Les vanités

aeden

Tes cheveux blonds dans l'air du soir, Paris, en automne, dans la chaleur de mon appartement du VIe Arrondissement. Ton visage posé sur ma chemise, mes doigts entre tes mèches et les lumières du jour qui déclinent encore à l'extérieur, par la fenêtre, loin, le long du boulevard Saint-Germain. Tu ne dis rien, et je t'écoute. Cette soirée-là est à notre image, toi et moi, dans le silence, toi et moi ensemble quand il n'y a rien d'autre, parce qu'il n'y a rien d'autre. Nous avons passé tant de nuits, tant de journées, à nous aimer maladroitement et à croire que ça suffit. Mes ambitions, ma prétention, mon désir d'obtenir, de posséder, et tes mots d'adolescente fascinée, ton secours nécessaire quand je m'éteins de fatigue. Tu as longtemps été le rempart de ma fierté, le garde-fou de mes excessives illusions. Les gens diraient que tu me protèges de moi-même, mais auraient-ils seulement idée d'à quel point il t'a fallu être forte pour te battre contre moi ? Notre histoire n'est pas sans fracas, mais ce sont mes maux qui ont toujours amené tes larmes et je crois que, ce soir, je m'en veux. Mon égoïsme crucifié à tes futurs sanglots.

Tu respires doucement, assoupie sur mes genoux, les paupières closes et les lèvres entrouvertes. Ta beauté juvénile est sans détour. Tu es Lolita, un peu, Lola, beaucoup, et pour moi, tu es comme la Jane Birkin d'un très jeune Gainsbourg. Parfois, j'ai envie de croire que je n'ai que toi. Combien de fois t'ai-je dit que je t'aimais ? Combien de fois t'ai-je fait croire au bonheur ? C'est un atout très masculin, je crois, l'invention du bonheur. L'illusion par laquelle tu as vu ton existence se mettre à tourner autour de moi, qui suis le centre de l'univers, celui autour duquel tout gravite. Lolita, Lola, j'ai voulu tout ça: t'avoir toute entière. Te faire croire à la fatalité de l'amour n'a pas été une tâche complexe.

Tu sais, j'aurais voulu être le genre de garçon qui mérite d'être aimé. Pourtant, je vais te faire mal, ce soir encore.

C'était hier soir, dans un tumulte sourd où les couleurs et les sons se mélangent, un cauchemar baudelairien où les lumières se taisent, c'était hier soir. Dans une boîte branchée d'une glorieuse avenue parisienne, sans toi, elle avait la peau dorée, je crois, les cheveux bruns, les yeux sombres et j'ai adoré ça. Elle était farouche, elle prétendait résister mais tu sais bien que, fatalement, rien ne me résiste trop longtemps. Je ne sais pas vraiment, c'était le noir autour de ses yeux, ou la poudre sur ses joues, l'obscurité de sa robe ou l'or à ses poignets, je ne sais pas vraiment. Elle était là, belle d'abandon, et je n'avais envie de rien sinon d'elle. Je t'ai oubliée, quelques heures, tu n'existais plus et j'étais libre de toi, rendu à moi-même. Il va falloir que je t'avoue tout ça, quand tu te réveilleras sur mes genoux, il va falloir que je te dise ce que j'ai fait, ce que je peux détruire, par envie. Il n'y a pas eu d'amour, entre elle et moi, pourtant, c'est un concept trop abstrait pour les gens comme nous, tu sais, l'amour. Quand je l'ai ramenée à l'appartement, tu dormais déjà et tu n'as rien entendu. Ton silence est lourd, tu dis souvent: "C'est le seul espace entre toi et moi, le sommeil, c'est seulement là que je peux me retrouver toute seule". Tu avais raison, le sommeil est un espace entre nous, et, hier soir, je m'en suis servi. Dans une autre chambre, je lui ai fait l'amour, sans scrupule et sans attendre. Nos corps savent faire ça, par automatisme, par hasard, par envie, nos corps savent faire ça.

Je ne lui ai même pas demandé son prénom.

C'est comme ça, toi, tu dis m'aimer, tu dis être prête à tout. Moi, je n'ai jamais vraiment su ce que c'était, de vouloir vivre et mourir pour quelqu'un. Auprès de toi, pourtant, j'apprends. Je ne suis pas habitué aux remords, tu sais, je ne suis pas habitué à souffrir d'avoir été égoïste. J'ai longtemps été le seul à compter dans ma propre existence, et c'est à cause de toi, de ta peau contre la mienne, de tes premières fois et des étincelles dans mes yeux, qu'à présent, je m'en veux. Je suis peut-être enfin en train de comprendre ce que ça coûte, comme ça fait mal, combien je voudrais effacer cette soirée-là. Te dire "je t'aime" perd tout son sens. Enfin, tu t'agites sur mes genoux, enfin tu vas te réveiller, et moi, sans attendre, il faut que j'avoue tout. Lola, Lolita, il faut que tu pardonnes, il faut que tu sois patiente. J'ai confiance.

Tes yeux bleus s'ouvrent et me regardent, fatigués. Ton innocence me fait mal, encore. Tu te redresses et de l'autre côté du sofa tu me demandes:

- J'ai dormi combien de temps ?

- Une heure, peut être deux.

- Je ne me sentais pas très bien.

- Qu'est-ce qui se passe, Lola ?

Tu as déjà le visage triste, ton anxiété me donne le vertige. Tu as des aveux pendus aux lèvres, je ne peux rien dire.

- Je suis désolée, je ne sais pas. Il n'y a personne d'autre. Simplement, je crois que je ne t'aime plus.

Tes cheveux blonds dans l'air du soir, la fumée de ma cigarette, mes secrets et mes remords. Ton silence. Tu ne m'aimes plus.

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