Une ville, une vie, une nuit

Laurent Moreau

Lorsque l'on dit Paris, on nous répond romantisme, beauté, jolies filles et bien évidemment amour. La capitale française est au dessus du cliché, elle représente pour nos amis étrangers, un lieu mélangeant magie et plaisir. Stéréotypé à outrance, l’américain moyen rêve d’embrasser sa compagne dans un bar à vin. Il rêve même d’être entouré d’un homme avec un béret et une baguette à la main ou d’une femme au rouge à lèvre vermillon allumant sa future cigarette avec la précédente.

Pour moi, provincial bordelais, aimant l’océan et les chocolatines, Paris c’était avant tout la capitale des gens hautains. Une ville où certes le travail est mieux payé, mais où le loyer m’obligeait à manger des coquillettes 1er prix, 26 jours par mois, même en Février. Des aprioris plein la tête, j’avais quand même décidé de tenter l’expérience parisienne le temps d’un weekend prolongé. Poussé par mes amis de promo, ceux vivant en colocation à 30 ans pour les raisons citées plus haut, je pris donc un billet gagnant sur Idtgv et arrivai sur les coups de 19 heures un vendredi à la gare Montparnasse.

Bousculé par une quadra en tailleur, je compris vite que rester collé sur la voie de gauche d’un escalator était le meilleur moyen de bouffer remarques et insultes. Ma première impression fut donc mauvaise, j’en éprouvais pourtant de la satisfaction.
Après 10 minutes à déambuler dans des couloirs sans fin, je retrouvai enfin Alexis m’attendant un sourire aux lèvres et un ticket de métro à la main. Après les commodités d’usage, on prit le chemin de son arrondissement afin de poser mon sac de voyage. 26 minutes plus tard, un pipi interminable et un lavage de main en bonne et due forme, nous étions prêts pour découvrir le Paris qui faisait rêver des millions de personnes.
C’est dans les heures qui suivirent que mon cœur bascula du côté brillant de la force. Je ne me souviens plus de ce premier lieu, mais peu importe, ça pourrait être Montmartre ou le marais, les Champs-Élysées ou la Rue de la Paix (célèbre
qu’au Monopoly). Ce que je sais c’est que j’étais entouré de mes amis, que les gens étaient accueillants et souriants, qu’à chaque nouvelle discussion on me proposait d’aller au théâtre, au musée, voir une expo ou me balader dans un parc. J’avais peur de me retrouver dans le monde du métro boulot dodo, alors que l’on me proposait mille et une folies à deux pas d’ici.

Rabat-joie par nature, voulant prouver que mon sud-ouest natal avait la carrure d’un Paris, j’exposais mes arguments, parlant de prix GAVÉ prohibitifs, de distances inconcevables à pieds et de températures en dessous des moyennes saisonnières. On me répondit vernissages gratuits, vélibs et chemisette à 21H30. Ravalant ma mauvaise foi et mes tapas, j’acceptai les réponses de mes adversaires avec le sourire. Cette première nuit fut évidemment inoubliable. Chaque jupe trop courte m’offrait un torticolis, chaque bar était l’occasion de revoir un ami ayant quitté sa province ou sa Provence pour l’eldorado parisien. Je pensais découvrir un monde immense, alors que j’étais dans un village à taille humaine. La soirée continua avec une vision troublée, et la promesse de mon inconscient de ne plus boire de manzana.

C’est à ce moment que ma vie a basculé. Je suis persuadé que tout le monde pense à l’amour, celui avec un grand A, raconté par Marc Levy dans les 2/3 de ses romans. Je vous rappelle pourtant que cinq lignes plus haut, je me représente à moitié saoul. Alors à moins de vouloir me réveiller le lendemain matin dans le lit d’une étudiante alcoolique au biactol j’ai décidé de faire l’impasse sur les filles pour la soirée.

Le basculement dont je veux parler, se nomme destin ou coïncidence, peu importe son nom c’est un mix entre bonheur et étonnement. Il mélange le malaise du passé, l’envie du présent et l’espoir du futur.

Je suis face à une peinture colorée, un verre de jus de pomme à 18 degrés dans la main. J’admire la demoiselle située à côté de la toile qui m’intéresse bien plus que le vernissage. Alors que je m’apprête à la faire fuir par un simple bonjour, un jeune homme me prend par l’épaule et me retourne. Durant quelques secondes qui paraissent quelques secondes je ne le reconnais pas, puis son sourire et ses yeux soufflent la réponse à mon cerveau. Qui aurait cru qu’un ami comptant plus que tout, perdu depuis 15 ans pour cause de déménagement parental, se retrouverait à la même expo que moi lors de mon unique weekend parisien. N’ayant pas le temps de faire un schéma de Bernoulli, je saute le passage des statistiques pour arriver à celui des retrouvailles émouvantes. Tant de choses à se dire et aucun mot ne sort. J’ai envie d’exploser et je ne sais pas par quel mot commencer. Ouahou ! Une onomatopée est parfois plus explicite qu’un monologue sans fin.

J’ai pris son numéro et j’ai appelé mon compagnon d’enfance dès le lendemain. Souvenirs et anecdotes sont vite remontés à la surface. On a même pris un Cacolac, notre madeleine de Proust à nous.On parle souvent de Paris comme la ville de l’amour, mais c’est une part de ma vie que j’ai ici retrouvée. Pour beaucoup ce ne sont que de simples retrouvailles, mais pour moi, du haut de mes 28 ans ce jour est signé à la pointe de l’épée d’un A qui veut dire amitié.

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