Un chef-d’œuvre
Djamel Rouai
Le peintre comme le pâtissier, chacun dans son atelier absorbé par l'ouvrage, flirte avec l'inspiration, à l'abri du tumulte du monde alentour. Celui-ci maniaque, obstiné à dégager les traits du plus beau gâteau jamais existé encore. Avec art , il réussit en mélangeant et malaxant sa pâte, ajoutant un peu de ceci et un peu de cela, coupant, collant, faisant appel au génie du goût et des parfums à produire son chef d'œuvre. L'autre aussi, aux mains plus agiles et plus fines, ce peintre artiste réussit à produire ce qu'un autre est incapable de faire. Sans le trahir, ses mains triomphent dans le maniement du pinceau et le choix des couleurs. C'est cette main qui procède au mélange des peintures, méticuleusement à la recherche de cette couleur restée longtemps cachée. Assurément, tout essai sans talent sombre dans l'avortement. Et le talent c'est cette douleur constante, et insondable, parce qu'elle est terrible, bien que tous les efforts de la médecine moderne eussent été déployés. On a beau soumettre ce talent à la science, il nous file des doigts et nous échappe. C'est le peintre que la nature désigne de porter ce don, car ce n'est ni un cadeau ni une offrande, mais une toute autre chose qui ressemble plus au tourment. Désormais, le peintre dort et se réveille dans ce même tourment : contemple le réel, le questionne, le bouscule, l'enjambe - hideux et étouffant – il le nie et lui tourne le dos à la recherche de son propre réel. Combien dure est sa quête, en chevauchant ses couleurs et ses formes dans un parcours étroit et précis de la toile ! Tout ceci se travaille à l'intérieur du magma de l'âme du peintre et plus tard librement se dégage entre la peau et la chair provoquant de ces douleurs interminables mais délectables, et lentement dans une coulée brulante et dense prend place sur cette toile blanche. Issiakhem, monument de la douleur, qui a vu se perpétuer en lui l'enfer. Inconsolable, déchire son œuvre après l'avoir finie. Intrépide, il reprend son outil de travail, prend le large vers un réel qui se dérobe, lui-même tourmenté, fuit son réel affreux. L'enfer ne veut ni sortir ni se calmer. Des années de labeur, de réconciliation, d'insurrection, de caresses lentes et languissantes entre pinceau et toile, couleurs et lumières, et par une certaine nuit, tard dans le silence, on s'aperçoit avec effroi que les premières formes d'un réel viennent d'apparaitre, un réel qui n'a pas encore existé avec ses parfums et ses magnifiques couleurs sous les touches de ce pinceau fin et soyeux.
Rouai Djamel:27/5/2015
Très belle création et réflexions abouties , bravo !!
· Il y a plus de 9 ans ·marielesmots
Merci!
· Il y a plus de 9 ans ·Djamel Rouai
Très intéressante réflexion, que l'on pourrait aussi transposer à l'écriture :
· Il y a plus de 9 ans ·"Assurément, tout essai sans talent sombre dans l'avortement. Et le talent c'est cette douleur constante, et insondable, parce qu'elle est terrible, bien que tous les efforts de la médecine moderne eussent été déployés."
J'ai, en particulier, été interpellée par ce passage, mais aussi par la phrase qui introduit le texte.
La fin est très chouette aussi, elle traduit bien les différentes émotions, états, qui passent chez celui qui crée.
hel
Merci pour ce beau commentaire.
· Il y a plus de 9 ans ·Djamel Rouai
Entêtant, j'aime beaucoup.
· Il y a plus de 9 ans ·ap0zys
Merci!
· Il y a plus de 9 ans ·Djamel Rouai