Un arrière-goût de nos secousses mutines (1/2)
camille-de-vaulx
Papa, tu es ma femme à poil au fond des verres de saké.
Je te vois, toi et tes sourires rouges ; tes mains, tes paumes fissurées de m'avoir tabassé ; les tendons tendus de tes coudes furieux ; ta peau élastique voire flasque qui, coup après coup, ballotte puis vient reprendre sa place, comme si c'était une habitude, un trajet quotidien. Comme si personne n'avait été frappé.
Je te vois, Papa, dans le fond de mes bouteilles de blanc. Tu blop et tu plop, tu éclates, bulle parmi les bulles qui te portent, te soulèvent et te kidnappent. Elles t'escortent et te déposent, aux sons des glouglous nauséeux de ces orgies tristes et solitaires que, depuis ta mort je m'inflige, au cul de mes verres de trop.
Je te bois, Papa. Pour t'oublier.
Jamais ma mémoire ne vous perd longtemps, maman et toi. Perdu dans mes labyrinthiques limbes, il faut toujours qu'un fil d'or me ramène à la maison.
A celle où vous n'êtes plus.
A celle où d'autres que nous ont mis d'autres variétés de géraniums aux fenêtres, d'autres slips, d'autres corsets à sécher sur l'étendage en plastique, d'autres enfants dans le jardin. D'autres noms sur la boîte aux lettres. Celle où d'autres que nous trois ont pendu en décembre d'autres lutins et Pères-Noël Gifi aux chenaux.
Arrive toujours un jour, un matin raide à l'aube, un ivre après-midi ou un soir noir, où je finis d'oublier. La douleur alors m'allonge.
Père, je me confesse. Je suis incapable d'assumer ; les cris, les chuintements, les râles, le tapage et le boucan du silence qu'en te revolvérisant tu m'as légué, les grincements tus à jamais de ta respiration, la pétarade étouffée de tes rires gras, les gazouillis morts de tes mots d'amour à maman. Gisant entre mes mains, ta succession peine à fructifier.
Père, je me confesse. Je suis à bout, à bout de nerfs, de rouleau, de bras, à bout de la langue ; j'halète comme un chien; à bout de forces, d'arguments, de souffle ; je pantèle ; au bout du monde, de la lorgnette ; j'anhèle en bout de compte. Je suis à bout, de bout en bout. J'ironise pour faire brise-bise, faire tomber le rideau pour conserver le masque et arracher de ma boite à souvenirs les meurtres sur ma conscience.
Papa, je me confesse parce que j'ai péché.
Je t'ai assassiné, comme j'ai assassiné ta femme. Je vous ai pendus, une ficelle à mon pied, quand je suis parti. Vous ai laissé pourrir sur votre lit, dans votre chambre, baignant dans des relents de naphtaline et de larmes. Je suis un serial killer de Papa et de Maman. Les gosses, planquez vos parents, j'arrive.
Je n'ai peut-être pas pressé la détente. Enfoncé la lame. Saigné l'aorte.
Je n'ai peut-être pas dressé la potence. Passé la corde. Débranché la prise.
Mais si quelqu'un tient les comptes, là-haut ; il ne sera pas dupe. J'ai bousculé les mœurs et l'ordre des choses. Tous les paternels du monde verront désormais dans leur fils un ennemi, capable de les occire; les femmes enceintes prieront pour mourir en couche, ou à défaut : que ce soit leurs enfants qui crèvent. Pour ne pas risquer la honte de caner de tristesse, une fois abandonnées par leurs engeances, reniées par leurs entrailles.
Je serais l'étendard d'une génération pourrie jusqu'au cœur. Le juif, le Judas qui nécrosait la société dans l'ombre. La justification la plus forte, la plus parfaite et la preuve qui manquait aux défenseurs des enfances battues. Il fallait leur apprendre, à ces mauvaises graines, que ça se ne faisait pas de faucher leurs jardiniers. De lyncher, de troncher, de zigouiller leurs parents comme des jouets. Il fallait leur apprendre, dès les premiers pas, à coups de lattes dans les trotteurs. Il fallait qu'ils apprennent à la fermer, qu'ils assimilent au berceau la docilité que l'on attendra d'eux toute leur vie.
Il faut les massacrer, pour leur bien et pour le nôtre, diront les fesseurs de chiards en défilant dans les rues ; quémandant au Président une date pour instaurer, en toute légalité, une journée des mômes rossés, des géniteurs boxeurs.
Un texte encore une fois magnifique qui vous prend aux tripes.
· Il y a plus de 10 ans ·Marion B
Merci Marion :) Les tripes, j'aime bien.
· Il y a plus de 10 ans ·camille-de-vaulx
comment dire, le texte réussit à exprimer une grande violence sans être racoleur, parce qu on sent une distance..."une journée des mômes rossés, des géniteurs boxeurs"...
· Il y a plus de 10 ans ·marjo-laine
Merci. Oui tu as compris l'angle du texte : il fallait que ce soit assez ironique pour ne pas être forcément pris au premier degré. Il fallait que ce soit (trop) gros. Le personnage exagère, bien sûr, c'est l'une des caractéristique principal du roman : et ça me permet d'être violent sans être racoleur. Oui, je l'espère.
· Il y a plus de 10 ans ·Merci :)
camille-de-vaulx
Punaise, ça fait mal et bien peut-être. En tous cas, ce râle ne laisse pas indifférent.
· Il y a plus de 10 ans ·lyselotte
Ce n'est pas fait uniquement pour choquer non plus. C'est la psychologie d'un esprit malade. Merci :D
· Il y a plus de 10 ans ·camille-de-vaulx
fesseurs de chiards.... excellent !
· Il y a plus de 10 ans ·jeanmichemuche
Hé hé, merci :)
· Il y a plus de 10 ans ·camille-de-vaulx