TVM
Alain Kotsov
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La cabine s’immobilisa sur le quai de la station PN 125, aussi nommée Montmartre. Plutôt que de rentrer en empruntant les galeries, Théo décida de rejoindre son logis par la surface. Dédaignant le funiculaire envahi de touristes, il grimpa quatre à quatre les marches jusqu’à la ruelle où se trouvait son coquet pavillon. Dans le jardinet s’ébattaient quelques poules qui fuirent à son approche. Il cligna des yeux devant la porte, qui s’ouvrit instantanément, tandis que l’ordi domestique lui souhaitait la bienvenue. Il se servit un blitz et se rendit au balcon pour observer la ville. Le crépuscule tombait. Les derniers rayons du soleil, se reflétant sur les toits haussmanniens, sur le côté droit de la Tour Eiffel, enduite de feuilles d’or, sur les coupoles de l’Opéra, du Panthéon, de la façade de l’ITC de Charenton, paraient la cité de points ardents, lui faisant mériter plus que jamais son nom de Ville-Lumière. C’était là son moment préféré, celui où, juste avant que ne s’allument les millions de lampes, et que la capitale devînt une mer aveuglante, Paris avait l’aspect des jours anciens.
Il bénissait les hasards de la fortune qui lui avaient permis d’occuper un logement à ciel ouvert, quand la majorité des citadins vivaient en sous-sol.
Il croisa ses doigts de façon compliquée pour activer le comnet, prononça le nom d’Elsa, et l’écran se matérialisa devant lui, bientôt occupé par le visage souriant de son amie.
« Où tu es ? Prononça-t-il en regardant son verre.
- Dans le TVM, entre Arpajon et chez moi. Je suis… Attends, je regarde… au Châtelet. Je serai au toit de mon immeuble dans 47… 46… secondes. Bon, j’y suis presque.
- Ca te dirait qu’on aille chez l’Italien ce soir ?
- Celui de la semaine dernière ? Oh oui ! Les lasagnes étaient super ! Seul inconvénient, c’est loin.
- Oh ! Une quinzaine de minutes. Tu viens ici ? Ou on se donne RV là-bas ?
- Je dois me changer… Le mieux c’est que tu m’attendes au resto, disons, dans 40 mn.
- D’acc, je t’embrasse, à tout à l’heure. »
Théo replia son index, l’écran disparut. Il se servit un autre verre, regagna le balcon, et devint songeur. La Butte, avec ses ruelles de terre battue, ses moulins de bois, ses jardins, ressemblait davantage au village que peignait Van Gogh qu’à l’enchevêtrement de hautes maisons qu’elle était un siècle plus tôt. Dans la grande ville s’étendant à ses pieds, seule avait été préservée, des constructions anciennes datant des 20e au 23e siècles, la Tour Montparnasse abritant le gouvernement. A part ça, Paris possédait en gros l’apparence de la cité qu’elle était au second empire. Ce retour en arrière avait eu un prix : des 15 millions de Parisiens, 14 demeuraient dans les hauts immeubles enfouis sous la terre ; seuls les riches bénéficiaient de fenêtres donnant sur le vrai ciel, et non sur des paysages virtuels.
« Quelle chance nous avons de vivre en 2314 ! pensa Théo. Je plains nos pauvres ancêtres qui étaient réduits à polluer la nature pour satisfaire leurs besoins en énergie ; avec tous les troubles, toutes les guerres qui en découlaient. »
Le panneau 3, immense voile de métal d’une superficie équivalente à celle de la Corse, qui orbitait à 8000 km de la terre, apparut au sud-est, tel une lune dorée. Il assurait, avec les six autres, l’approvisionnement énergétique de la planète, en captant dans l’espace l’inépuisable ardeur du soleil. Théo lui adressa un regard reconnaissant. Puis il s’habilla, prit l’ascenseur, et sortit dans l’allée qui menait, 400 mètres plus bas, à la station. Il commanda une cabine individuelle, indiqua sa destination. Cinq secondes après, la boîte jaune s’arrêtait devant lui. Il prit place sur le siège, et éprouva l’impression familière de basculer vers l’arrière tout en sentant s’alourdir son corps. A mi-chemin, la sensation disparut, le fauteuil se retourna, et la pesanteur latérale revint avec la phase de décélération. A travers les vitres, il voyait, sur les voies parallèles, d’autres cabines progressant à des vitesses voisines de la sienne ; d’autres allaient tellement vite qu’il ne les voyait pas.
« Quelle bonne soirée, conclut Théo en reposant son verre de Chianti. Il fait si bon sur cette terrasse ; magnifique vue sur le Ponte Vecchio ; Et je suis avec toi ! »
Elsa sourit d’un air entendu, et lui prit la main.
« Tu te rends compte ? Dit-il, avant le transport à vitesse modulée, ça nous aurait pris un temps fou pour venir ici. Même avec les rails lasers, les voitures ne dépassaient pas les 300 km/h. Paris-Florence : plus de 3 h ! Alors qu’aujourd’hui, au moment de l’inversion, à hauteur de Genève, on était à plus de 8000 km/h.
Pour le retour, je commande une cabine double ? Je t’offre un verre chez moi.
- C’est d’accord, minauda Elsa. Mais un seul ; après j’ai encore 3 mn pour rentrer à Cergy. Tiens, pour samedi, je te propose plus exotique : un japonais qui sert de délicieux sushis. C’est un peu loin, mais ça vaut la peine. En tout 47 mn.
- OK ! Ou ça se trouve ?
C’est un charmant jardin, dans la banlieue de Kyoto. »
Je trouve votre explication assez intéressante et parfois cela donne plus de réalisme au texte. Cela donne l'impression que c'est possible et réalisable.
· Il y a presque 11 ans ·Mokrane Kab
Excellent ! On s'y croirait. J'adore le Japon et l'idée de m'y rendre en quelques minutes est un enchantement que l'on ne connaitra pas de notre vivant. Dommage ! Bravo pour votre texte qui ferait un merveilleux roman de SF.
· Il y a presque 11 ans ·Mokrane Kab
Merci Mokrane pour votre commentaire élogieux. Ce texte fera un roman, plutôt une longue nouvelle, lorsqu’il pourra s’affranchir de la limite étroite des 5000 caractères. Quand je pourrai tout expliquer. J’ai basé les données chiffrées, notamment de la vitesse de transport, sur une accélération d’environ un G, parfaitement supportable pour un organisme humain qui la subit déjà continuellement de bas en haut à longueur de sa vie. Une force de même intensité dirigée dans un axe perpendiculaire à celle de la pesanteur n’a pour effet que d’augmenter son poids d’un facteur de 1 – racine de 2, c’est à dire un peu moins de 50 %, et de faire basculer la résultante de 45 degrés. Le voyageur a alors l’impression de reposer sur un sol oblique par rapport à celui de la route qu’il suit. Les véhicules qu’il croise ou qu’il dépasse lui semblent évoluer sur une pente fortement inclinée. Mais ce n’est qu’une illusion. Tous les déplacements s’effectuent parallèlement à la surface terrestre, qui est plate, enfin presque… Que Galilée et Copernic me pardonnent.
· Il y a presque 11 ans ·Bon, à la réflexion, il n’est peut-être pas pertinent d’assortir un texte d’explications scientifiques, même exactes ; ça nuit à la poésie.
Alain Kotsov