Sous les ponts.

Hervé Lénervé

Sous le pont Mirabeau boivent les clodos.

-         Laisse couler la Seine. Passe la bouteille !

-         Tient, au fait les gars, je vous l'ai déjà dit celle-là ?

-         J'sais pas ? Vas-y !

-         J'étais peinard en train de faire la manche à mon emplacement dédié et réservé, quand une bourgeoise se pointe à la sortie du Mac'Do avec des sacs remplis de boustifaille. Elle me dit de son accent pointu, piqué de condescendance. « Mon triste ami, voudriez-vous un Hamburger ? Je crains d'en avoir trop pris, mon cher ! »

-         Putain ! Elles ne se font pas chier, ces richardes !

-         Attend ! Je lui ai répondue aussi sec, enfin juste après être revenu de ma stupeur devant une telle grossièreté. « Eh, la bourge ! C'est pas parce que nous sommes pauvres, qu'il faut nous empoisonner ! »

-         Elle ne l'a pas volée !

-         C'était de la provocation !

-         Moi, c'est pareil, je ne prends que du bio ! regarde le pinard c'est du bio acheté à la boutique bio du biolevard Biomarchais!

-         Ah, oui, c'est vrai, j'me disais bien qu'il avait un goût.

-         Un gout de trop peu ! Oui !

-         Attends j'ai un jerrican, c'est du super, aussi, garanti sans pesticide, sans engrais en valeur ajoutée, que du naturel, les gars !

-         T'as acheté une baguette, avec tes vingt litres de pinard ?

-         Non ! je suis au régime, je ne prends que des calories liquides.

-         T'as raison, on n'sait pas ce qu'ils y mettent dans leur putain de farine.

Un désespéré saute du pont Mirabeau. L'homme se débat, il ne sait pas nager.

-         Il n'est pas un peu trop vieux, lui, pour apprendre à nager ?

-         Ce ne serait pas très raisonnable, il veut peut-être simplement en finir !

-         On ne saurait le blâmer, les temps sont durs pour tout le monde !

-         Que fait-on, les gars ?

-         Rien, voyons ! On serait accusé d'assistance à une personne contre sa volonté.

-         Moi, je prendrais ses godasses, c'est du costaud !

-         Mais t'en as déjà une paire, tu veux thésauriser, ma parole !

-         Ok, alors je prends son futal, car j'en ai pas et j'me caille les miches.

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos malheurs

Faut-il qu'il m'en souvienne

La mort venait toujours à l'heure.

Laisse couler l'eau sous les ponts

Coule, coule, fait tourner le litron.

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