Sombrement Futuriste

Linda Bachammar

Je viens enfin de me déconnecter. Je supporte de moins en moins le processeur que l’on m’a implanté la semaine dernière. Depuis cette sombre progression technologique, nous sommes condamnés à travailler et gérer nos déplacements sur ce qui était appelé autrefois ‘la toile’ en se connectant directement depuis notre cerveau. Fini les pc, macs, Smartphones et autres joujoux que j’ai connu il y a seulement une quinzaine d’années. Désormais, il suffit d’appuyer sur sa tempe gauche pour être en ligne. Et c’est parti pour un surf, une écriture, une correction, tout est faisable à partir de mon seul esprit. L’unique partie du corps qui travaillait encore, à savoir les doigts sur le clavier de son ordinateur, ont été épargnés.

Nous allons désormais beaucoup, mais beaucoup plus vite en agissant par la pensée. Le temps n’a plus aucun lien avec la signification que nous avions pu lui connaitre dans notre jeunesse. Jour ou nuit, matin ou après-midi, il en va de même pour nous qui dormons trois à quatre heures par semaine. Les progrès de la science nous ont permis de devenir des surhumains. Oui, c’est bien ainsi que je nous voie. Des êtres vivants qui n’ont ni besoin de se nourrir ou de dormir et encore moins de se battre, rire, s’aimer. Nous sommes des esclaves travaillant dans le but de progresser encore et encore pour devenir un peu moins présents à nous-mêmes. Et surtout un peu moins vivants pour les dirigeants qui régulent nos existences bien à distance, sur d’autres planètes. Leur lieu de résidence est bien entendu tenu secret… Personne ne sait à quoi ils ressemblent.

Qu’il est loin le temps où la démocratie nous montrait des poupées politiques débâtant afin de nous convaincre que nous avions le droit à la parole, que notre opinion de citoyen comptait dans la cité. Ce terme, ‘cité’, n’est plus que passé. L’honnêteté est aujourd’hui de mise avec nous le peuple, les règles clairement édictées depuis le début. Rien n’est soumis à notre libre arbitre ou notre bon vouloir. Rien n’est fait pour nous, tout est au service du système autrement appelé ‘cosmos’. Nous ne sommes pas plus que des machines sur boostées, qui travaillent en communauté avec nos clones. Une même personne a en général trois à neuf clones selon ses activités.

Chacun des clones gère un pan de l’existence d’un même réel individu: l’un a pour mission les relations avec les autres ‘produits intelligents’ (êtres ou machines), un l’analyse, un la médiatisation, un la production… Ces fonctions sont programmées dès la naissance. Celles-ci sont aujourd’hui régulées selon les besoins, et les aptitudes sont façonnées à volonté. Ce matin, me dis-je, je ne suis qu’un fantôme de plus dans cet univers aseptisé. Pauvre nouvelle génération qui ne saura jamais ce qu’est un orgasme, une manifestation, une révolution, une gifle. Tout risque est vécu virtuellement afin de prévenir ce désir profond qui pourrait resurgir : l’envie de vivre. Pourquoi se mettre en danger si je peux braver la mort en virtualité ? 

  • En effet nous n'aimerions pas que ce futur devienne une réalité, il ne me plait guère... Mais peut-être faut-il avoir conscience de sa possibilité pour le contrer dans le présent et ceci immédiatement!

    · Il y a presque 13 ans ·
    Photo du profil lb 500

    Linda Bachammar

  • "Nous sommes des esclaves travaillant (...) pour devenir un peu moins présents à nous-mêmes." C'est joliment tourné. L'Homme du 3è millénaire, une application parmi d'autres, un produit de série dont les désirs et aspirations sont catégorisés en plus-values de moindre importance ? Les "autres planètes" comme un XVIè arrondissement d'une capitale lointaine de millions de bornes.
    C'est plaisant (à lire, pas à vivre - oh !). Il y aurait beaucoup de petites histoires à faire de tout ça ^^

    · Il y a presque 13 ans ·
    Yellow night dream orig

    Cyan Liore

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