Trouville

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Mathilde malmenait son corps à mi-temps. Elle ne récupérait jamais suffisamment pour être reposée. Elle se satisfaisait d’un jour sur deux pour renouer avec l’énergie qu’il suffit à l’envie de vibrer.
Son expérience avait tenté de lui enseigner que la volonté transforme parfois l’envie en vérité, peut-être avait-elle fini par vaguement l’intégrer ?

Jeudi, 20h45

« – Je m’ennuie un peu ces derniers temps.
– On se voit demain déjà, ça va être la fête ! » Hanz était toujours partant, avec Mathilde ils s’engrenaient.
– Grave ! Je sors tous les soirs et je suis crevée mais grave !
– … Qu’est-ce tu bois et qu’est-ce tu manges ?
– Du blanc et le burger ou le tartare de saumon. »

Vendredi au bureau, tout au long de la journée, venait s’ajouter à la fatigue physique de Mathilde l’indécision de l’esprit. À intervalles irréguliers, mais allant se rapprochant, elle était en proie à une hésitation bénigne que son état d’épuisement s’évertuait à prétendre cruciale.

Passerait-elle se ressourcer chez elle au risque de sombrer ou se rendrait-elle directement chez Hanz ? Elle aurait le temps de s’y reposer tout en s’assurant de ne pas manquer la soirée. 

Vendredi, 17h37

« – Ça t’embête pas si je larve un peu doudou ? »

Depuis peu, Mathilde surnommait à nouveau Hanz comme du temps où ils avaient formé un couple, et réciproquement. Une marque d’affection tendre et complice aux airs de revendication qui échappaient à Mathilde. Comme l’affirmation autonome d’un lien plus étroit et plus résistant que tout autre.
 

 

Vendredi, 18h47

« – On attend 19 heures pour manger c’est ça ? Ton ʺcap psychologiqueˮ ? »

Hanz s’affairait à la cuisine tandis que Mathilde frissonnait étendue sur le canapé du salon. Hanz ne cessait jamais d’aérer son appartement et Mathilde se demandait si c’était parce qu’elle fumait beaucoup ou si elle fumait beaucoup parce que les fenêtres étaient toujours ouvertes. Se tenant immobile pour ne plus ressentir les maux de ventre récurrents qui la faisaient souffrir, elle n’agitait plus que le pouce de sa main droite pour zapper chaque chaine que comptait la télé sans parvenir à détourner complètement son attention de la douleur.

 

Vendredi, 19h23

« – Pas de viande, je te promets. Fais-toi une entrecôte avec des pâtes, moi je passe au Mars glacé. Comme ça j’en mange deux, je suis contente ! »

Mathilde veillait à garder une place pour l’ivresse tout en se méfiant – savamment jugeait-elle – de l’abus de frustrations. Lors de sa récente soirée avec Benoit elle avait beaucoup mangé au contraire. La nature virtuelle de leur rencontre sur un site Internet condamnait la relation à ses yeux. Consommation d’histoire, de sexe, riz cantonais, chicken nuggets et sundaes. « Fast-bed, fast-food », aucun plaisir et Mathilde se remémorait l’amour qui coupe la faim.

 

Vendredi, 19h50

« – C’est à quelle heure le concert déjà ? » Hanz calculait le bon moment pour le remontant.
«  – Vingt heures. Ça me paraît bientôt, je suis pas en forme. »

 

Vendredi, 23h52

« – Tu m’as vu sauter tout devant ! Il est bon ce groupe ! » Mathilde songerait plus tard à ce qu’enduraient ses métatarses tout juste remis de leur fracture.
« – On repasse chez moi avant la teuf chez Agathe et Julien ? » Hanz suggérait de reprendre des forces.

 

Vendredi, 3h48

« –Mais t’es gay toi de toute façon ! » Mathilde parlait depuis un moment avec un beau garçon dont elle ne retenait pas le prénom breton.
« – Mais non je suis pas gay ! » 

Ils se mirent ensemble à la recherche d’un coin discret : une pente d’escalier où le temps s’arrêtait. Plus ni lumière ni entourage, ni avant ni après, ni endroit ni envers. Les deux corps emmêlés étaient le seul souffle de vie à des milliers de kilomètres à la ronde, si ardent qu’il emportait tout sur son passage.

 

Vendredi, 8h58

Quittant leur abri, Mathilde fut étonnée de la lumière du jour et éblouie par celle des chiffres rouges qu’affichait un radioréveil. Elle ne vit pas là une occasion de ressaisir le moindre sens des réalités. Les cinq amis qui poursuivaient la fête autour d’une table basse habitaient son rêve. Quand les premières paupières se baissèrent, Mathilde exprima son envie de partir voir la mer.

« – Allons-y ! »

Il était bien encore à ses côtés dans l’abri.

 

Samedi, 11h02

Paris-Caen.

Un changement initialement contraignant à la gare de Lisieux pour rejoindre Trouville puis la quête avisée, enchantée, en terrasse, d’un café.

 

Samedi, 19h45

Trouville-Paris sans escales.

La nuque en arrière Mathilde voyait filer le ciel par la fenêtre. Elle jouit quand le train ralentit.

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