Sur le quai de la folie

Noir Blaireau

Avec deux semaines de retard, je suis né lion l'année du tigre. Avec l'aigle pour prénom et le chêne pour patronyme, on peut dire que ça en jette non? Ah oui, cela s'est passé un dimanche matin, pendant le déménagement des heureux parents, lesquels s'étaient unis quelques mois plus tôt le jour de... Tchernobyl. Autant vous dire qu'il a fallu m'extirper de ce ventre gonflé qui avait tant fait blêmir ma grand-mère lorsqu'il s'était invité au mariage!

A la gare Saint-Lazare, la bête me recrache à nouveau. Il y a des escalators cette fois, des voyageurs robotisés qui plongent au royaume de l'abondance vers les galeries tout au fond. Un souffle perce la climatisation, calme mon corps qui sue sans effort et crie famine. Mais à l'âge d'Hendrix, Joplin, Morrison et Cobain, mes poches sont un puits sans fond aussi vides que les carrières chéries des mineurs du Nord. Je suis un peu tendu car, malgré tout, je n'ai pas leur expérience du rail.

Le train démarre et toute une famille chante ses louanges à Dieu sur un air de coupé-décalé. Lui et moi en avons depuis longtemps fini, bien avant ma dernière communion. I speak english, hablo el castellano, atakalam al arabia, mais je ne communique pas avec l'au-delà. S'il est bien un aventure dont je me passerais volontiers, c'est celle-ci.

Peut-être est-ce moi qui, en vérité, m'exclus de facto. J'ai beaucoup visité — surtout la fac (on m'a même filé une licence pour ça) — mais je suis trop ancré dans mon quartier. Je regarde le paysage défiler comme je juge la vie qui m'entoure. Etudier les langues, les cultures du monde ne m'a pas guéri de la Folie, qui n'est rien de plus pour moi qu'un environnement naturel. L'Histoire, ici, c'est la guerre qui l'anime.

C'est là-bas que j'ai grandi, à deux pas du Mémorial, dans le plus vaste quartier de Caen. Là-bas que ma plume est née pour au final s'enraciner, là-bas que je retourne après être entré dans le tramway, là-bas que résonne après la fournaise parisienne le plus violent orage que j'ai jamais vu! Sur le football, j'ai coécrit un livre, fait pleuvoir les articles... Que sur le reste l'encre puisse autant couler que les larmes du ciel!

Signaler ce texte