The drowning man

petisaintleu

Quand j'étais au CP, nous avions été invités le temps d'un week-end dans la maison de campagne du second de mon papa, du côté d'Hesdin.

Cette année-là, j'appris à nager mais j'étais encore loin des exploits d'un Johnny Weissmuller. Les Dents de la Mer étaient sorties quelques mois auparavant et il se trouvait toujours un copain à faire l'andouille, plongeant tout en conservant une main émergée latéralement hors de l'eau pour imiter l'aileron d'un requin. Bien qu'approximatif, ce mimétisme déclenchait une peur panique qu'avait bien du mal à contrôler le maître-nageur.

Contrairement à ce que nous pourrions penser, les fleuves sont plus nombreux que les quatre étudiés en cours de géographie. La Canche en fait partie mais je ne saurais dire si c'est elle ou l'un de ses affluents qui bordait la résidence secondaire. Avec une pente moyenne de 0,15%, il ne faut pas compter y faire du rafting.

En face de l'entrée se trouvait un petit pont. Contrairement à ce qu'a pu chanter le ménestrel Yves Duteil, celui-ci était en bois, des planches jetées aléatoirement entre deux poutres pour être précis.

Vous pensez bien qu'à six ans, l'envie de traverser était la plus forte. Je ne pouvais qu'imaginer, derrière l'alignement de saules pleureurs qui bordait la rive opposée, des preux chevaliers combattant des dragons pour le cœur d'une belle.

Profitant de l'apéritif, que mon papa n'aurait manqué pour rien au monde, je m'éclipsai pour le franchir avec intrépidité. Quelle fut ma déception quand derrière le rideau d'arbres, je ne découvris, à défaut d'un univers fantastique, qu'une grasse prairie ou paissaient de placides vaches laitières.

Mon enthousiasme s'affaissa d'un coup et avec lui ma témérité. Quand il s'agit de retraverser le cours d'eau, je fus pris d'un vertige à la vue du gouffre, dans les 1m50, qu'il me fallut franchir.

Mon oreille interne perdit la voix de la raison pour me précipiter vers les ondes saumâtres. Une fois à l'eau, je me débattis contre d'éventuels alligators ou piranhas et j'appelai au secours.

Quand mon papa m'aperçut et qu'il constata que j'avais pied, il fit demi-tour. J'étais bien assez grand pour me tirer d'affaire de ces eaux stagnantes, transformées en bourbier par les déjections bovines.

Une fois sorti de ce mauvais gué, je m'allongeai au soleil pour me faire sécher. Il était heureux que pour une fois le ciel du nord me soit clément. Ma maman avait refusé que je me change, répondant à des ordres impérieux et supérieurs.

Quelques années plus tard, je comprendrai d'autant mieux le poids des paroles d'Alain Souchon : « A l'eau maman bobo, comment tu m'as fait j'suis pas beau ».


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