas. Coupable, il aurait craqué depuis longtemps. Et puis, cela se lit sur son visage. Il est convaincu, obstiné et serein. Il a confiance parce qu'il sait qu'il n'a rien à se reprocher. C'est un signe qui ne trompe pas. Il ne peut accepter d'être condamné pour un crime qu'il n'a pas commis, aussi il préfère subir la pression, la fatigue et même les coups plutôt que ça.
-Alors, qu'est-ce que tu comptes faire, merde ?
-Laisser partir le gosse, pour commencer.
-Hors de question. Ne songe même pas à faire ça sans que l'on ait la preuve de son innocence, et sans que l'on ait quelqu'un d'autre en piste.
-Il frôle la crise de nerfs.
-On ne la frôle pas, nous ?
-Ce n'est qu'un gamin ! Nous n'avons pas le droit de lui infliger ça.
-C'est notre devoir.
-Notre devoir est de rendre la justice. Moi, je n'en peux plus de le frapper comme ça pour qu'il continue seulement de se taire.
-Il n'y a que toi qui peux t'en charger. Je veux dire, tu es le mieux placé. Ça ne te fait rien, d'habitude !
-Avec lui, c'est différent. C'est un gosse, et il est innocent. Je n'ai pas le droit de faire ça.
-Et ses parents ?
-Ses parents ?
-Ben, oui. Ils ne font rien ?
-Il est en maison d'accueil. Alors…
-Yuki, rassure-moi sur une chose.
-Quoi ?
-Tu ne l'as pas pris en pitié, au moins ?
Yuki l'a dévisagé, méprisant, avant de rentrer à l'intérieur du bâtiment, les lèvres étirées en un rictus amer.








-Tu ne veux pas me le dire ?
-Quoi donc ? marmonna Teru qui, depuis qu'il était entré dans la pièce confinée, n'avait pas levé une fois les yeux vers Yuki.
-La raison pour laquelle tu as voulu voler tout cet argent.
-Ce n'est pas moi.
Teru disait cela avec lassitude plutôt qu'avec colère ou peur. Pourtant, le ton sur lequel Yuki avait dit ces mots montrait qu'il ne laissait aucune place au doute. Dans un soupir éreinté, Yuki s'est approché de lui et, passant son index sous son menton, l'a forcé à soutenir son regard. Les yeux du garçon brillaient, larmoyants.
-Nous avons passé un accord, non ? Tu ne risques rien. Si je te demande cela, c'est par pur intérêt personnel. J'ai besoin de savoir.
-Ce n'est pas moi, a répété Teru d'un ton neutre.
Sur la chaise, son pied se balançait nerveusement. Yuki s'est agenouillé et l'a dévisagé, l'air grave.
-C'était par envie ? Ou par nécessité ?
-Ce n'est pas moi.


Il ressemblait presque à un robot programmé pour répéter la même phrase. Ses traits ne laissaient déceler aucune expression, aucun sentiment.
-Ne dis pas de bêtises. Tu étais là, seul, les témoins n'ont vu personne d'autre que toi, et tu avais cet argent sur toi. Que peux-tu dire pour ta défense ?
-Ce n'est pas…
-Tu me le diras, si je couche avec toi ?

Teru s'est figé, inerte. Dans ses yeux de glace s'est frayée une lueur évanescente. Une lueur qui lui rendit le regard vacillant, une lueur qui mêlait crainte et espoir. Il a ouvert les lèvres, tremblantes, mais incapable d'en sortir le moindre son il s'est mis à secouer la tête avec frénésie, et s'est rabougri au fond de sa chaise, repliant ses genoux contre sa poitrine comme pour se protéger.
-Pourquoi ?
-Ce n'était pas ce que nous avions convenu, articula l'adolescent, troublé. Je devais coucher avec vous pour que vous m'innocentiez ; il n'était pas dit que vous coucheriez avec moi pour que je vous dise que je suis coupable.
-Alors, tu l'es, n'est-ce pas ?
-Non !
-Tu l'es, affirma Yuki avec conviction. Cela, je le sais et tu ne m'ôteras pas cette idée de l'esprit parce que tu as une bouille d'ange. Ce que je veux savoir, à présent, est pourquoi tu l'as fait.
-Je vous le jure ! s'écria Teru en se jetant à genoux, agrippant avec déréliction les bras de Yuki qui demeurait implacable. Ce n'est pas moi ! Pourquoi ? Pourquoi je devrais être forcé à dire un mensonge ? C'est me faire enfermer que vous voulez, c'est cela ? Dans ce cas, puisque vous êtes si certain de ma culpabilité, allez-y, condamnez-moi ! Moi, je n'en peux plus. Vous n'avez pas besoin que j'avoue pour ça. Il vous suffit de vouloir emprisonner un homme, même innocent, pour pouvoir le faire, non ?
-C'est exact, reconnut Yuki sans émotion -du moins fut-ce ce qu'il laissait paraître.
-Alors, pourquoi poussez-vous la torture si loin ? Condamnez-moi, puisque vous en avez le pouvoir, puisque vous en avez sans doute le cœur aussi !
-Je ne peux pas le faire aussi facilement. Je veux te laisser une chance.
-Une chance ?
Les traits tirés par une gravité intense, Yuki a saisi la main de Teru et l'a forcé à se redresser pour lui faire face.
-Tu peux me faire confiance, Teru. Ce que je te dis est toute la vérité. Alors, soit tu me dis la raison pour laquelle tu l'as fait, et tu es libre, soit tu ne me le dis pas, et tu es condamné.

Mais il a continué à se taire. Bien qu'il avait changé d'expression, bien qu'il semblait aussi horrifié que s'il attendait le bûcher, Teru a scellé ses lèvres, fermé son cœur et son âme et n'a rien dit.
En silence, Yuki est sorti de la pièce.







-Qu'est-ce que tu fais ?
-Je prends ma pause, ça ne se voit pas ?
-Et le gosse ? Tu l'as laissé seul ?
-Mais oui.
-Tu n'as pas peur qu'il fasse une connerie ?
-J'ai fermé à clé, tu me prends pour un imbécile ?
-Je ne parlais pas de fuite, enfin ! Mais s'il se suicidait ?
-Se suicider ? répéta Yuki avec consternation comme s'il découvrait ce mot. Mais, pourquoi ?
-Oh, tu as oublié ? Ce coup-là, on nous l'a déjà fait…
-Je n'ai pas oublié, assura Yuki avec une grimace.
Sur ces mots, il examina sa cigarette qu'il venait d'allumer et en approcha l'extrémité incandescente tout près de son œil pour l'observer, si bien qu'il semblait vouloir se brûler. Mais après un instant d'intense observation il écrasa la cigarette entière entre ses doigts et la jeta au dehors où elle se consuma lentement.
-Mais, Terukichi ne peut pas faire une tentative.
-Comment en es-tu si sûr ?
-Ce n'est pas son genre, je suppose.
-Tu "supposes ?" Eh, Yuki, tu as quoi dans le crâne ? Ce sont ceux de cet âge qui posent le plus de problèmes. Ce qu'il s'est passé il y a un an, après que ce jeune se soit étouffé en se mordant la langue… Moi, d'une manière ou d'une autre, je ne veux plus vivre une chose pareille.
-Moi non plus, fit Yuki qui gardait les yeux rivés au sol, distrait, comme s'il réfléchissait profondément.
-De toute façon, on n'a pas le droit de les laisser seuls.
-Mais toi, c'est différent.
-Quoi ?
-Tu ne veux pas que ça recommence, bien sûr. Mais c'est pour ta carrière, non ? Dans le fond, qu'il vive ou qu'il meure, Terukichi, qu'est-ce que ça te fait ? Puisque tu serais prêt à l'emprisonner alors qu'il est innocent pour éviter le moindre ennui.
-Qu'est-ce qui te prend ?
-Je suis désolé. Je suis nerveux, s'excusa Yuki qui pourtant pensait qu'il n'avait pas tort.

Il a adressé un salut succinct à son collègue et, sans plus attendre, s'est dirigé vers la pièce où était enfermé Teru.



Il a poussé un soupir de soulagement en ouvrant la porte.
Teru, assis sur la table, les genoux repliés contre sa poitrine, a levé vers lui un regard interrogateur.
-Qu'est-ce qu'il y a ? dit-il, et dans sa voix Yuki décela un fond d'angoisse.
-Rien. Je pensais que tu avais pu faire une bêtise.
Teru le considéra un moment, méfiant, avant de cracher :
-Alors, ça y est ? Je vais être condamné, c'est ça ?
-Mais non.
-Pourquoi êtes-vous sorti, alors ? Je ne sais pas ce que vous manigancez, mais sachez que, même enfermé, je continuerai à clamer mon innocence.
-Bon Dieu, tais-toi. Je ne vais pas te trahir tout de suite.
-Que voulez-vous dire ?
-J'attendrai quelques jours. Que tu m'avoues cette raison qui t'a poussé à agir ainsi.
-Je n'ai rien à dire, puisque ce n'est pas moi.
-Pourquoi est-ce que tu t'obstines ? Tu ne vois pas que j'essaie de t'aider ?
-Je ne comprends pas votre manière de procéder.
-Je ne comprends pas la tienne. Tu ne fais que t'enfoncer. Tu as des choses à me dire. Cacher un secret qui nous pèse sur le cœur est nocif pour l'âme. Tu te sentiras mieux une fois que tu me l'auras dit, et je jure que tes mots resteront enfermés en moi et jamais n'en ressortiront.
-Comme si je pouvais vous faire confiance, rétorqua amèrement Teru.
-Et c'est avec un homme en qui tu n'as pas confiance que tu veux coucher pour t'assurer la liberté ? Qu'est-ce qui te manque, dis ? La logique ? La dignité ?

Yuki était affreusement en colère. Tellement que Teru s'est raidi de peur, craignant que son attitude n'amène l'homme à le punir sévèrement. Le regard calme, voire tendre, qu'il avait l'habitude de voir en Yuki était devenu noir et cinglant. Sans même s'en rendre compte, l'adolescent s'est mis à trembler. Il a enfoui son visage au creux de ses bras et a secoué la tête, les lèvres serrées à travers lesquelles s'échappaient de furtifs gémissements de terreur.
Yuki l'a observé un moment puis a poussé un soupir de lassitude, frottant longuement son visage qui peu à peu se détendit. Contrit, il s'approcha de l'adolescent qui eut un mouvement réflexe de recul lorsqu'il posa sa main sur son épaule. Mais la voix douce de Yuki l'apaisa et alors, il se laissa timidement aller contre sa poitrine, cachant la honte rosissant sur ses joues.
-Je suis désolé. C'est que tu es insupportable, tu sais. Au début, c'est toi qui me supplies et me déclares t'en remettre à moi envers et contre tout, en me promettant de faire tout ce que je voudrais, pour que je t'aide… Mais tu ne peux pas me faire confiance. Oui ou non, est-ce que je dois t'aider ou abandonner ?
-Faites donc ce que vous voulez, à présent, fit la voix étouffée de Teru.
Dans un sourire désabusé, Yuki caressa lentement les cheveux du garçon avant de murmurer :
-Te chanté-je une chanson ?


Il n'a rien dit. Mais parce que Yuki a senti qu'il se lovait plus profondément encore contre lui, il a entonné :
-Cette nuit où je ne peux dormir se poursuit, interminable.
Je veux te voir.
Le temps semble ne pas passer…
Ma chanson est longue.
Il n'y a aucun doute ; au loin,
sur cette route où nous marchions,
nous nous étions fait une promesse, non ?


Teru a levé le visage vers lui et Yuki a vu qu'il pleurait. Sans cesser de chanter d'une voix mélancolique, il a caressé le visage du jeune homme comme il l'eût fait de son enfant. Et Teru sentit son cœur s'abandonner, son âme s'apaiser. Doucement, il a appuyé sa joue contre l'épaule de l'homme.
-Mon cœur est cadenassé.
J'ai peur de tout…
Jusqu'où devrai-je encore aller ?
Je n'ai plus la force de marcher…
Si je ne détruis pas mes rêves,
c'est parce que je peux t'y rencontrer.
Mais tu y disparais à nouveau, tellement vite.
Oui… Juste comme une étoile filante.

Yuki a senti les lèvres, douces et humides de larmes de Teru, s'appuyer contre son cou. Il n'aurait su dire alors s'il l'embrassait ou bien si simplement, ses lèvres étaient appuyées contre lui parce que son visage l'était aussi. Mais comme pour l'inciter à ne pas cesser, ou peut-être à ne pas ressentir de honte, Yuki a posé sa main contre la nuque du jeune homme qui frémit, à peine perceptiblement. La chanson continuait, sans cesse. C'était comme si chaque phrase n'avait pas de fin.

-Ce rêve que je vivais avec toi
s'est changé en la clef de mon cœur,
afin que cet horizon nocturne disparaisse,
noyé dans la lumière de l'aube.
Ah… Mon cœur continuera de brûler en ma poitrine.

Sa voix était étranglée par l'émotion, à présent. Et chaque mot sortait de lui comme une peine supplémentaire, mais une peine, qui, puisqu'elle fuyait, le soulageait.
-En allant au-delà de ce portail clos,
Ô, Musique…
-Éclaire les ténèbres.


Ils se sont dévisagés en silence, à travers les rideaux transparents dans leurs yeux qui rendaient tout flou. Yuki a souri, a ri aussi, l'a caressé, mais Teru semblait ne pleurer que de plus belle.
-Je la connais. Pourquoi est-ce que tu ne chantes jamais des chansons qui viennent de toi ?
-Peut-être parce qu'elles ne seraient pas belles, si elles venaient de moi.
Teru a subitement eu l'air grave et il allait dire quelque chose lorsque, soudain, il s'est ravisé. À la place de cela, il a souri et a dit d'un ton enjoué :
-Ce serait sans doute même affreux.
-Je suis assez affreux pour que tu aies envisagé de coucher avec moi, a murmuré Yuki.
Ce qu'il ressentait à ce moment-là, lui-même n'aurait su le dire. Un mélange de calme, de joie mais de déréliction aussi qui l'empêchait de penser dans un ordre logique. Et Teru eut subitement l'air harassé.
-Dites, Yuki… Vous le ferez vraiment, pas vrai ?
-Quoi donc ?
-M'inculper.
Bien qu'il semblât le faire à regrets, Yuki hocha la tête. Et Teru a baissé la sienne.
-De toute façon, c'est votre devoir. Et à moi, vous ne me devez rien. Je me demande ce que j'ai à perdre, encore une fois…

Teru a fait une chose étrange. Il a délicatement repoussé Yuki et alors, s'est mis debout sur la table. Il a toisé l'homme d'un regard dur, mais avec un sourire qui contrastait de par sa douceur, et, au moment où Yuki s'y attendait le moins, Teru s'est laissé basculer en avant, les yeux fermés.

Tout s'est mélangé dans sa tête. La sensation de la chute, le cri d'horreur de Yuki, le choc lorsqu'il s'est heurté contre lui, lorsqu'il se sont heurtés contre le sol, lorsque Yuki a gémi de douleur, lorsqu'il a passé ses bras autour de lui, lorsqu'il prononçait une série de mots fiévreux et paniqués "tu es fou, mais tu es fou, que fais-tu bon sang ? Ce n'est pas un jeu !" et puis, lorsque lui-même a réalisé toute l'absurdité et le danger de son acte, lorsqu'il a eu peur, lorsqu'il s'est senti impuissant, lorsqu'il a ressenti qu'en Yuki il voulait mettre toute sa confiance sinon, il s'effondrerait, alors, dans un murmure pris par les sanglots, étouffés, il a dit :
-Avec cet argent, je voulais juste m'en aller loin.


Et loin, Teru a senti qu'il s'en allait. Avant qu'il n'ait pu esquisser un geste, murmurer une parole, avant qu'il ne puisse lancer à Yuki un regard suppliant, Teru s'est endormi.







Lorsqu'il s'est réveillé, il s'est redressé en sursaut, horrifié, balayant de ses yeux exorbités la chambre inconnue. D'un bond il a sauté du lit mais alors, un vertige l'a pris et il s'est laissé choir à genoux sur le sol. Il lui semblait que c'était de la faiblesse qui coulait dans ses veines, et il s'est mis à haleter bruyamment. Il a posé sa main sur son cœur, cherchant par-dessus tout à calmer sa panique, mais elle s'est accrue et son cœur a sauté un battement comme il hurlait lorsque la porte de la chambre subitement s'est ouverte et que Yuki est apparu sur le seuil, un verre d'eau à la main.

Il est resté figé, rigide, regardant l'adolescent avec plus de surprise que d'inquiétude, puis dans un soupir désabusé est entré et, après avoir posé le verre d'eau sur une table de chevet, est venu s'agenouiller à hauteur du garçon pour le prendre dans ses bras. Mais celui-ci l'a repoussé, les yeux exorbités en une expression de terreur et d'incompréhension comme si une créature surnaturelle se trouvait en face de lui.
Yuki l'a interrogé du regard, troublé par ce subit rejet.
Mais le garçon, au bord des larmes, secouait frénétiquement la tête et gardait les lèvres serrées comme si les mots qui eussent pu s'en échapper étaient souillés. Se remettant debout comme si sa faiblesse s'en était subitement allée, il s'est jeté sur le lit et s'en est recouvert des draps tout entier.
Alors, Yuki a compris. Contrit et honteux, il s'est lentement relevé et s'est approché, sans faire de bruit pour ne pas plus l'effrayer, vers la forme repliée sous les draps qui, visiblement, tremblait.
-Terukichi, je n'ai…
Sous sa main, le frêle corps tout entier s'est raidi et les épaules, si fines, se sont violemment convulsées. Des gémissements étouffés parvenaient de sous les draps blancs, entrecoupés par ce qui semblait être des sanglots. C'est avec une sincère tendresse que Yuki a étreint contre lui cette silhouette recroquevillée qui, au contact indirect du corps, a frissonné.
-N'aie pas peur, je t'en prie.
Mais Terukichi n'a pas bougé. Plus que du courage, cela semblait être de la résignation. Pourtant, Yuki le sentait, il était horrifié. Et la voix étranglée et rauque du garçon lui est parvenue :
-Vous pouviez le faire…J'étais d'accord, vous le pouviez… Mais pas comme ça.

Le visage de Yuki a blêmi. Un rire s'est échappé d'entre ses lèvres, un rire nerveux qui, au lieu de détendre ses nerfs, les ont tendus un peu plus.
-Qu'est-ce que tu racontes ? fit-il fébrilement.
-…Coucher avec moi. Vous en aviez tous les droits, puisque c'était notre accord mais… vous avez profité du fait que j'étais endormi pour…
-Tais-toi.
Il avait prononcé ces mots d'un ton rude qui ne permettait pas la désobéissance et d'un seul coup, Teru se retrouva totalement découvert. Instinctivement, il a replié ses jambes nues contre sa poitrine et a enfoui son visage au creux de ses bras.
-Je ne te donne même pas la permission de penser à ce genre de chose une seule seconde, Terukichi ! Es-tu fou ? Me prends-tu pour un satyre ?! Que penses-tu que j'aie fait ? Juste parce que tu te réveilles en caleçon, tu penses que je t'ai violé ?!
-Ce n'est pas un viol, gémit Teru, tremblant de peur. Vous aviez mon accord seulement, j'ai honte de me dire que j'étais alors inconscient…
-N'en dis pas plus. Tu me dégoûtes. Je ne t'ai pas touché, Teru.


Comme l'adolescent pleurait de déréliction, et parce qu'il se sentait misérable, ainsi offert au regard de Yuki tandis qu'il était presque nu, l'homme a laissé s'envoler toute sa colère et, avec une tendresse infinie, a saisi les poignets du jeune homme et l'a forcé à soutenir son regard. Des lits de rivières de larmes avaient été creusés sur ses joues, mais son regard était si grand, si brillant que Yuki s'y perdit un instant. Puis il sortit de sa profonde torpeur avant de déclarer d'une voix douce :
-Je mens, Terukichi. Bien sûr que je t'ai touché. Si je ne t'avais pas touché, tu ne te retrouverais pas ici chez moi, et tu ne serais pas en caleçon, pas vrai ?
Teru a hoché la tête, sagement en voulant paraître serein, parce qu'il voulait l'être réellement, mais son visage trahissait sa peur.
-Après que tu te sois évanoui, Teru, j'ai pensé appelé les urgences… mais je crois que ça n'aurait pas été une bonne idée. Alors je t'ai ramené chez moi et t'ai allongé. Mais très vite, tu t'es mis t'agiter durant ton sommeil, et tu transpirais tellement, tellement si tu savais, de la sueur froide. Tes vêtements étaient trempés alors, je les ai ôtés et lavés et j'ai attendu que tu te réveilles… Tu as semblé t'apaiser alors je suis parti, et lorsque tu m'as vu entrer, je venais m'assurer que tu ne faisais pas une nouvelle crise.

Peu à peu, le visage livide de Teru reprenait des couleurs, ses larmes s'asséchaient, sa peur se dissipait. Mais les frissons continuaient à couvrir sa peau comme des brailles de froid, alors Yuki passa sa main derrière la nuque du garçon et, le relevant délicatement, l'a étreint contre sa poitrine avant de le recouvrir du drap.
-Tu as fait des cauchemars ?
-Je ne me rappelle pas…
Il avait dit cela d'un ton évasif, éludant le sujet. Puis, continuant toujours de trembler comme si le froid venait de lui-même plutôt que de l'extérieur, il a levé vers Yuki un regard qui eût fait fondre le plus aride des cœurs.
-C'est la vérité, dites ? Vous ne m'avez pas touché ? Je veux dire… vous ne m'avez pas…
-Sache une chose, Teru. Je te le dirai une fois, pas deux. J'accepte que, dans le cadre de mon métier, tu me soupçonnes de n'être pas allié avec toi et d'essayer seulement de te faire avouer que tu es coupable. Cela, je l'accepte sans mal, Terukichi, mais me soupçonner d'une chose pareille, je ne t'en donne pas le droit.
Humainement, je ne pourrais jamais aller aussi loin dans l'atrocité. Je veux bien être un traître, mais pas un monstre.

-Je suis désolé, a fini par déclarer sombrement Teru après un long silence pesant. J'avais oublié… moi, je vous dégoûte.
-Ne mélange pas tout ! s'agaça Yuki. Pour commencer, cesse de te déprécier dans l'unique but que l'on te rassure ! Et de plus, même si tu m'attirais, je ne t'aurais pas touché sans ton autorisation ! Avoir un cœur, de la morale et du respect te semble-t-il si irréaliste ?
-J'ai compris ! hurla brusquement Teru en lui lançant un regard assassin. Cessez donc de me crier dessus !
-Qui est celui qui est en train de crier ?
Le visage de Teru s'est littéralement décomposé. Ainsi blotti dans les pans de son drap qu'il resserrait avec force autour de lui comme de crainte de mourir de froid, il paraissait encore plus frêle, plus vulnérable. Yuki a dû se faire force pour ne pas le serrer dans ses bras. Il lui semblait que trop d'affection aurait pu faire au jeune homme plus de mal que de bien.
-Embrassez-moi.


Yuki a eu un hoquet de surprise. Consterné, il a fixé l'adolescent comme s'il ne le reconnaissait pas. Mais celui-ci lui a jeté un regard empli de douleur et de supplication.
-S'il vous plaît.
Yuki a secoué la tête et instinctivement, a quelque peu reculé sur le lit.
-Pourquoi ? a articulé le garçon, éploré.
-Je ne le peux pas.
-Dites plutôt que vous ne voulez pas.
-Je ne le pourrais pas même si je le voulais.
-Je peux en connaître la raison ?
-Tu la connais, la raison. Tu n'as que dix-sept ans. J'en ai presque trente. C'est contraire à la morale.
-Non, je ne peux pas comprendre.
-Il te le faudra, pourtant. De plus, je suis policier. Un pas de travers de ma part, et je suis cuit.
-Je ne vous demande pas de m'aimer, Yuki. Seulement de m'embrasser.
-Il est encore plus immoral de le faire sans amour, commenta l'homme, inébranlable.
-Immoral ? Mais, Yuki… Un baiser, si ce n'est de l'amour, c'est au moins une marque d'affection, de tendresse, ou même d'amitié, que sais-je encore ? Si ces sentiments-là sont immoraux, que ferons-nous ?
-Je ne t'embrasserai pas, quoi qu'il en soit.
-Pourquoi ? s'écria le garçon, au bord de la crise. Depuis le début, vous savez que c'est moi qui ai volé cet argent bien que j'aie tant de fois démenti, et vous avez accepté de m'aider, pourtant ! N'est-ce pas immoral pour un homme comme vous ? Cela ne va-t-il pas contre l'éthique et la loi ? Vous ne vous préoccupez pas de cela qui devrait vous ennuyer, car vous prenez des risques en agissant ainsi, mais vous vous souciez du fait que le garçon qui vous demande un baiser n'ait que dix-sept ans ?
-J'ai entendu trop de sottises en une journée. Tu devrais dormir.


Yuki allait partir quand l'adolescent le rattrapa, déterminé.
-Non, dit-il d'un ton qui avait perdu toute sa colère, cette fois. Je ne céderai pas tant que vous ne l'aurez pas reconnu.
-Reconnu quoi ? défia Yuki. Que je t'aime ? Que je suis éperdument amoureux de toi ? Ah, ça suffit. Je ne sais ce qu'il se passe dans ta tête de gosse illusionné, mais je ne t'aime pas, voilà tout. Abandonne les espoirs que tu portes envers moi, la seule chose que je puisse t'apporter est l'assurance que tu ne seras pas blâmé pour ton crime. Mais de l'amour, n'y pense pas.
-Non, clama Teru avec résolution alors qu'il refluait ses larmes. Je n'attends pas que vous reconnaissiez le moindre amour, Yuki. Ni même la moindre tendresse pour moi. Ce que je veux que vous reconnaissiez, c'est votre propre souffrance.

Il y a eu un silence, long et intense, flottant au-dessus d'eux et les enveloppant de sa froideur. Yuki a tiré sur cette main qui le tenait prisonnier, mais celle-ci a tenu bon. Son regard s'est voilé, presque imperceptiblement.
-Je suppose, dites, je suppose que vous souffrez énormément, déclara Teru avec désolation. Puisque vous semblez trouver toute forme d'amour ou de tendresse à l'égard d'un garçon de mon âge immorale, Yuki, vous souffrez éperdument. Oui, ne me regardez pas comme ça. Puisque cette tendresse est immorale, puisque l'immoralité est le mal, puisqu'alors l'amour est le mal, vous, Yuki, devez impitoyablement être tiraillé. Oh, oui ! Depuis le début, vous n'avez été que tendresse envers moi, Yuki. Alors vous avez été immoral, vous avez été le mal. Et ce mal, quelle contradiction avec vous-même ! Parce que vous êtes le bien, pas vrai ? Oui, Yuki, j'en suis sûr, vous êtes le bien même. Mais puisque vous contenez en vous tant de tendresse, même envers moi, puisque ce mal a pris possession de vous… Qu'il doit vous tirailler, vous qui pourtant êtes le bien ! Oh, Yuki ! Pauvre Yuki ! Quel terrible désordre ! Je suis désolé.

Il n'en a pas fallu plus. La tristesse de Teru était comme exaltée, mais ses yeux brillants montraient qu'elle venait du fond du cœur et que ses paroles n'étaient que la retranscription de ses sentiments. Sentiments que Yuki pensait infondés, dénués de véritable raison d'être.
Alors il n'en a fallu pas plus pour que l'homme, qui avait érigé autour de lui un mur de marbre, ne sentît sa protection s'effondrer. Et, dans un dernier sursaut de lutte, ou même de salut, il s'est détaché de l'emprise de Teru et a laissé le garçon seul dans sa chambre, amer.








-Bien. Maintenant je vais être clair. Je le relâche, pour de bon. Nous n'arriverons à rien avec lui.
-Je savais bien que tôt ou tard, tu prendrais cette décision.
-Et ça semble ne pas te plaire. Ton regard a beau m'assassiner et m'invectiver en silence, je ne flancherai pas. J'ai la conviction ferme et inébranlable qu'il est innocent.
-Et c'est ta conviction sans fondements qui convaincra les supérieurs, peut-être ?
-Je ferai ce qu'il faut. Tu as confiance en moi ?
-Ce sera ton problème, pas le mien.
-Alors c'est parfait.
-Et si j'essayais de le faire parler, moi, ce gosse ?
-C'en est hors de question.
-Je peux savoir pourquoi ?
-Parce que ça ne mènera à rien. S'il avait quelque chose à se reprocher, puisque je n'ai pas pu le lui faire avouer, ce n'est pas toi qui y parviendras. De plus, je te l'ai dit, il est innocent. Et toi, tu n'es qu'une brute. Il n'a que dix-sept ans ! Je ne veux pas le traumatiser encore plus. Il est terrifié par tout cela, ça se voit bien qu'il essaie de paraître stoïque. Le menacer comme tu en as l'habitude, le frapper, lui faire du chantage, ou même tenter de l'amadouer… j'ai tout essayé, et ça n'a mené à rien. Son silence est sa légitime défense. Maintenant, je veux en finir avec cette histoire. Mince, il n'a fait que voler dans un distributeur de billets en pleine nuit ! Ce n'est certes pas louable, mais nous avons des crimes bien pires que celui-là dont nous devons nous occuper, non ? Ce n'est qu'une perte de temps. Je me dis qu'il est même sans importance que l'on retrouve le vrai voleur ou non. Ce qui m'importe maintenant, c'est de le laisser, lui. Avant de le pousser à bout, je veux le relâcher.
-Eh bien, fais ce que tu veux. Moi, je suis sur un échelon inférieur au tien, alors, ce n'est pas à moi que tu dois dire ça. Tu en as d'autres à convaincre. Je te souhaite bon courage.
-Je n'en ai pas besoin.







-Je croyais que tu n'avais pas besoin de courage ?
-Qu'est-ce que tu dis ?
-Eh, tu n'as pas bonne mine, Yuki.
-J'ai été en arrêt maladie durant une semaine, je te rappelle.
-Quoi qu'il en soit, je vois que tu t'es défilé.
-Qu'est-ce que tu veux dire ?
-Je parle du gamin. Tu n'es pas allé parler aux supérieurs à son propos, pas vrai ? Ou tu n'as pas su les convaincre. Mince… Yuki, tu es sûr que ça va ?
-Attends…
-Non, où tu vas ? Tu es livide… C'est effrayant. Tu devrais retourner chez toi.
-Teru…
-Hein ?
-Où est Teru ?
-Le gosse ?
-Dis-moi où est-ce qu'il est !
-Tu n'es pas au courant ?
-Dis-le moi !!
-…Pendant que tu n'étais pas là, Yuki. Il est venu pour se dénoncer.
-…Non.
-Yuki, tu me fais peur, entre chez toi.
-Ce n'est pas vrai.
-Il faut que tu m'écoutes. Tu n'es pas en état de t'énerver. Retourne voir un médecin.
-Ce n'est pas vrai !!
-Arrête ça !
-Lâche-moi ! Lâche-moi, brute épaisse ! Teru n'a rien fait ! Je te le dis !
-Mais puisqu'il s'est dénoncé !
-C'est votre faute, à tous ! C'est ma faute, à moi ! J'aurais dû le relâcher plus tôt, tout faire pour lui laisser sa liberté ! S'il a fait ça, c'est parce qu'il était déjà à bout ! C'était déjà trop tard ! Il n'en pouvait plus, tellement plus des interrogatoires qu'il a fini par se vendre ! Et pour quoi ?! Pour rien ! Teru est innocent !
-Yuki, c'est quoi ton problème avec ce gamin ?
-Teru n'est pas un problème ! Lâche-moi !
-Non…Attends, reviens !
-Personne ne m'arrêtera ! J'irai les voir ! Je ne laisserai pas une telle injustice se passer sous mes yeux ! Je ne veux pas pourrir la vie d'un adolescent pour des futilités mensongères ! Qu'importe que j'y laisse ma carrière, je te dis que ce gosse demeurera libre !
-Yuki.
-Ne dis rien. C'est inutile.
-Je pense seulement que tu es fou.
-C'est peut-être vrai. Oui, je suis sans doute fou…








-J'arrive, j'arrive. Un instant, s'il vous plaît. Ah, à cette heure-ci, qui ça peut être ? Pendant mon bain… Oui, j'arrive ! Bon sang, à la fin, vous ne pouvez pas attendre, espèce de…
-Bonjour…
-Mince… Je ne m'y attendais pas. Cela fait si longtemps. Qu'est-ce que tu fais ici ? Non, je veux plutôt savoir comment tu as su où avais-je déménagé.
-C'est un secret professionnel.
-Tu es obligé de marmonner quand tu parles ? Et regarde-moi dans les yeux. Sinon, tu peux partir.
-…Je n'y arrive pas.
-Quoi ?
-Vous regarder. Tenez, c'est pour vous.
-Que veux-tu que je fasse avec ces fleurs ?
-Je suis désolé, je ne savais pas quoi amener.
-Je plaisante. Puisque tu es là, entre.
-Merci. Ça ne vous fait pas plaisir, de me voir ?
-Je devrais être heureux ?
-Non. Je sais bien que vous me détestez.
-Pourquoi, d'après toi ?
-Parce que c'est de ma faute si vous avez perdu votre métier.
-Hmm… Cela pourrait être vrai, oui. Mais ça ne l'est pas. Disons que j'ai perdu mon métier grâce à toi. Je suis soulagé d'avoir pu donner ma démission. Je n'ai réalisé que trop tard que ce boulot n'était pas fait pour moi. Contrairement à ce que l'on peut croire… il est sale.
-Alors, tu ne m'en veux pas ?
-J'ai agi par moi-même. Tu n'as rien à voir là-dedans. Cesse de ramener tout à toi, petit impertinent.
-Je suis désolé.
-Ne fais pas cette tête, je plaisantais.
-Alors… vous acceptez que je reste ?
-Comment ?
-Vous voulez bien que je reste chez vous ?
-Qu'est-ce que tu entends par "rester" ?
-Eh bien… Je voudrais passer la nuit chez toi.
-Plaît-il ?
-S'il te plaît, j'ai fugué.
-J'ai compris.
-Quoi ?
-Tu es né pour me causer des problèmes. De toute façon, c'est non.
-D'accord. Je m'y attendais, de toute façon.
-Je ne pensais pas que tu abandonnerais si facilement
-Je vais rentrer dans ma maison d'accueil, ce n'est pas grave. Je voulais seulement vous revoir. Et vous remercier…
-Tu recommences.
-Quoi ?
-Tu ne sais toujours pas que choisir entre le tutoiement et le vouvoiement.
-Je suis désolé.
-Appelle-moi comme tu le veux, comme tu le ressens. Ne fais pas attention à ce que je peux penser. Moi, ça m'est égal.
-Yuki… Pourquoi est-ce que tu as fait ça ?
-Je ne vois pas de quoi tu parles.
-Ne faites pas semblant ! Vous êtes allé mentir expressément pour me tirer d'affaire.
-Peut-être.
-Je ne comprends pas.
-Tu ne peux pas comprendre.
-Un tel mensonge, ce n'est pas acceptable. Pour vous, c'est bien trop dégradant.
-N'aurait-ce pas été dégradant de ma part de t'abandonner à ton sort alors que tu es innocent ?
-Mais, Yuki, tu sais que j'ai essayé de voler cet argent.
-Je sais, oui. À mes yeux, tu es innocent malgré tout.
-Yuki… Cette histoire de vengeance…
-De vengeance ?
-Mais, oui ! Vous avez raconté que c'était vous qui, par esprit de vengeance envers moi que vous connaissiez en réalité depuis longtemps et que vous haïssiez, m'avez sous la menace forcé de commettre un délit. Cela dans le but seul de m'arrêter et…
-Ah, oui, c'est vrai. J'ai dit ça.
-Ne prenez pas un air si insouciant ! Pourquoi ? Pourquoi avoir raconté un mensonge si avilissant pour vous ?! C'est à cause de moi si vous en êtes là !
-Mais c'est où, là ? Teru, moi je suis satisfait comme ça. Je n'en pouvais plus de ce boulot. À présent, je ne suis peut-être qu'un simple employé à temps partiel tantôt dans un combini, tantôt comme vigile en grande surface mais… En attendant de trouver mieux -car j'y arriverai aisément, ne t'inquiète pas-, moi ça me convient parfaitement.
-Idiot. Je te déteste.
-Pourquoi est-ce que tu pleures ?
-Je m'en veux. Si dès le début je n'avais pas tenté de vous soudoyer, si dès le début j'avais été honnête avec eux, avec vous, et si j'avais eu le courage d'assumer mes fautes…
-C'aurait été vraiment nul, si tu avais fait ça.
-Pourquoi ?
-Parce que je n'aurais pas eu le temps de m'attacher à toi.
-…Que…
-Qui est l'idiot, ici ? Tu pensais que je le faisais par philanthropie ?


-Et que suis-je censé faire, Yuki ?
-Pardon ?
-Pour vous remercier… que suis-je censé faire ?
-Je ne l'ai pas fait pour que tu me remercies.
-Mais…
-Ne cherche pas à discuter. Je ne l'aurais pas fait si je n'en avais eu l'envie. Je n'ai fait que satisfaire cette envie qui m'était personnelle, voilà tout. Cesse de tout ramener à toi, petit prétentieux.
-Je suis désolé.
-Terukichi…
-Oui.
-Il y a quelque chose que tu dois me promettre. Pour me remercier, s'il te plaît, je voudrais que tu me promettes une seule chose.
-Tout ce que vous voudrez, Yuki.
-Ne vends plus ton corps… pour essayer d'échapper aux conséquences de tes erreurs. Ne le fais jamais, Teru. Parce qu'au final, ce ne sera qu'une erreur de plus.


-Qu'est-ce que tu fais ?
-Je suis désolé.
-Arrête de t'excuser. À la fin, c'est agaçant. Plutôt que de t'excuser en vain, essaie plutôt de ne pas commettre les erreurs pour lesquelles tu t'excuses.
-Je suis… D'accord.
-Va-t'en, maintenant.
-Je ne veux pas.
-Je ne te laisserai pas passer la nuit chez moi. Si j'étais un homme bien… j'avertirais la Police quant à ta fugue.
-Je veux seulement rester dans vos bras.
-Je ne veux pas que tu y restes.
-Eh bien, repoussez-moi.
-Je le ferais si j'étais un homme bien.
-Cessez de dire cela. Vous l'êtes.
-Il faut croire que non. Il y a des choses pour lesquelles ma volonté ne suffit plus.
-De toute façon, ce n'est pas vrai.
-Quoi donc ?
-Ce que vous avez dit, Yuki. À propos de mon corps…
-Je ne comprends pas.
-Je ne le vendais pas.
-Bien sûr que si.
-Je ne le vendais pas, c'est la vérité.
-Menteur.
-Je vous le donnais.
-…Quoi…
-Arrêtez. Je ne veux pas voir cette expression sur votre visage. Sur ton visage… Je ne le vendais pas, moi. Dis, Yuki, au début, je voulais simplement l'échanger contre ta protection mais… très vite, je me suis rendu compte que je voulais te le donner. Purement et seulement ça…
-Pourquoi est-ce que tu pleures ?
-Mais toi, tu n'en veux pas, et je te dégoûte. Tu te dis que je suis dépravé mais, moi, il n'y a qu'à toi que je voulais le donner.
-C'est bon, ne pleure plus…
-Ce ne sont pas des larmes de tristesse. Mais de soulagement, de joie, et de reconnaissance.
-Tout cela ?
-Je me sens soulagé d'être libre. Heureux de vous revoir, et tellement reconnaissant envers vous de m'avoir aidé malgré le dégoût que je vous inspire. Jamais je ne pourrai vous rendre la pareille.
-Quel dégoût, Teru ? Je ne me souviens pas avoir jamais ressenti une telle chose face à toi. Je ne peux simplement pas te toucher, c'est tout.
-Je le sais. Je suis trop jeune, et puis la morale, l'éthique, la loi aussi…
-Tu as compris. Bien. Rentre chez toi, maintenant. Je ne tolérerai aucun chantage.
-Oui, Yuki.
-Est-ce que tu reviendras ?
-… Vous le voulez ?
-Ne me regarde pas avec ces yeux de chaton. Pourquoi ne le voudrais-je pas ? Moi… pendant tous ces mois où je ne t'ai revu, où je n'ai plus eu de tes nouvelles, tu m'as manqué.
-Je reviendrai, Yuki ! Tenez… Appelez-moi. Vous me le promettez ? Non, ne me promettez rien. Vous avez mon numéro de téléphone, sachez seulement que je viendrai dès que vous le voudrez. Je vous l'ai dit, non ? Je voulais vous donner mon corps, mais je ne vous donne pas que ça. Au revoir.
-Ne pars pas comme un voleur.
-Mais je suis un voleur.
-Eh bien, c'est la vérité ! Tu n'es qu'un voleur, Teru, et pas seulement un voleur d'argent. Tu as volé quelque chose de beaucoup plus grand, beaucoup plus précieux que de simples billets de banque. Et pour cela, pour ce que tu as volé, Teru, tu dois payer. Alors, laisse-moi me venger…
-Yuki ?


-Je ne comprends pas. Je ne comprends vraiment pas. Pourquoi ? Vous qui refusiez… Vous vous moquez de moi, est-ce cela ? Oh, Yuki, je ne veux pas souffrir. Ne vous moquez pas ainsi de moi, par pitié. Pourquoi m'avoir volé ce baiser ?
-Pour me venger de toi qui as volé mon cœur.
-…Quoi…
-Ne parle pas. Tu ne diras que des bêtises. Si tu te contentes de rester dans mes bras, tout ira bien, Teru. Tout ira bien.








( 18 mars 2011)

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