The next rendez-vous
rodolphe-m--2
La jeune femme à l’imperméable noir qui observe l’homme étendu sur le trottoir de la soixante quatorzième, à quelques mètres à peine de Central Park, est fascinée par la flaque de sang qui entoure le corps. Autour d’elle les passants, qui se sont amassés derrière les barrières dressées par les forces de l’ordre, ont les visages remplis d’horreur. Elle non. Elle reste impassible comme toujours. La dizaine de policiers en uniforme qui travaillent sur la scène du crime l’ont tous regardée en arrivant. C’est vrai qu’elle ne passe pas inaperçue avec ses longs cheveux roux, sa peau porcelaine et sa silhouette de magazine. L’idée qu’elle puisse avoir le moindre lien dans ce décès n’en a pourtant effleuré aucun. L’homme qui prend les photos du cadavre relève un instant son appareil vers elle en souriant. Il pense ainsi réussir à capter son attention, voir pourquoi pas à engager une conversation par la suite. Il appuie sur le bouton pour prendre le cliché et la lumière du flash explose sur elle. Il fait disparaitre un instant son air angélique pour révéler des traits inquiétants, presque cadavériques, qui le font frémir. Il regarde autour de lui à la recherche d’autres témoins de cet étrange évènement mais personne n’a l’air d’y avoir prêté la moindre attention. La jeune femme à l’imperméable noir lui adresse un petit signe de la main, presque de connivence, puis fait demi-tour et disparait dans la foule.
Elle marche le long de Central Park West en direction de Terrasse drive en observant les feuilles orangées qui viennent de tomber et qui volent partout. Les voitures bloquées dans l’embouteillage font marcher leurs essuies glaces pour s’en débarrasser tandis que les new yorkais, sur les trottoirs, se battent contre le vent pour essayer de les éviter. Elle n’a pas ce problème car les feuilles s’envolent au loin dès qu’elle pose un pied à terre. A peine quelques-unes osent s’enrouler autour de ses jambes comme prisent dans un tourbillon invisible. Elle entre dans le parc par l’un des petits chemins goudronnés, où bon nombre de familles vont pour se promener le weekend mais qui est à peu près vide en cette fin de matinée. Elle a encore un peu de temps avant sa prochaine rencontre alors elle décide d’en profiter en s’asseyant sur un banc. Elle ferme les yeux pour se concentrer sur l’odeur de terre humide et sur celle des arbres qui retombent petit à petit en hibernation. Elle aime cette saison car c’est celle qui lui ressemble le plus.
Elle sort de sa quiétude en sentant le parfum bon marché d’un après rasage. Elle découvre qu’un homme d’âge mur s’est installé à côté d’elle. Elle l’observe ouvrir son attaché-case pour en sortir un sandwich empaqueté dans de l’aluminium. Il l’enlève de son emballage et croque une grosse bouchée. Une bonne dose de mayonnaise et de Ketchup lui tombe alors sur le pantalon et il peste la bouche pleine en levant les yeux au ciel contre sa femme qui l’a préparé. Il sort de la poche de sa veste un vieux mouchoir sale et se met à essuyer les traces de sauce qu’il n’arrive qu’à étaler un peu plus.
-Vous n’auriez pas une serviette par hasard ?
Elle regarde dans son dos pour s’assurer que c’est bien à elle qu’il parle. Elle n’a tellement pas l’habitude… Elle l’observe longtemps sans rien lui répondre, suffisamment pour lui faire baisser les yeux. Quand elle se lève pour continuer sa route, le regard de l’homme est devenu absent. Il finit même par lâcher son repas sur le sol sans le remarquer.
Elle marche une dizaine de mètres avant de voir son rendez-vous arriver en courant sur la route. Il porte une de ces tenues de sport à la mode faite d’un mini short et d’un débardeur aux bretelles fines. Comme tous les autres il la regarde en espérant qu’elle lui lance un coup d’œil. Cette fois elle le fait et lui offre en surcroit son plus beau sourire. La course de l’homme ralenti alors soudainement, ses jambes deviennent molles et il tombe à genoux. Il ne peut pas décrocher ses yeux de la centaine de petites canines aiguisées, comme des pics à glace, qui remplissent la bouche de la jeune femme à l’imperméable noir. De minces filets de sang apparaissent aux coins de ses yeux et de sa bouche puis il s’écroule. En quelques secondes à peine une flaque rouge se met à l’entourer. Une vieille dame se précipite alors vers lui pour essayer de l’aider mais en vain.
-Il est mort, dit-elle.
Même après des siècles de ce petit manège elle prend toujours autant de plaisir à observer ces fourmis, que sont les hommes, s’attrouper autour de son œuvre. Elle aimerait rester pour observer la suite mais cette fois elle ne peut pas se le permettre. Elle est déjà en retard pour son prochain client.
On se trouve à mi-chemin entre un thriller policier proche de ces séries US dont nous abreuvent les TV ces dernières années et une trajectoire déviante à la Stephan King.
· Il y a environ 11 ans ·Un bel essai donc (pour le concours j'imagine. alors bonne chance de ce coté - je ne peux pas critiquer sur l'axe du concours, je n'ai pas lu la présentation et ne connait pas les contraintes..).
en tout cas, bravo.
(dis, au début, ta description de la femme m'a fait penser à Odile Vuillemin... mais bon, la suite a bien renversée cette image ;-)
wic
Merci pour ton commentaire. Je ne connaissais pas Odile Vuillemin mais oui physiquement ça pourrait être ça. A bientôt.
· Il y a environ 11 ans ·rodolphe-m--2