Soldats sénégalais au camp de Mailly – Dialogue de tirailleurs

Dominique Taureau

Centenaire

« - Vous avez vu mon lieutenant, on nous met à l’honneur dans un concours de nouvelles : Félix doit être content non ? C’est la consécration ! Paris expose ses œuvres du 2 octobre 2013 jusqu’au 20 janvier 2014 au Grand Palais : il doit être ravi et comblé. »

« - Hé oui sergent ! Pas trop tôt ; mieux vaut tard que jamais…Mais quelle notoriété pour nous aussi ! Nous autres, les quinze militaires du tableau, subissons enfin la gloire internationale de plein fouet ; tous ces regards curieux, énigmatiques et interrogatifs braqués sur nous…Rappelez-vous l’exposition au musée du Luxembourg en octobre 1917 : un malaise en catimini et sourdine et sans beaucoup de visiteurs. Il faut dire qu’après le Chemin des Dames en avril et les fusillés des Gueules Cassées en mai, notre avenir artistique ne s’annonçait pas y’a bon banania. Non ? »

« - Á l’époque on ne donnait pas cher de notre peau sur la toile ! Mais mon lieutenant, vous y croyez, vous, à la reconnaissance, à la gratitude et au devoir de mémoire des générations suivantes ? »

« - Oui sergent. La preuve est que nous sommes là ! Rappelez-vous aussi ce 25 juin 2006, quand Chirac a rappelé que 70 000 combattants de l’ex-empire français sont morts pour la France entre 1914 et 1918 ; il a bien parlé des tirailleurs sénégalais mais aussi des fantassins marocains, des tirailleurs algériens et tunisiens et des soldats de Madagascar, d’Asie, d'Indochine et d'Océanie ; chez nous il a cité Bessi Samaké et Abdou Assouman pour leur acte de bravoure au fort de Douaumont…Ah ce 22 septembre 1984, quand Mitterrand et Kohl se donnent la main devant le catafalque de Douaumont… »

« - Ah oui mon lieutenant, ils nous ont pris à témoin, ces deux-là, avec leur V d’hommage chargé d’émotion sous les hymnes, dans la réconciliation et l’amitié franco-allemande.»

« - Exact sergent ! Nous, les dogues noirs de l’empire comme nous a surnommé Léopold Sédar Senghor, avons perdu 30 000 vies dans ce conflit et nombreux sont revenus invalides ou blessés…Je sais aussi que la ville de Reims possède Le Monument aux Héros de l’Armée Noire inauguré le 13 juillet 1924. Vous voyez sergent, il ne faut jamais désespérer de la nature humaine.»

« - Mon lieutenant, vous avez bien raison. Goûtons notre repos bien mérité et dégustons notre juste célébrité de poilu.»

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