Teresa. ( Exercice d'atelier d'écriture )

Morgane Ng Tat Chung

Le regard d'un enfant peut changer le monde.


J'étais une jeune femme jeune et en bonne santé quand je suis entrée dans la baie de Guanabara, me suis baladée dans les rues de Rio, et que j'ai fais la connaissance de Teresa.

C'est devant mon hôtel dans un quartier d'affaire que je l'ai vue pour la première fois. Moi, jeune femme bien habillée entrant dans un bâtiment chic, elle, enfant pieds nus et main tendue vers les passants. Si on l'ignorait, elle ne faisait pas d'histoire, mais elle baissait tristement les yeux et l'on sentait alors poindre en elle un sentiment de désespoir. Elle était là, me suppliant du regard, main tendue. Je passais devant elle sans m'arrêter et entrais dans mon hôtel…


Lorsque je ressortis deux heures plus tard, elle était toujours là, tremblante sous le silencieux mépris des gens fortunés. Mais ses yeux brûlaient d'une dignité incroyable. En vérité, elle me captivait…
Je la revis chaque jour par la suite. Elle me suivait du regard jusqu'à ce que j'eu disparue à l'intérieur de hôtel La vie continuait, à son rythme incessant et insensé.


Des jours, peut être des semaines s'étaient écoulées, des mois, que sais-je… alors que je rentrais dans l'hôtel, une petite main se faufila dans la mienne et une petite voix à l'accent portugais me dit : 
«-Madame, pourquoi tu es malheureuse?»


Je lui ai souri. Sans saisir tout de suite. Puis, finalement je me dis qu'elle avait compris bien plus de choses que moi… Elle me fit visiter la ville, avec des mots que seule une enfant peut trouver pour décrire des choses aussi simples que le bonheur.
Une petite chaîne tintant autour de sa cheville, elle courait, sautait à cloche pied sur les pavés, les bras levés vers le soleil, son sourire rayonnant, et paraissait loin d'être l'enfant malheureuse qu'elle était devant hôtel

Teresa.
Tu m'as montré ta vie, ton quartier, le bas d'immeuble où tu vivais avec six autres enfants. Tu étais bien, tu étais belle.
Le jour suivant tu m'attendais devant l'hôtel. Pas la main tendue, mais le visage illuminé par un franc sourire. Ce jour là tu portais des chaussures, et tu avais mis un ruban bleu dans tes cheveux.


Durant deux semaines nous nous sommes apprivoisées, j'envisageais de t'adopter et tu n'as jamais été aussi heureuse que lorsque je te l'ai proposé.
Pourtant, le jour du départ, tu n'es pas venue. Sept heures durant j'ai attendu, prostrée sur les marches de hôtel, un cadeau pour toi entre mes mains… marches sur lesquelles hier encore tu dansais. Jouant nerveusement avec une mèche de cheveux. La pluie commençait à tomber.
Je t'ai cherché, partout.
Quand ils m'ont dit où tu étais, là, dans ce bas d'immeuble miteux, mon cœur s'est brisé.

J'étais une jeune femme jeune et en bonne santé, ce que tu ne m'avais pas dit Teresa, c'est que ce n'était pas ton cas.



Je suis retournée dans ma ville . Loin, au bout du monde. J'ai retrouvé mes habitudes, les pièces vides dans lesquelles résonnait à présent l'écho de ton rire, celui  que j'avais imaginé se poser sur mon vieux piano, le vieux parquet grinçant, sur lequel tu aurais tant aimé danser, et cette odeur d'enfance que finalement tu ne laissera jamais flotter.
Et tout ce décor dans lequel j'avais grandis, toutes ces rencontres futiles, inutiles, toutes ces journées passées …tout me semblait à présent étranger…
Je ne pouvais pas t'oublier. C'était impossible.

Il a fallu que je réapprenne à vivre, j'ai voyagé, trop perdue dans le fil de mes sombres pensées pour apprécier toutes ces choses dont tu m'aurais vanté la beauté. Les nuits ont passées, les jours ont filés, les verres se vidaient.  Je n'ai pas dormi durant tellement de temps…


Les gens me serraient la main, me souriaient, heureux de me revoir … 
Mais chaque nouveau paysage, chaque nouvelle rencontre, ne me rappelait que trop l'enfant à l'accent du soleil que tu étais.


Alors j'ai décidé d'écrire, écrire pour survivre, écrire pour oublier, écrire pour me souvenir, écrire pour continuer. 
  Écrire. Ma vie, celle d'avant ou d'après, qu'importe. Écrire pour toi.

Depuis quelques années, la seule image qui me reste de cette vie là est ta main tendue, comme un appel à l'aide que je n'aurais pas écouté.
Et ta petite voix qui me dit : «madame, pourquoi tu es malheureuse ?»

Alors,  j'ai décidé de te répondre.

Le ciel est gris souris. La pluie ne tardera pas à s'effondrer... 
Je laisse sur cette chaise ce qui ne me sert pas. Mes démons. Mon ennui. Je prends ma mémoire et mon âme. 
J'arrache une feuille d'un de mes carnets sacrés, j'ai continué à écrire, vois tu …


Et je laisse des mots, pour toi. Ainsi souillée, la feuille s'envole au loin. Elle te trouvera, j‘en suis sûre.
J'ai réappris à vivre, et malgré tout, dans la pièce d'à côté, une enfant à la bouche en bouton de rose s'est endormie dans son berceau, il y a quelques minutes à peine.


Et elle porte ton nom, Teresa. 

 

Signaler ce texte