The second ballad with poetry

walkman

J'apprends ma nouvelle vie en essayant différentes techniques de sevrage expérimentales. Quand vous avez, comme moi, passé une bonne partie de la vie à compter plus souvent votre nombre d'erreurs que les heures sur votre montre à quartz, alors il devient difficile d'effacer pour mieux repartir. Et ce n'est pas la taille de ma troisième maison qui dira le contraire. À côté de ça, l'arrière boutique d'une quincaillerie new-yorkaise en plein quartier asiatique à l'air de l'intérieur d'une berline allemande neuve exposée sur Park Lane. Mais la femme de ménage que je n'ai pas ne se plaint pas. De toute façon, si elle était là, probablement qu'elle ne quitterait pas beaucoup la chambre. C'est une de mes techniques expérimentales pour moins boire ce cocktail à base de plante hallucinogènes dissoutes dans l'alcool. Qui m'a valu un nouveau tour auprès des services de désintoxication de Mataró pendant une petite année. 

La thérapie sexuelle se déroule plutôt bien, peut-être parce qu'à Barcelone, l'été dur un peu plus longtemps. Peut-être aussi parce que mes nouveaux amis aide-soignants me considèrent comme un queuetard et que le monde d'aujourd'hui aime découvrir les penchants pervers de types controversés dans mon genre. Il suffit que je dise mon nom pour que certaines chimères délicieusement acides m'ouvrent leurs bras du bas. Je n'avais jamais eu à faire à ce genre insolent de célébrité. On ne me cause d'ailleurs jamais de peinture. Tant mieux, je ne suis plus un peintre non plus. Les toubibs n'ont pas laissé de place à ma passion dans mon programme de survie en terrain social. 

Donc je suis plus où moins en liberté dans cet eldorado de la libido transcendantale chère aux nombreux Kant que j'ai eu le loisir de rencontrer dans des bureaux blancs sans ambiance où je devais hocher la tête comme si c'est moi tout entier qu'on astiquait. J'ai signé leur putain de propagande pour un monde propre sans dolence et j'ai pu sortir. 

L'asticot au verbe étrangement poético-cynique, j'ai nommé London Oak, me sert de coach et de garant bancaire pendant cette longue période probatoire où je n'ai plus le droit de mettre le moindre pied dans un bar, dans un dîner mondain ou dans une pharmacie. Mais j'ai le droit à m'abonner aux chaînes pornos, à me faire livrer des caisses de bourbon directement du pays de l'oncle Sam ou encore d'acheter de l'herbe. Pour Noël dernier, j'ai aussi reçu une lettre de McLaren disant qu'il était sérieusement déçu par ce gachis global qu'est devenu ma vie. S'il savait qu'en plus de ma réputation d'abruti fini, je dois me coltiner l'idée géniale de l'ancien éditeur d'Igor Levy qui m'a trouvé un job d'enfer. Encore que l'enfer prendrait moins de plaisir à m'épiler les couilles poil par poil. Chaque soir, j'ai honte, je suis la mascotte de l'émission Muhammed's Radio présenté par un nain d'un mètre soixante quatre à la peau d'ébène et aux côtés d'Ernesto Chesus, déclaré artiste complet et surréaliste par la fiscalité catalane. Entre le "minimam" à la morale soporifique et l'artiste mégalo amateur de jeunes filles, ma vie a pris un tournant tragicomique que n'aurait pas renié les débuts tâtonnant de Corneille. La rage, le désespoir et la vieillesse ennemie n'étaient pas sur le bail de ma chambre du centre de désintoxication mais, comme dirait les Stones, tu ne peux pas toujours avoir ce que tu veux. Alors j'ai accepté de parler de mes montagnes de problème pour que le message passe auprès de la jeunesse décadente et lubrique de Barcelone et qu'elle puisse se faire une idée de ce qu'il les attend un peu loin sur le chemin de Dante que nous voulons tous prendre pour diverses raisons.

J'en profite peut-être. Trop, même, diront mes nouveaux amis. Mais à perdre sans idylle, on se noie sans boire. Alors au comptoir des nuits glacées de souvenirs, j'ai commandé à la dame la liqueur de poésie. On essaie de se reconstruire et le printemps est inexorable*. 

* "Le printemps est inexorable" est une citation de Pablo Neruda, poète chilien. 

Signaler ce texte