toi

Jean François Joubert

Toi

Une circulation de nuages passait sur mes illusions. La route était noire et le soleil absent, et les nuits si longues depuis que je n'arrivais plus à dormir. L'insomnie guidait toute ma vie, alors je marchais sans cesse afin de vaincre l'expression de cet abandon. Difficile d'être un pion dans un monde solitaire, un monde de devises et de consommation. L'almanach du marin breton ne m'aidait plus, mes rêves de navigations avaient pris l'eau. Mes pas heurtaient le sol, pas une musique dans ma tête, le silence presque vrai meublait ton absence. Je voyageais par petits mètres, un pas plus un pas traçaient ma voie, empreinte de folie, de souffrance. Blessé sans combat, je cherchais à comprendre les causes de cette chute violente, ce fossé de décadence. L'âme nue, j'avançais vers un chemin inconnu, la mort de l'amour...

Des ampoules aux pieds, ivre sous la menace d'un ciel ocre jaune, mes chaussures en sang, j'allais sans sens apparent vers une fuite incertaine. J'avais peur de ne pas tenir la hauteur, d'être muet face à l'invincible, et, sans vin, je tremblais. Ma peau perdait de ses couleurs, du rouge de cadmium sur cette surface endolorie par des kilomètres de souvenirs, je courais à l'abri dans ma mémoire, ma caboche creuse. La dégringolade avait commencé en décembre, Noël en fête, tu as pris ce sac à dos, l'essentiel de tes valises et sans dire un mot, le train t'a renvoyée sur la suite de ton destin, petite fleur. Imbécile, je croyais que tu allais voyager un temps sur la surface du globe, puis revenir prendre ma main. Je m'inventais une vie d'équinoxe en tentant de dompter mes ecchymoses, j'avançais le cerveau las, le ciel avait ses parures d'hiver toute l'année. Ma sottise se trouvait sur le solstice de décembre, cachée par la marque du Capricorne. Je marchais sur cette voie sombre de douleur tropicale, le jour toujours égal à lui-même. L'insomnie... Le sommeil qui s'évade et la montre qui se perd, j'allais vers nulle part, tout nu dans mon inconscient. Et mes pas se voulaient dociles, curieuse atmosphère. Heureusement les oiseaux n'étaient pas chiens, je voyageais en leur fidèle compagnie : le ptéranodon avait perdu toutes ses plumes, mais pas la buse ou le faucon crécerelle. Je croisais la route de marins : cormorans, sternes, goélands, mouettes et fous de bassan. Leurs cris stridents et la beauté de leurs vols me permettait de continuer à vivre. J'allais sur les routes en sueur où le bitume sentait ce que je ressentais.

Est-ce que vous le comprenez ?

Un arbre papillon ne vole pas, pas plus qu'un saule pleureur ne lâche une larme de bonne heure, pourtant leurs racines causent de la pluie et du beau temps. Une aigrette dans le cœur, je voyage sur le murmure de mon imagination, un geais cache sa beauté de réalité, ses plumes bleus battent de l'air et m'entraîne loin de ses murs que l'on dit noir. La mémoire prend de l'ombre depuis que le soleil s'éclipse, années sombres...

J'aime jouer et percer les secrets, ceux du silence, ceux de l'absence, mon bateau prend de l'eau azur mais sans savoir pourquoi, je ne sombre pas. La rage n'a pas d'abri en mon corps, porté par des vents illusoires, je refuse le déclin trouble de l'enfance. Je nage à marée basse sur un fond de vase, sans fleur, sans épine. J'avance vers la lune à l'abandon, sans lumière je vois clair et si des éclairs parcourent le ciel, ils ne seraient pas là pour me reprendre mon âge mûr, ce fruit de l'avenir. Ma peau s'abîme à côté d'un cyprès, ses feuilles me protègent de l'ennui. Mon essence fuit, pas mon goût de l'ignorance de l'au-delà, ses nuages qui filtrent votre peau, tout en convoitant votre enveloppe charnelle. Je rêve d'une plage de gravier ou d'ardoise, pour valser de ricochets en ricochets et rire, d'êtres en hêtres. Un jour ou peut-être une nuit, je partirais, moi aussi, voir si les taureaux ont des cornes, en Andalousie ou au Zimbabwe. L'oiseau de feu me donne des ailes. Curieux naufrage au cœur de ce mirage, dans l'œil du cyclone, la dépression. Je marchais sur une voie sans issue, broyant bien plus que du lapis-lazuli, je cherchais ta couleur, ton odeur, le bonheur, un fond d'espoir, une goutte à rajouter au paysage. Perdu dans la ville, je recherchais ta trace, l'effluve de ton corps, une grimace, du plaisir. Mais je ne pouvais noyer ma peine de te savoir lointaine. Hautaine, non.

Maintenant, je sais qu'il n'en est rien, et je marche sur l'ombre du mois d'août.

Sur ma route, celle de mes doutes, les oiseaux me criaient dessus, leurs déjections passaient près de moi, et je me collais une merde de chat sous la godasse droite, pas de chance. Un vieux nuage obscur me rafraîchissait la cervelle. Ce cumulus gris flottait tout là-haut, la pluie en menace sur ma fuite en avant...

Observez les nuages de la stratosphère, des Bahamas ou de Brest !

Leurs taches restent dans le ciel de longs instants. Ils prennent de l'altitude et convergent vers vos pensées secrètes, soutenus par le mystère de l'aspiration, subsidence ou ascendance ; en amoureux, ils se disputent toute la couverture du ciel de Klein. Les nuages pleurent parfois pour une fille qui a quitté une ville et volé des morceaux d'innocence. La pluie rigole sur nos routes et rend sévère le quotidien de ceux qui parlent du beau temps comme un vieux qui joue aux boules sans ce soucier de l'effet de serre, tandis que moi je promène ma misère les soirs d'orage ou au printemps. Je respirais mon quotidien comme une huître aspire le plancton, oubliant un instant la naissance de phosphorescence. Je portais ce mal en moi, aussi sensible qu'une femme attendant un enfant. Je le crois. J'avais cette flamme qui me dévorait le corps et je continuais à avancer. Pourquoi ?

Pour qui ?

Pour toi !

L'inoubliable comédienne, dans ta robe de transparence. Tu es ce cadeau souterrain du destin. Lorsque nos chemins se sont croisés sur la pointe d'une presqu'île, un presque rien, un sourire qui brille et enlève tous les maux, ton visage de petite souris m'a aspiré et j'ai craqué. Quand tu jonglais, si belle dans ton inspiration, tes rêves se sont collés à mes seins, et sur le fossé, la gueule ouverte, le pantalon défait, pas un son ne s'élève. Silence. Je crève.

Bien sûr, du monde m'accompagne parfois à la campagne, sur ces talus de soie, et tu devines que l'abstraction solitaire est un mensonge, car je ne suis pas le maître de Dieu. Quand je voyage, j'aimerais revoir ton image, pas celle du divin personnage. D'ailleurs sur cette route, je me sens pantin, mais peu importe qui tire les ficelles, l'essentiel est de survivre, pour te voir.

Le ciel sans toi ne m'éclaire plus, je nage dans une drôle d'atmosphère, fidèle à mes convictions : celle de croire que nos chemins se croiseront à nouveau. Espoir...

En t'attendant, je flâne. Mes pieds sentent la douleur du terre-plein et je marche sur ce seuil inconscient. Lointaine histoire, je n'ai plus que des voix en souvenir quand je traîne ma carcasse, loin des trains, des bateaux. Nous partageons ce désir d'aller sur les flots, douce vague, qui m'entraîne au cœur du tableau, je peine. L'îlot est désert sans tes bras et l'univers n'a pas de fin. Parfois, justement, mon ventre crie misère, je pense à une recette pour t'accueillir dans mon semblant de chez-moi, cet appartement vide, plein de poussières, quand je rêve aux chevaux, leurs crinières, celle d'hier, de tes cheveux qui volent au vent comme ces voiles que je vois trop souvent de la terre. J'ai la ferme intention de t'écrire, de te dire... de te dire quoi ?

Que je t'aime ?

Même cela, je ne peux le faire, sans adresse, comment ne pas se perdre. J'aimerais te dire que tout est sombre, mais même cela sonne faux, puisque des fois, une musique m'intrigue et me sort le visage de l'eau. Je me cache, je rase les murs et j'imagine notre vie. Celle de ces pigeons voyageurs qui convolent vers leurs noces, sans palabre, sans accessoire de lune, de dunes de sable chaud. Le suroît nous transporte, moi, dans ma nostalgie et toi vers le Brésil. Si je me regarde dans une glace, je respire et je te revois nous sourire. Triste sans nos envies de découvrir la vraie vie, celle aux lourds bagages, je m'engage sans anneau à te dire que tu me manques, que tu sois sérieuse, ou en délire. Alors, je voyage en solitaire, sans diamant à mon cou. Des nuées d'étourneaux flambent dans le ciel et je suis si petit, sans pépite, moi qui fus chercheur d'or. A ce jour tu es mon unique recherche.

Sens-tu mes paroles dans l'absence ?

L'arc a tiré sa flèche, je suis touché par ton être, ta joie en surface. Je plane quand je rêve de notre maison, de tes humeurs, de te savoir attentive aux grains de beauté sur mon dos, une véritable carte de navigation astrale, un désastre pour le soleil si personne n'y veille. Comme ce jardin de voilier que nous voulions offrir à notre progéniture, pas de voiture, mais des optimistes, un plein garage pour nos chérubins. Parfois, le bain me rassure, la tête sous l'eau, sans être soûl, j'oublie mes souffrances et je plonge dans un futur qui se rapproche, sans suicide, sans désespoir. Je te pense ivre de joie, belle à en pleurer, noyée par l'alcool, la fête...

Moi, je t'ai offert des pastels, pour que tu dessines le monde : outremer, bleu céruléen, alizarine cramoisie, ambre brûlé, etc.

Petit soldat de printemps, j'aimerais te parler, que mes yeux t'envisagent, reine de l'instant, du temps qui passe toujours trop lentement, sans ta douce présence. Je ne dors plus et mes rêves sont obscurs, moi, ce sot qui t'a laissé ce champs de liberté, la planète entière pour une balade. Depuis, isolé et désolé, je guette ma boîte à lettres, désespérément pleine de factures, pas un mot d'amour. Mes nuits sont longues sans ta silhouette et je panse mes plaies à coup de pilules contre les regrets. J'aimerais être ton chêne, pas ce gland qui se traîne...

J'ai voyagé en cherchant l'ombre de ta raison. Un pardon ?

La Méditerranée m'a accueilli quelques semaines, l'Espagne en terrain de jeu. J'ai aimé ses drôles de vague quand je voguais au cœur de mon imagination, des squelettes de dinosaures, des raies Manta, des dauphins, et ses méduses, si belles, dans leurs fluorescences bleu transparentes. J'allais vent arrière vers le détroit de Gibraltar, ta voix m'accompagnait, enfin je n'étais pas seul. Et puis les oiseaux de mer me lançaient des S.O.S, je les voyaient bien quand ils passaient proche de mon embarcation, alertes ou fatigués, ils m'observaient...

La Turquie est un lointain souvenir, c'est elle qui t'a emportée sur ta nouvelle route, moi, j'aime cet espace entre Occident et Asie, un doux mélange de tragédie. J'aimerais visiter le monde, les cathédrales, les musés, les déserts et l'Océan de tes pensées sauvages, mais je n'ai que mon lit à t'offrir, pas de bagues, de bijoux, si ce n'est un coquillage trouvé sur la plage. L'argent me brûle les doigts, cigale, je convole seul vers le cimetière et la cime du ciel n'y peut rien. J'ai beau savoir que dame nature est gentille, je souffre de tes silences. La force de mes trente ans s'en va, peu à peu, et le miroir ne se fait pas tendre, en lumière crue.

Est-ce que tu crois en nos regards vert de chrome ?

La foudre de Gâvres nous a touchés, quand nous montions un Zodiac, sans notice, sans orage, nos rires peuplent l'infini souterrain qui me malmène vers ton corps. Je te rêve vivante, en chair et en os, pas en image photographique. Tu es unique, petite fleur...

Moi, j'aimerais faire du cheval en Biélorussie, et te suivre partout, de l'Ukraine à la Géorgie à dos d'âne, ou on promènerait notre bonne humeur à côté des autruches et des oiseaux-lyres. Nous visiterons toutes les mers, celle d'Aral, de Caspienne, la Tyrrhénienne, le golfe persique ou les plus classiques : la Noire, celle de Norvège ou de Barents. A tes côté pas une montagne ne nous résisterait, en nous promenant au Turkménistan, en cravachant sur le mont Elbourz, tu serais ma cellule, et si la carte du monde semble trop petite, nous quitterons la Terre, pour Saturne ou Jupiter. J'aimerais t'offrir des bolets à spores pourpre pour te protéger de la pluie, des Marasme petite roue pour faire du vélo, et si il pleut nous nous isolerons sous un champignon à pied caverneux. J'aimerais t'offrir l'Afrique en cent ans, et nous jouerons à guetter le tapir, à éviter les crocodiles, à rire des girafes et des dromadaires. J'aimerais te voir sur une montagne de la plaine de Sibérie occidentale, et si il n'y en pas, j'en dessinerai une pour toi. A deux, tout devient possible, prendre un thé en Finlande ou des coups à Moscou, et boire du soleil sur la Costa del sol ; je ne suis qu'une ombre sans toi, et je désire voyager en Mongolie pour me sentir fou, connaître l'Indonésie et pratiquer le golf au Bengale, utiliser tous les moyens de transports : le cerf, l'avion, le train, ta main, pour me sentir bien. Espoir, d'un soir ou du matin, ma vie n'a plus de sens, si mes rêves coulent à trente mille pieds sous terre. Je t'attends.

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