TO BE APPLE OR NOT TO BE
Marilyse Leroux
Science & Devenir - N° 69 - Mars 2024
____________________________________________________
TO BE APPLE OR NOT TO BE
On nous promettait jadis le paradis sur Terre, Steve Jobs nous l'offre sur un plateau.
Avant de partir au boulot, avez-vous pensé à croquer la pomme ? Oui, non ? En tout cas certainement pas celle que nous propose Steve Jobs du haut de ses 69 ans.
Pour rester dans la course au maximum de vos capacités cérébrales et physiques, sacrifiez quotidiennement au rite de la pomme ! Bien sûr pas n'importe laquelle : the best one, baptisée BE APPLE, élevée dans les vergers prospères (très secrets) de la Silicon Valley par le non moins prospère Steve Jobs. Une invention qui va révolutionner le monde, affirme la célèbre firme pomifère. Rien de moins.
De quoi s'agit-il ?
De santé tout simplement, la vôtre, celle de vos proches, de toutes celles et ceux qui sur cette planète croqueront ce fruit hors du commun, la synthèse de ce qui se fait de mieux en bio-nanotechnologie. Ce projet phare, à l'étude depuis plusieurs années, entre aujourd'hui dans sa phase de commercialisation. Un enjeu planétaire qui n'est pas sans soulever quelques interrogations, sur lesquelles se penche actuellement le G30 réuni à Versailles. Le roi Soleil, dans ses jardins, en est, paraît-il, tout retourné.
“ONE BE APPLE A DAY KEEPS THE DOCTOR AWAY.”
Notre journaliste Marilyse Desvallons a réussi à décrocher un entretien avec Steve Jobs en personne lors de sa venue au Salon des Hautes Technologies So future de Paris, manifestation qui a une nouvelle fois confirmé le leadership d'Apple dans le secteur des UHN (NDLR : ultra-hautes nanotechnologies).
S&D- Steve Jobs, comment vous est venue l'idée de la Be Apple ?
SJ- C'est en repensant à une comptine que me chantonnait ma granny « One apple a day keeps the doctor away » que j'ai eu l'idée de m'intéresser à cette pomme éponyme, une façon de rendre hommage au bon sens de ma grand-mère Victoria que j'adorais. Cela fait aussi un bail que je suis converti aux cinq fruits et légumes par jour. Chez moi, d'ailleurs, c'est plutôt le double, puisque je suis végétarien depuis les années 70.
S&D- Est-ce à ce régime écocitoyen que vous devez votre éternelle jeunesse ? Vous avez toujours une longueur d'avance, semble-t-il.
SJ- Sans doute, oui, vous avez raison, on est en grande partie ce que l'on mange. Le miracle, on se le crée, c'est ma devise depuis que je suis né. Et créer, c'est rester jeune !
S&D- Décrivez-nous la Be Apple, qu'a-t-elle de particulier ?
SJ-De l'extérieur, c'est une Granny tout à fait normale. Sous la peau, c'est différent : nous avons pu, grâce à l'ultraminiaturisation, insérer sous toute la surface du fruit des nanoparticules capables d'analyser les données corporelles en un temps record : pression sanguine, plaquettes, taux de sucre, de cholestérol, triglycérides, enzymes, vitamines, sels minéraux… sans oublier les germes, les virus, les cellules erratiques, etc.
S&D- Vous voulez dire un check-up complet dans une simple pomme ?
SJ- En somme, oui, c'est ça !
S&D- Tout cela paraît incroyable, comment ça marche ? Et, question de béotienne, si on épluche la pomme ?
SJ- Vous comprendrez que je garde secrets nos procédés de fabrication. Ce que je peux dire, c'est que sous sommes parvenus, grâce à de nouveaux algorithmes – issus des travaux sur l'inférence bayésienne d'un chercheur français – à disséminer de façon uniforme, parfaitement régulière, des nanoparticules carbonées intelligentes et cela sur deux couches distantes de quelques millimètres : l'une directement située sous la peau pour les amateurs du « croquer nature », et l'autre plus en-dessous, dans la pulpe. Où que vous le croquiez, que vous le finissiez ou non, le fruit est opérationnel. C'était une condition sine qua non au développement du produit.
S&D- Cette pomme high tech peut-elle passer au four ?
SJ- Elle est faite pour être consommée crue, mais, si, par mégarde, on la cuit, elle ne présente aucun risque pour la santé, les nanoparticules étant des chaînes carbonées qui ne présentent aucun danger pour l'organisme.
S&D- Que deviennent les données recueillies par ces nanoparticules ?
SJ- Les données recueillies tout au long du cycle digestif sont transférées à votre demande sur le terminal de votre médecin personnel, via l'interface compatible de votre choix, notre dernière iWatch par exemple, où elles sont triées, analysées, mises en relation avec votre historique médical. Une veille se met en route automatiquement et signale au praticien tout problème nécessitant une visite, un simple suivi ou un contrôle plus approfondi.
S&D- Par quel miracle est-ce possible puisque ce seront les mêmes pommes pour tous ? Comment le médecin saura-t-il qu'il gère vos données personnelles et non celles de votre voisin ?
SJ-Tout simplement grâce au codage génétique, utilisé depuis quelques années pour les pièces d'identité. Rappelez-vous, dès les années 2000, nous avons été parmi les premiers à nous pencher sur les problèmes de sécurité biométrique.
S&D- Quand on voit le volume de nourriture jeté par chaque foyer, ne craignez-vous pas un immense gâchis ?
SJ- Acheter la Be Apple sera une démarche responsable, pourquoi vouloir la jeter ? Chaque fruit sera ensaché sous un packaging biodégradable et donc assuré de conserver ses qualités bioniques et nutritionnelles plusieurs jours à température ambiante.
S&D- Donc, si je vous comprends bien, avec cette pomme, vous nous proposez le paradis sur terre ?
SJ- N'exagérons rien : je vous propose juste de croquer la vie ! À pleines dents ! Et surtout de vous réapproprier votre devenir. C'est le plus important, je crois. Dans un monde chaotique qui nous ballotte ici ou là au gré des tempêtes, il est vital de diriger sa barque, d'en reprendre le gouvernail quoi qu'il arrive.
S&D- Avez-vous expérimenté vous-même la Be Apple ?
SJ- Cela va de soi ! Je suis mon premier cobaye ! Suffit de me regarder, non ? (À cet instant, Steve Jobs illustre son propos d'une contorsion des plus facétieuses. Voir photo.) Plus sérieusement, vous pensez bien que la Be Apple a subi des batteries de tests cliniques ultra-draconiens pour en arriver là.
S&D- Votre invention vous a-t-elle rassuré ?
SJ- Dans l'immédiat, oui, je n'ai pas de souci à me faire, juste continuer à me surveiller et à m'autoréguler. Je ne compte pas tirer ma révérence de sitôt, j'ai encore tellement de projets en chantier !
S&D- On parle pour la conception de la Be Apple de budgets pharaoniques, qu'en est-il réellement ?
SJ- Les sommes mises en jeu sont importantes, certes, mais négligeables en comparaison de celles dépensées par les caisses de santé des différents États. Tout le monde le constate, les populations occidentales vieillissent, alors que, dans d'autres pays, elles sont en plein essor. Les besoins en matière de santé n'ont jamais été aussi grands qu'aujourd'hui. Partout, de la Chine au Groenland, du Maroc au Brésil, du cabinet d'avocat au pavillon de banlieue, on veut accéder à la santé et la prolonger le plus possible. Vieillir est une chose, vieillir en bonne santé, une autre. La santé est un droit auquel peinent à faire face nos sociétés modernes, pourvoyeuses de médicaments et de psychotropes en tous genres. Et je ne parle pas des contrefaçons qui font florès sur le net…
S&D- Justement votre Be Apple ne risque-t-elle pas d'accroître le fossé entre les pays riches et les pays émergents ?
SJ- Nous allons rendre le produit accessible au plus grand nombre en travaillant avec les États et les organisations non gouvernementales pour un accès aux soins plus aisé partout où c'est possible. La santé est devenue l'enjeu planétaire numéro 1 aujourd'hui, avec son corollaire dans nos sociétés technologiques : la lutte contre le vieillissement.
PRÉVENIR LES PÉPINS DE SANTÉ
S&D- Quelles implications aura cette nouvelle invention ?
SJ- Outre les données médicales de base, quantité d'informations seront directement disponibles, comme je l'ai dit, sur votre iPhone, votre iPad, votre iTV, l'iLook de votre salle de bains, toute interface en fait. Elles vous permettront une autorégulation de vos besoins nutritionnels et pharmaceutiques. Et c'est là, peut-être, la plus grande révolution promise par notre Be Apple. Les iWatch, nos montres connectées lancées dans les années 2010, avaient déjà ouvert la voie avec leurs applications personnalisées (rythme cardiaque, nombre de pas, résistance à l'effort), de même dès 2014 notre Healthbook basée sur un système de cartes. Be Apple, elle, va résolument plus loin en matière de santé, en proposant du trois en un : analyse, alarme et relais.
S&D- Quelle différence avec les analyses classiques en laboratoire ?
SJ- Avec la Be Apple, chacun sera capable de gérer soi-même, jour après jour, sa santé en régulant son alimentation, sa prise de médicaments, d'alcool, etc. et, élément non négligeable, son poids. Avec elle, le règne de la malbouffe sera révolu, il serait temps si on s'en tient aux dernières statistiques en la matière. Certes l'être humain grandit, mais il grossit ! Et plus vite que ne le voudrait l'évolution naturelle, un phénomène dû à la globalisation effrénée de ces dernières décennies. On sait que le fléau de l'obésité touche des populations du globe jusque-là épargnées, les enfants en sont les premières victimes. Be Apple permettra d'inverser le processus en responsabilisant chacun d'entre nous.
S&D- Comment chacun réagira-t-il au signal d'alarme ? Quelle sera la marge de liberté ?
SJ- Des comités d'éthique alimentaire ont commencé à se mettre en place un peu partout, Be Apple devrait apporter une réponse décisive au problème soulevé par la malbouffe et le stress. Chacun restera libre de se soigner, bien sûr, de s'alimenter comme il veut mais il le fera en toute connaissance de cause.
S&D- Un tel Big Brother, qui s'insinue autant dans notre vie, n'est-ce pas dangereux ?
SJ- Justement, si nous parvenons à responsabiliser chacun, l'adaptation se fera sans douleur, sans atteinte aux libertés. Prévenir, c'est guérir, non ? D'autre part, nos systèmes de codage sont en parfait accord avec les organismes de régulation, dont la CNIL en France (NDLR : Commission Nationale Informatique et Libertés) avec laquelle nous travaillons en étroite collaboration. Avec l'OMS aussi, qui soutient notre projet.
S&D- Vous parliez du stress, ne risque-t-on pas d'alarmer inutilement le consommateur ? Et finalement de déclencher chez lui une nouvelle forme d'hypocondrie ?
SJ- L'un de mes professeurs au Reed College disait toujours « Knowledge is action », je le crois profondément. Chez Apple, nous parions sur l'intelligence de l'être humain, sur son sens de la survie aussi. Le tout, pour nous, est de faire en sorte que cette nouvelle possibilité lui soit accessible, qu'elle entre dans sa vie, au plus près, facilement, qu'elle le rassure en le responsabilisant. Un peu comme lorsqu'il se lave les dents tous les matins avec sa brosse connectée.
S&D- Entrer dans sa vie, c'est le cas de le dire, puisque maintenant vous allez pénétrer à l'intérieur de son organisme !
SJ- Oui, c'est une nouvelle étape, un tournant, je crois, pour l'humanité, un nouvel arbre de vie en somme. La vie est faite de renouvellements perpétuels, si je peux aider mes contemporains à vivre mieux et plus longtemps, je serai heureux, je pourrai partir tranquille quand viendra mon heure. On verra alors ce que me suggère ma Be Apple !
S&D- Quelle est la réaction des laboratoires d'analyses ? Vous entrez directement en concurrence avec eux.
SJ- Non, en fait, car les laboratoires suivent le mouvement. Ils se sont engagés depuis plusieurs années sur le marché du bien-être et des alicaments, on peut s'en procurer partout aujourd'hui. Ils vont pouvoir se réorienter vers des traitements plus ciblés, donc plus efficaces, notamment avec le développement des molécules autopropulsées qui sont en cours d'expérimentation. C'est un marché immense qui s'ouvre devant eux.
S&D- Qu'en pensent les médecins ?
Nous avons reçu le feu vert de la profession : chaque médecin volontaire sera équipé du terminal qui lui permettra de suivre ses patients à distance, selon le code en vigueur de l'e-médecine.
S&D- Dernier point, que penser des filières de production ? De l'impact environnemental de cette pomiculture à grande échelle ?
SJ- Nous ne commercialiserons que des pommes biologiques rigoureusement sélectionnées, certifiées sans OGM, issues de productions locales respectueuses de l'environnement et de la biodiversité. Aucun pesticide, aucun traitement chimique. Nous allons étendre la Be Apple à d'autres variétés que la Granny, bien évidemment. Nous comptons, grâce à la coopération de grands organismes tels que l'INRA, pour ne citer que la France, promouvoir d'anciennes variétés oubliées très goûteuses, une façon pour nous de lutter contre l'uniformisation désastreuse du goût. On le sent depuis les années 2000, il y a un véritable engouement pour les produits de terroir, pour l'authenticité. Partout, on se remet à cuisiner, à mieux consommer. Nos usines de fabrication et de conditionnement s'installeront à des points clés et travailleront avec les coopératives agricoles, les groupements locaux, etc. l'occasion de revivifier certaines régions éloignées du développement économique et de sauver l'agriculture. Nous sommes en pourparlers constants avec les syndicats de producteurs et leur ministère respectif, cela va sans dire.
S&D- Envisagez-vous d'appliquer votre invention à d'autres fruits ?
SJ- Bien sûr, nous allons devoir nous adapter aux coutumes alimentaires, au goût particulier des populations. Il nous faut un fruit de grande consommation, à consommer cru, pas trop petit pour permettre la diffusion des nanoparticules de carbone. Mais rien n'interdit davantage de miniaturisation dans l'avenir. En matière de céréales, c'est plus compliqué, on n'est pas encore prêt à proposer du riz intelligent, mais nous pensons déjà à des produits courants comme le concombre, la tomate...
S&D- Comment allez-vous lancer ce nouveau produit auprès du public ?
SJ- Le plus simplement du monde, car notre pomme parle pour elle : BE APPLE, BE ABLE ! Le slogan fait déjà le tour de la planète.
S&D- Où pourra-t-on se procurer la petite merveille ? Et à quel prix ?
SJ- Nous l'avons voulue d'un accès démocratique, donc à un prix accessible. Celui-ci reste encore à définir selon les variétés utilisées : vous devriez la trouver d'ici peu dans les rayons bio de vos magasins préférés, sur les étals des marchés, et même dans les distributeurs drive-in.
S&D- Steve Jobs, merci, comptez sur Science et Devenir pour vérifier si la Be Apple est bien la pomme d'or que vous nous faites miroiter aujourd'hui.
Il va sans dire que notre journaliste est revenue du salon avec un panier abondamment garni : essai prévu sous peu par le comité de rédaction au complet. On vous tient au courant dans notre prochain numéro. En espérant que la petite prodige aux pépins nous donne son feu vert !
Géhel, mars 2024. (Traduction : MD)