Tes obsèques

Hervé Lénervé

De profundis morpionibus.

Il y a des jours avec et des jours sans.

Moi, je connais surtout les jours sans, je suis un expert en jours sans. Si vous en avez marre de baigner dans une sempiternelle béatitude, je peux vous faire une formation sur les jours sans, vous initier à la déprime.

C'est simple ! Primo se lever toujours du mauvais pied. Comment reconnaître son pied moche de son pied beau, facile c'est celui qui n'a pas la chaussure de trois tonnes. Je sais, cela demande de dormir tout chaussé, mais il faut quand même faire quelques efforts, aussi, on ne va pas tout vous donner, tout vomi, merde ! Ensuite, se démerder pour renverser son café sur sa femme, celui qui n'a pas de compagne peut le renverser sur la montagne. Après l'engueulade qui met toujours de bonne humeur, sortez, vous aérer un peu et débrouillez-vous pour marcher dans une merde de chien du pied droit, bien ! Vous pouvez en rajouter en glissant dessus pour tomber sur le cul et mourir sur le coup ! Ça c'est radical, certes et l'histoire est déjà finie.

Mais non, voyons, il y a l'enterrement après et les copains qui viennent de partout à vos obsèques. Bon, ils n'avaient rien d'autre à faire, non plus ! On ne va pas leur filer une médaille pour si peu, encore, non plus !

Ils se recueillent sur votre tombe, pour ceux qui ne se sont pas gourés de stèle. C'est vraiment dommage que vous n'entendiez plus rien. Tient, pour une fois qu'ils disent des choses gentilles sur vous, si, si ! On devrait toujours entendre les éloges funèbres de son vivant, que de louanges perdues au vent.

Certains pleurent, d'autres philosophent. Bertrand, ton pote que tu n'aimes pas, dit, des trémolos dans la voix, sur ta tombe encore chaude.

-         Eh, dire, qu'on ne sait même pas ce qu'il y a après !

Bernard, ton meilleur pote lui répond.

-         Mais si, on sait, voyons ! Il y a l'apéro chez Marco !

Putain, les frères Auguste et Louis ont encore sorti leurs costumes blancs pour l'occasion. Faut dire, qu'il faut être vraiment con, quand on a qu'un seul complet de l'avoir choisi blanc, bon passons, les deux frangins  n'ont jamais été des lumières.

Mais qui est donc cette jeune inconnue qui pleure sincèrement sur ta dépouille ? Qui aurait pu croire que tu aies pu susciter tant de chagrin à une si belle ingénue ? Je me renseigne, elle s'appelle Jolie et Dieu qu'elle est julie, ou l'inverse ! Sa détresse m'émeut et quand je suis touché, je dois toucher de plus près. Mine de rien, je me rapproche d'elle en renversant trois pots de fleurs aux macchabées voisins. Je me fraye un passage entre les gens, en jouant des coudes, Brigitte en profite pour tomber dans la fosse et se fracasser le crâne contre ton cercueil en bois d'arbre, il faut toujours qu'elle se fasse remarquer, celle-là ! Cela te fera un peu de compagnie pour tes longues solitudes. Tu ne vas pas t'embêter avec la Brigitte pour l'éternité à tes côtés. Je suis, à présent, présent aux côtés de la belle. Je lui prends le bras, car en prendre plus ici, ne serait pas convenable. « Gardons-nous de l'indécence ! » Pensé-je à part dans ma tête, en lui ceinturant sa taille.

-         Vous étiez très proche de Roger ?

-         Non, je ne le connaissais pas !

-         Tant mieux ! Vous n'y auriez rien gagné. Vous vous êtes trompée d'enterrement ?

-         Non ! J'allais à un mariage et j'ai coupé par le cimetière, c'est plus gai.

-         Vous n'allez pas être en retard pour le mariage ?

-         Pas grave, c'est le mien, ils seront bien obligés de m'attendre un peu.

-         Je me disais aussi que c'était étrange de venir en voiles et robe blanche à des obsèques à moins d'être de la famille d'Auguste et de Louis.

-         Qui donc ?

-         Peu importe, ils ne vous auraient pas plus. De toute façon vous allez vous marier !

-         Oui ! enfin… je crois.

-         Vous hésitez ?

-         On hésite toujours un peu, non ?

-         C'est vrai, la vie n'est qu'une vaste et vague hésitation et si on s'en allait hésiter ailleurs ?

-         J'allais vous le proposer.

Nous partîmes et le reste de l'histoire est intime. C'est mon jardin secret. Tient, il faudrait que je mette un bon coup de tondeuse à mes friches.

Donc, je ne vous la présente pas davantage, par contre, je vous présente mes sincères consolations, non, mes condescendances, non, non, mes correspondances, pas bon, non plus, mes… et puis merde, vous m'avez compris !

Voilà, vous voyez même dans des jours sans, parfois une embellie peut survenir et même survivre. Ce n'est pas parce que j'écris à la truelle que je ne peux bâtir quelque chose de solide, je ne suis pas un être insensible, bordel de merde !

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