Sommeil.

elie

La nuit dernière, je suis morte.

Ce n'est pas une métaphore.

Je suis réellement morte. Mon cœur a arrêté de battre dans ma poitrine, mes poumons n'expulsaient plus l'air inspiré. Ma vie s'est finie à cet instant perdu dans le temps, mon être a cessé d'exister.

Vingt-quatre heures plus tard, je rouvris les yeux. Tout n'était que ténèbres autour de moi, la noirceur envahissait l'espace et me comprimait, comme une chape de plomb abattue sur mes épaules. J'eus beau plisser les yeux ou au contraire les écarquiller, je ne voyais rien. Je tendis les mains devant moi, pour ne rencontrer que du vide. J'étais seule, avec le néant pour compagnie.

Je ne savais pas pourquoi je vivais de nouveau, pourquoi je pouvais bouger, penser et ressentir encore une fois. J'étais morte, je m'en souvenais. Une lame dans le ventre et un lac glacé avaient eu raison de ma courte vie. Mais j'étais là, pleine d'interrogations et de doutes sur ma propre mort, comme si je vivais encore.

Le temps s'écoule lentement, dans le vide. Les secondes se transforment en heures, les jours en années. Je ne sais pas combien de temps je suis restée suspendue dans le néant, je ne sais plus.

Mais, un instant, une image furtive apparut dans la noirceur, une image d'une seconde qui fut comme un phare dans la nuit la plus noire. Je clignais des yeux, plusieurs fois. D'autres images défilèrent alors, certaines plus nettes que d'autres. J'entrevis des instants fugaces de ma vie ; de ma naissance à la nuit dernière. Je revécus ma vie en quelques minutes à peine, assez pour me laisser tremblante et paniquée à l'idée de perdre réellement tout ce qui me définissait comme être humain.

Je ne sais pas ce qui se passa ensuite. Quelque chose dut se briser en moi ; mais je me mis à hurler, à exploser le silence par mes cris.

Je hurlais que je ne voulais pas mourir, pas si tôt. Je hurlais que je voulais revoir ma famille une dernière fois, que je voulais serrer ma mère dans mes bras, que je voulais voir les yeux bleus de mon frère étinceler encore et encore, que je voulais dire à mon père que je l'aimais malgré tout. Je hurlais que je voulais vivre les bons et les mauvais moments, que je voulais être déçue et avoir mal pour mieux me relever ensuite, que je voulais me remettre en question pour pouvoir avancer. Je hurlais de toute mon âme et de toute mes forces, tant et si bien que ma voix se mit à faiblir et s'éteignit dans un souffle.

Fatiguée, j'étais fatiguée. Tellement, complètement exténuée. Je n'avais qu'à fermer les yeux et me laisser aller, me laisser flotter dans le vide autour de moi. Rien ne me sortira d'ici, rien ne fera que je revive.

Je n'ai qu'à fermer les yeux.


.:.


- Eleanor, vous m'entendez ?

Une main fraîche serra ses doigts.

- Ma chérie, c'est maman, murmura une voix enrouée, familière à ses oreilles.

Elle battit des cils, une vive lumière brûlant ses yeux. Sa gorge était sèche, elle avait une migraine horrible.

- Eleanor, vous êtes à l'hôpital. Vous avez eu un accident, mais vous allez aller mieux maintenant.

C'était une femme, debout au pied de son lit, qui venait de parler. Eleanor tourna doucement la tête à droite et à gauche, observant la chambre dans laquelle elle se trouvait, des bruits de machines incessants en fond sonore.

Sa mère était assise sur son lit, près d'elle, ses longs doigts enserrant la main glacée de sa fille. Derrière elle, son père et son frère étaient assis sur un fauteuil, endormis.

- Comme tu m'as fait peur, chuchota sa mère en dégageant quelques mèches de son visage.

Ses yeux étaient rouges et bouffis d'avoir trop pleuré, des cernes violets lui mangeaient le visage.

Eleanor voulut parler, mais elle n'eut pas assez de forces pour ouvrir le bouche. Elle ne savait pas pourquoi elle était là, dans un lit d'hôpital. Elle ne savait pas combien de temps elle avait dormi. Elle ne savait plus rien.

Seul un sentiment de gratitude marquait son cœur et son âme, un sentiment dont elle aurait voulu connaître l'origine.

Pour l'heure, elle était en vie. C'était tout ce qui comptait.


Signaler ce texte