Stones précieuses

Et la lumière fut en cette soirée d'été 1997 à Saint-Louis lors de la tournée Bridges to Babylon des Stones, immortalisée devant un parterre d'heureux élus qui n'eurent d'yeux que pour être éblouis par le charisme de Jagger, les tempos de Watts, les riffs de Richards, la rock attitude de Wood et …la voix de Lisa.

A défaut de laisser sa trace sur un album dédié, cette tournée, dont la rareté symbolise sa préciosité, nous livre sa quintessence sur cet extrait filmé de « Gimme shelter ».

https://www.youtube.com/watch?v=LDxpdFKuGb4

On l'écoute, on le regarde, on s'ébahit, on le replay, on le rewind, on le "pause "pour mieux le reprendre, on le partage, on le repeat comme pour mieux s'imprégner de sa performance scénique.

Pendant que le quatuor défile sur la rampe de scène comme des allegros sur une corde de guitare au milieu de l'arène, la voix de Lisa donne le la de-ci de-là. Une voix dont le crescendo enveloppe le lieu. Un timbre sur lequel viennent se greffer les premiers accords de piano. L'ambiance est envoûtante, plongée dans une obscurité irradiée de jeux de rais.                              

Seul, assis au fond du décor, imperturbable au milieu de ses cymbales, Sir Charlie attire la clameur. Il en fût ainsi. Puis de la caisse claire. Suivi de la grosse caisse qui en rajoute sur son do. Tout en mesure. A mesure que le son devient plus dense, les autres instruments apparaissent et prennent la mesure. Comme pour mieux anticiper la démesure. Déja un son pas comme les autres.

Pendant ce temps, perdu au milieu de la foule, un feu follet s'agite dans tous les sens, gesticule à tout va, gigote comme s'il était à la recherche d'un temps perdu. Mais non. Il a tout son temps. Le bonheur n'attend pas. C'est déjà ça de gagné pour lui. Et il le savoure en effleurant les mains qui se tendent vers lui. Alors, il remonte la scène, déclenchant un tsunami de vivats sur son passage. Tel un boxeur avant de monter sur le ring. Sûr de ses uppercuts à venir. Chemin faisant, en bon chauffeur de salle qu'il est, il harangue la foule, multiplie les mimiques et les gimmicks, comme guidé par des cailloux qu'il aurait semés au préalable. Ces cailloux là, forcément, c'est toute sa fortune.

L'osmose vient de se produire. Paroles et musique sont au diapason, artistes et instruments envoient une détonation.

C'est Jagger qui prend les paroles. On reste bouche bée. Lui l'ouvre grande, distillant à la face du monde son aura d'immortel.

C'est Richards, l'autre icône du groupe, qui s'avance et prend la lumière pour offrir le meilleur de son art de la rythmique. Des riffs que l'on reconnaîtrait ente cent mais dont on ne se lasse pas. Avec ses accords à deux notes qui mettent tout le monde d'accord, Keith est une légende.

C'est Wood qui assure le coup à coup de barrés, cigarette en guise de médiator. Son solo ne part pas en fumée, bien au contraire il se répand telle une trainée de poudre magique. Ron a toujours bien su s'entourer. 

C'est Lisa - the voice - qui entreprend l'assistance et la régale de ses pas chaloupés. Juchée sur des talons aiguilles de diva, son allure n'en est que plus renversante. Et puis quand elle laisse éclater sa voix...

Ah! la voix de Lisa ! Chaude comme l'astre, torride comme la braise, pure comme le diamant, cristalline comme le verre de Baccarat. Elle occupe le devant de la scène, focalise les regards, attise le désir...suspend le temps l'espace d'un instant. 80 000 paires d'écoutilles remplissent leurs tympans de ses vocalises. Avec elle, les Stones ont trouvé leur voie. Et nous, elle nous laisse sans voix. Accentuant ses déhanchements lascifs pour porter le coup de grâce, elle donne la réplique à Jagger. Coup de foudre. Tonnerre d'applaudissements. Celui-ci virevolte de plus belle devant tant de trémolos. Il devient robot télécommandé et pantin articulé, exhibant sa maîtrise de tirer lui-même les ficelles d'une chorégraphie si particulière.

L'écrin se referme sur les slides de Ron, les loops de Charlie, le tempo de Darryl et les slaps de Keiths. Bernard Fowler y met tout son choeur.

Les orfèvres vous saluent bien. En pleine lumière. L'éclat leur va si bien.

Rewind

En hommage à Bobby Keys. Miss You. Titre prémonitoire et de circonstance puisque le saxo incontournable du groupe a soufflé sa dernière note le 2 décembre dernier. Une autre pierre précieuse qui manquera dorénavant à la parure du groupe. D'un coup, la clarté s'est faite ombre. Mais il est dit que la flamme ne s'éteindra jamais.

Savourez ces 9 minutes d'intensité musicale. Le spectacle en vaut la chandelle. Tout y est. Rien à rajouter. Juste à écouter. www.youtube.com/watch?v=CxlTx8mmJEA

Je ferme les yeux pour mieux écouter. Je me réveille. Ai-je rêvé ? Autour de moi, on me dit que j'ai entendu des voix !