Un beau jour

Alix Davies

Les plus coriaces, les indécrottables, ceux qui nous avaient le plus profondément aimées sont partis les derniers. Pourquoi a-t-il fallu que nous passions avec eux ce marché de dupes ? Ils nous ont bercées les nuits d’orage. Ils nous ont nourries. Ils ont lavé nos cheveux.

Du début à la fin, nous nous sommes fait rouler dans la farine.

La ville est vide désormais. Le soleil se lève comme chaque jour sur des murs bleus, on ne distingue plus les limites des toits et du ciel. Lorsqu’ils nous ont réunies, nous avons senti l’angoisse serrer nos gorges et les battements de notre cœur s’accélérer. Nous avons levé vers eux des yeux baignés de larmes, ils ont embrassé nos fronts et nous ont dit qu’ils étaient heureux de ce que nous étions devenues. Ils ont posé les clés sur la table, rempli notre bol une dernière fois et sont partis sans se retourner.

Dans un premier temps, notre liberté nous a un peu tourné la tête. Nous courrions nues dans les chambres, jappions comme des folles nuit et jour. Nous investissions chaque centimètre de la maison pour nous y coucher et renifler la poussière. Nous avons vidé le réfrigérateur et mangé les derniers biscuits. La peur du vide est arrivée d’un coup. Nous sommes restées cloîtrées dans l’attente, nous maigrissions à vue d’œil. Nos bouches ne riaient plus, nous nous regardions silencieusement les unes les autres.

Les plus courageuses ont pris les devants. Les rues se sont remplies peu à peu de silhouettes affamées. Nous nous sommes données quelques règles pour les choses concrètes. Aucune pour le reste. Nous avons révisé et redémarré les machines. Nous avons désherbé, planté, récolté les terres alentours. Nous avons dompté les bêtes sauvages, élevé les animaux de ferme. Lorsque le travail fut fait, nous regagnâmes nos maisons.

Nous nous retrouvons tous les soirs, chauffons nos mains au-dessus d’un tas de cendres en évoquant le temps des hommes. Nous nous rappelons le départ, leurs paroles et l’amour infini qu’ils nous portent. 

Nous regardons avec amusement les images anciennes, nous lisons les textes des philosophes qui devisent sur la nature féminine, les discours des hommes politiques et des femmes des temps passés. Le plan de métro de Paris est une source intarissable de joie, nous vouons un culte sans partage à son unique femme, Louise Michel qui porte pour moitié un nom d’homme.

  • Tout a été dit ou presque, c'est un très beau texte, magnifiquement écrit...

    · Il y a presque 13 ans ·
    Jos phine nb 7 orig

    junon

  • C'est magnifique et magique... Un style fantastique dans tous les sens du terme bravo :))

    · Il y a presque 13 ans ·
    Dsc00657 465

    la-fee-clochette--2

  • L'âme trouve la plume, l'esprit l'anime, l'être soumet les pages à l'écriture, la liberté elle, oblitère tous les sentiments qui font sa vie, une vie qui tient à un fil, le cordon ombilical, reliant la nature à celle des hommes voulant des frontières inutiles... tendresse, le philosophe qui te " lie " à sa nature ni féminine ni masculine.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Img 0875 150

    dimir-na

  • Très chouette. Ce qu'il faut, ni trop ni trop peu.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Default user

    Alexandre Lard

  • Comment faire sans les hommes, qui effectuaient les travaux les plus dur; c'est ce qui c'est passé pendant la guerre, quand ils ont du quitter la terre et les femmes ont repris les rennes, fait le travail des hommes, mais la guerre fini, elles ont du se battre pour prouver a cette dictature masculine, qu'elles pouvaient les remplacer aux champs, aux usines, et demander, avec Louise Michel en tête, le droit de vote; Mais la parité n'est toujours pas acquise et le même salaire qu’eux!

    · Il y a presque 13 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • J'aime beaucoup la part de mystère, très beau texte !

    · Il y a presque 13 ans ·
    267738 186792351380318 100001486632100 499684 6739616 n 150

    almodovaro

  • Merci beaucoup pour ton retour :)
    La taille du texte était conditionnée par les règles du concours "Prédire l'avenir" :)
    Bien à TOI, cher Jones,
    AD

    · Il y a presque 13 ans ·
    Alix davies 465

    Alix Davies

  • Au début, j'ai pensé que le nous désignait des enfants et puis la fin du texte révèle tout autre chose. J'ai beaucoup aimé le style et l'épure, l'ambiance que tu (excuse si je te tutoie mais c'est un mauvais réflexe communautaire ;) installes patiemment à petits coups de pinceaux, les images sont très parlantes sans être lourdes comme de la crème au beurre dans les pâtisseries de communion et tu t'en sors super bien sur un thème un peu casse gueule, le rapport homme femme (enfin si j'ai bien tout compris).
    Petite, mais alors toute petite critique, si je peux me permettre ??? OK ?!? Bon, j'aurais aimé un poil plus long et quand je dis ça c'est vraiment une toute petite critique parce que les textes qui durent des pages et des pages, j'ai souvent du mal avec... En résumé, je trouve que tu écris super bien et du coup je vais aller lire l'autre texte. A plus :)

    · Il y a presque 13 ans ·
    Dsc00245 orig

    jones

  • J'aime beaucoup. J'ai du le lire 2 fois car la première j'étais pas concentré et pas certain d'avoir bien compris le sens. Je suis assez touché sur le fond (ça doit parler à beaucoup d'hommes d'aujourd'hui) et la forme est vraiment bien foutue. Bravo !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Axel bolu ab avatar

    axelbolu

  • Que dire de plus? J'adhère!

    · Il y a presque 13 ans ·
    20170621 cbc 495   copie

    ysabelle

  • Toute une ambiance... avec une économie et des choix plus que judicieux... Superbe!

    · Il y a presque 13 ans ·
    Locq2

    Elsa Saint Hilaire

  • Troublant, mystérieux, et très bien écrit.

    · Il y a presque 13 ans ·
    027 orig

    Chris Toffans

  • Merci :)

    · Il y a presque 13 ans ·
    Alix davies 465

    Alix Davies

  • une indéniable classe fondée sur un travail d'épure ciselée où le thème fantastique décalé utilise le contrepoint des phrases courtes biseautées combiné avec le néo-classique patiné des conjugaisons passé/imparfait , le talent réside sans doute et d'après moi dans le fait qu'y ajouter plus de descriptif aurait fait s'écrouler l'ensemble...quant au fond ce pluriel indéfini induit et déclenche un vertige de questions auxquelles pour la magie il est bien sur inutile de répondre...ce n'est pas un bon texte c'est un très bon texte qu'il convient de signaler par quelques coeurs calédoniens androgynes...Merci

    · Il y a presque 13 ans ·
    Snapshot 20120624

    Jean Marc Frelier

  • bon texte !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Culpidon 92

    culpidon

  • Enivrant.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Lo new york

    riatto

  • J'adore !
    Parce que...tout n'est pas dit et que le lecteur comble lui même les fissures temporelles.

    · Il y a presque 13 ans ·
    015

    carmen-p

  • Merci, ça fait chaud au coeur :)

    · Il y a presque 13 ans ·
    Alix davies 465

    Alix Davies

  • C'est ça l'écriture :)

    · Il y a presque 13 ans ·
    Img 0002  2  195

    bamchri

  • A quand vos prochains textes ?

    · Il y a presque 13 ans ·
    Omicron 1 orig

    Christophe Dessaux

  • Etrange... et très bien

    · Il y a presque 13 ans ·
    Photo du 57301621 05    15.55 orig

    le-fox

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