Sueurs Froides du Pacifique
rena-circa-le-blanc
Elle est passée partout. Dans tous les endroits farfelus que la Terre a bien voulu lui fournir, par tous les moyens imaginés et créés par l’être humain, dans toutes les conditions possibles et imaginables.
Pour en arriver là. Dans cet endroit qui lui sied tant, dans cet environnement où elle se sent sœur de toutes ces gracieuses créatures ondulantes, vagabonde des ondes marines, princesse de l’eau, reine des profondeurs.
Après s’être retrouvée phénix parmi les oiseaux, fendant le ciel de sa large voile dorée avec agilité, après s’être mise dans la peau d’un dragon en gravissant les plus hauts sommets à l’aide de sa souplesse naturelle, après avoir revêtu la carapace du légendaire Sphinx en affrontant la chaleur du Sahara, elle a besoin de changement. Toutes ces bêtes aux ailes grandes ouvertes l’ennuient. Elle veut autre chose, elle veut voyager dans un endroit qu’elle n’a pas encore exploré. L’eau lui a toujours fait peur ; mais les sensations qu’elle recherche sont fortes. Et elle n’en éprouve plus.
Alors soit, elle n’a qu’à tenter le tout pour le tout. Bien des gens aiment l’eau, pourquoi aurait-elle peur ? Pourquoi ne pourrait-elle pas, à son tour, trouver ce qu’elle recherche vraiment, trouver cet aboutissement, cette apologie de l’extrême ?
Elle a mis son masque sur ses yeux. Elle ne peut plus respirer que par la bouche.
Elle s’est entraînée pendant un mois entier. A contrôler sa peur, à contrôler sa respiration, à contrôler ses gestes. Deux niveaux en un mois. Elle est armée pour affronter cet environnement dont elle ignore tant de choses.
Elle s’assoie sur le rebord caoutchouteux du zodiac lui servant de moyen de locomotion pour la journée, réajuste les sangles de son gilet, exerce à deux reprise une pression sur le côté de sa bouteille pour voir si elle y est bien attachée, teste le détendeur pour voir une dernière fois s’il n’y a rien qui cloche en appuyant sur le clapet, et lorsque la réponse, sous forme d’un souffle bruyant et glacé, lui revient au visage, engloutit le dentier qui la reliera dans quelques instants à la vie. Une inspiration, une expiration. Dernière vérification concernant ses palmes, en se souvenant que pour elle, une sensation extrême se vit à fond ou ne se vit pas du tout, et sa main vient se placer de façon protectrice sur son masque et son détendeur, pour les tenir en place lorsqu’elle heurtera la surface aqueuse de l’environnement de tous ses cauchemars.
Elle ferme les yeux et bascule d’un coup en arrière. Personne ne la suivra ; personne ne l’a jamais suivie. C’est une grande fille, elle a toujours su se débrouiller. De plus, elle préfère voyager en solo. Le danger, c’est la seule chose qu’elle ne souhaite partager avec personne. C’est pour elle, pour elle seule. Mère de famille, elle a tout donné, elle veut garder cette unique chose.
Le choc ne se laisse pas attendre, elle fend la surface pour plonger d’un coup, enveloppée par cette fraîcheur qui lui procure déjà des sensations nouvelles. Les récifs coralliens, c’est une bonne idée, avait dit son entraîneur de plongée. Quelle sensation ! Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas vécu chose pareille, qu’elle n’avait pas senti son cœur battre aussi fort dans sa poitrine. Elle n’est plus dragon, phénix ou sphinx. Elle est bien mieux que cela. Elle est sirène, elle est ondée parmi toutes les autres.
Son moniteur de plongée lui avait bien dit que le pacifique était une merveille à savourer, mais qu’il était dangereux, et qu’il ne fallait pas plonger seule. Peu importe à présent, elle sait parfaitement qu’elle est dans son environnement, ici. Chez elle, enfin. Femme qui a toujours cherché sa véritable place dans un monde où les vautours sont les seuls à se régaler des restes de leurs confrères qui ont eu la malchance de laisser leur peau ici. Encore des créatures ailées.
Elle n’a jamais fait partie des animaux à plumes, elle le sait à présent. Son nom lui-même est une référence à ce qu’elle est réellement. Ondine. Ce qu’elle a toujours été. Et elle n’en prend conscience qu’à présent qu’elle est cernée par ses sœurs éternelles, qu’elle a pourtant rejetées depuis son enfance, qu’elle a renié au profit de la terre, de l’air et du feu. Derrière son masque, elle sait que l’eau lui sourit, heureuse de voir une de ses innombrables filles comprendre enfin le sens de sa vie. Heureuse.
Elle se laisse happer par les eaux turquoises et calmes qui l’encerclent, attendant d’avoir pris suffisamment d’assurance pour s’enfoncer plus avant dans cette nouvelle demeure qu’elle a déjà hâte d’apprendre à connaître. Rien à voir avec la piscine. Rien à voir avec ces quatre semaines enfermée à l’intérieur de cet endroit où elle a fait son baptême et où elle a passé son premier puis son deuxième niveau. Ici, tout est si féérique, tout est si merveilleux, tout est si différent de la réalité de la surface ! Comment a-t-elle pu passer à côté de ça pendant si longtemps ?
Après quelques inspirations bien contrôlées, elle commence à réellement observer ce qui l’entoure. Les récifs coralliens sont véritablement des chefs-d’œuvre de la nature ! Et ce silence ! Si solennel, si tranquille, si doux… Elle pourrait se croire à l’origine, quelques secondes avant sa naissance, comme un fœtus. Un tout petit bébé qui n’est pas encore né. Si ridicule comparé à cet océan immense.
Jetant un dernier coup d’œil à l’ombre que jette le zodiac, elle descend ensuite en tournant autour de la chaine de l’encre, lentement, au rythme des bulles qui s’échappent de son détendeur, tel un prédateur à l’affut de la moindre faille. Jusqu’à ce qu’une nouvelle ombre vienne troubler le tableau en différentes teintes de bleu qui lui fait face. Là, elle s’arrête, s’accroche à la chaine qui teinte tendrement à son contact, et observe l’ombre.
Son moniteur de plongée lui avait dit qu’elle devrait s’attendre à trouver des baleines, ou des bancs de dauphins, mais qu’elle serait obligée de faire attention aux requins. Qui ne pardonnent pas. Pour eux, toute chose vivante est une proie. Les Peau Bleues sont les plus dangereux : en masse, ils ne font qu’une bouchée d’un élément solitaire. Il suffit de regarder un Grand Blanc dans les yeux pour qu’il se détourne, car il n’aime pas attaquer une cible qui sait quel est son futur meurtrier.
Alors elle attend. Elle attend de savoir s’il s’agit d’un bon ou d’un mauvais présage ; au pire, elle a son couteau, attaché à son mollet droit… Mais il ne faut pas penser dès à présent qu’il s’agisse d’un requin, elle a une chance sur… allez, requins, marsouins, dauphins, baleines. Disons qu’elle a une chance sur quatre de tomber sur le mauvais lot. Et plus la forme se rapproche, plus elle est confiante. Jusqu’à ce qu’elle observe qu’aucun bec ne précède la masse énorme et sombre qui vient à sa rencontre. Elle n’a alors plus le choix entre le requin et le marsouin… or le second choix est peu envisageable, étant donné l’épaisseur de son corps massif et le peu de mouvements qu’il semble effectuer pour se déplacer. Ses nageoires, elles aussi, sont bien différentes de celles d’un de ces mammifères.
En seulement quelques secondes, le nouveau venu a franchi les quelques disaines de mètres qui le séparait de la plongeuse. C’est un requin. Et pas des moindres, un grand requin blanc, une de ces créatures gigantesques qui laissent sans voix ; un de ces monstres des océans qui font si peur aux petites filles ; une de ces bêtes de cirque qui n’ont jamais le beau rôle ; un de ces animaux qui sont gracieux et souples dans leurs gestes, qui sont à deux doigts de passer sirènes mais qui n’obtiendront jamais ce rang à cause de leurs mâchoires dignes du Kraken.
C’est absolument extraordinaire pour elle. Une telle rencontre, en plein océan pacifique, lors de sa première plongée hors d’une piscine. Il ne semble pas avoir besoin de bouger pour se déplacer, sa vitesse ressemble à celle des vaisseaux spatiaux du dernier film qu’elle a regardé, avec son mari. Et le soleil joue avec les vagues en dessinant des formes inédites sur son dos à chaque seconde.
Il s’avance vers elle, et tandis qu’elle l’observe, tétanisée, lui tourne autour, exactement comme elle a fait quelques secondes auparavant avec la chaîne de l’encre… de son œil, il la regarde. Il ne possède pas de nom, mais il ne s’en porte pas plus mal. Il n’en a pas besoin pour vivre, pour savoir qui il est. Il sait qui il est, cela lui suffit. Jamais il ne doute, jamais il ne fuit. Il n’a pas besoin non plus de ces choses frivoles que sont les sensations fortes, les films, les livres, la musique, l’alcool et tant d’autres choses encore dont a besoin cette chose qu’il a devant lui. Il mange, il vit. C’est tout. Cela lui suffit. A quoi bon chercher plus loin ?
Effectuant avec lenteur et finesse son ballet majestueux autour d’elle, bougeant tout en paraissant immobile, il la menace sans le faire de ses dents aiguisées. Comme un parrain de la mafia qui irait rappeler à un ennemi qu’il est le plus fort, avec ses mots aigres-doux, avec sa voix tendre mais ferme. Si elle fait un seul mouvement, elle est morte. Elle le sait. Et pourtant, elle est comme hypnotisée par cette danse macabre qu’il improvise près d’elle, pour elle. Ne pas le quitter des yeux, ne pas le quitter des yeux. Respirer, toujours respirer. La bouteille, c’est la survie.
Finalement, il est plus curieux qu’affamé. Il ne cherche pas à la provoquer, à trouver la faille sous le regard qu’elle n’ose pas détourner de lui, il ne cherche qu’à l’étudier comme elle l’observe. Il a rarement vu des spécimens du genre. Petit queue-plate, il a vu ; grand queue-plate, il a chassé ; grand noir-et-blanc, il a fui ; petit-et-gros, il a traqué. Mais cette chose-là est toute nouvelle pour lui. Elle ne ressemble à aucune autre. Elle aurait sans doute un goût innovant, mais est-il essentiel de penser à manger, tout de suite ? Ne peut-il pas jouer un peu avant ? Petit-et-gros, un bon jouet. Cet étrange animal à la queue bien longue et séparée en deux comme cette dernière lui fait penser à petit-et-gros. Il aime jouer avec petit-et-gros. Celle-là lui ressemble, avec une queue plus grande. Aussi élégante que petit queue-plate. Mais pas aussi grande.
Peu importe. Il s’approche, pour connaître l’odeur de ce qu’il a soudain eu envie de connaître sous « petit queues-longues » et ce dernier sent… Odeur d’œstrone, odeur de froid, odeur piquée… La femelle. La peur. Seul dopant pour lui. La peur. Il ne lui suffisait que cela ! Il s’approche plus encore, il sait qu’elle va faire une erreur, tôt ou tard. Et cette erreur sera fatale. Déjà, les bulles qu’elle jette et qui rejoignent leur élément naturel sont éjectées plus rapidement, ses petits yeux derrière leur grand voile sont plus écarquillés, tout à coup. Oui, il va jouer, il va tester petit queues-longues.
Elle sait qu’il vient de s’approcher, elle sait que c’est dangereux. Elle sait qu’il ne peut pas résister à ses instincts primaires très longtemps. Il continue ses rotations, toujours plus proche d’elle, toujours plus dangereux. Son cœur bat si fort qu’elle éprouve du mal à respirer, ses sensations sont fortes, très fortes, trop fortes. Peut-être va-t-elle rester ici indéfiniment, à observer le squale faire des pirouettes dans l’eau avec sa beauté naturelle… non, pas indéfiniment.
Il donne quelques coups rapides de nageoire, il dodeline de la tête vers elle, ouvrant légèrement la gueule pour connaître ses réactions, et elle ne tarde pas à les montrer. Finalement, il la frôle, il la caresse presque de son corps, la tendre chair de sa proie en devenir se tend sous l’effet du stress. Mais elle n’ose bouger. Pour sentir, encore, cette sensation forte qu’elle éprouve ; pour repousser ses limites de mortelle ; pour voir si elle est capable d’aller plus loin.
Finalement, elle tend la main vers lui, doucement, pour le caresser, elle aussi. Pour jouer, sans doute. Entre eux se déroule alors une sorte de langage silencieux, comme s’ils se connaissaient depuis longtemps. L’un tourne en cercle autour de l’autre qui l’observe aussi longtemps que faire se peut ; se touchant de temps à autres, s’éloignant puis se rapprochant. Elle prend de plus en plus d’assurance, lui aussi.
Lorsqu’une dernière fois, il s’éloigne quelque peu d’elle, gardant toujours un œil fixé sur cet être nouveau qui a franchi les portes de sa connaissance, elle entend un étrange bruit à ses côtés, un bruit de bulle qui n’est pas celui de son détendeur puisqu’elle n’expire plus. Elle tourne la tête. Le tuyau qui reliait la bouteille à son gilet se met à tournoyer follement, laissant l’air s’échapper à son gré jusqu’à la surface. C’en est trop pour lui, c’est un signe.
Il fonce alors sur la pauvre créature sans défense qui n’a d’autre réflexe que celui de mettre la main devant son visage, se privant ainsi de sa dernière échappatoire en cachant l’image du prédateur à ses yeux paniqués. Les dents cauchemardesques s’ouvrent enfin pour se refermer inévitablement sur elle, le bras de la pauvre femme n’ayant finalement pas servi à grand-chose…
Ondine, parmi les siennes, dans une couleur qui, si elle n’avait été celle du sang, aurait été appréciée par bien des amoureux de la poésie…
Finalement, peut-être aurait-elle du se rendre compte qu’il y a une limite à tout et se contenter de ce qu’elle avait.
Bienvenue dans FTV. Et bravo pour l'effort de construction de votre texte. Néanmoins, vous ne respectez pas le consigne qui exigeait le singulier et vous décevez avec une chute trop attendue. Votre mise en situation dure trop longtemps. Pensez à ménager davantage de surprise.
· Il y a plus de 13 ans ·abeline
Merci ^^^
· Il y a plus de 13 ans ·A vrai dire, je me suis longuement demandé si je devais la garder ou non... bah, je ne peux plus faire marche arrière, ça serait tricher !
merci de votre commentaire !
rena-circa-le-blanc
la précision de terme techniques donne une épaisseur incomparable à ce texte, bravo! Bien écrit en plus. (j'aurais juste retiré la dernière phrase qui affaiblit le reste à mon avis...)
· Il y a plus de 13 ans ·victoria28
Merci à vous deux, merci beaucoup (à vrai dire, j'ai déjà un niveau de plongée, et je n'ai pas pu passer le second, faute de temps, donc j'ai tenté de me souvenir des termes utilisés)
· Il y a plus de 13 ans ·Ces commentaires me vont droit au coeur ! Merci beaucoup ^^^
rena-circa-le-blanc
Longue contribution, mais que l'on avale tout rond, le lecteur est capté. La description technique en terme de plongée et le vocable qui s'y rapporte nous plonge dans votre nouvelle. Bien joué !
· Il y a plus de 13 ans ·leo
Elle a joué elle a perdu. Mais ce ne sera peut-être pas ton cas, eu égard à la qualité de ce texte.
· Il y a plus de 13 ans ·Chris Toffans