UN ENFANT A SOI

Christine Moreau

Un enfant à soi.

Elle pouvait passer des heures et des heures à regarder son poupon, à l’admirer en pensant tout bas qu’elle avait le plus beau bébé du monde, au moins du quartier, si elle voulait bien se montrer un peu raisonnable, et moins égocentrique ! Mais cet enfant, elle l’avait tant imaginé, rêvé… comme toutes les mères mais là, cela avait dépassé ses espérances. Et le résultat était là ! Une perfection inespérée !

Elle sourit, pour la première fois, depuis des mois.

C’est un bébé parfait, pensa-t-elle en se penchant sur le berceau de sa fille. Les nourrissons l’avaient toujours attirée et si elle n’avait pas suivi les conseils de ses parents, elle aurait envisagé des études d’institutrice ou de puéricultrice plutôt que des études notariales pour finir notaire comme son père !

Elle acceptait son sort, surtout depuis qu’elle avait sa fillette qui illuminait ses jours et ses nuits. Un duvet recouvrait le sommet du crâne du bébé tel des fils de mohair, une bouche d’ange entrouverte comme sur les tableaux du musée, aux lèvres brillantes comme du vernis à ongles incolore. Un nouveau né tout rose, beau, blond comme les blés et sage comme une image d’Epinal. Le vrai bonheur ! se dit-elle en se regardant dans la glace avec sa Valentine dans les bras.

Si sa mère la voyait ! Elle lui disait toujours qu’elle ne pourrait être qu’une mauvaise mère ou la sempiternelle phrase « tu verras, si un jour tu es mère ! » lui martelant l’esprit.

Ne pas avoir d’idées noires, pas aujourd’hui, le premier jour où elle envisageait de sortir avec sa charmante Valentine ! Emmitouflée dans sa grenouillère rose à pois multicolores, donnant une gaieté de clown à l’habit, les petits points serrés, elle semble si paisible dans son sommeil. Son poupon est si mignon !

Les premiers changements ne se firent pas fait attendre, on lui laissa la place dans le bus, on lui tint la porte pour la laisser entrer, des marques de civisme longtemps oubliées, et, ce qu’elle apprécia le plus : ne plus faire la longue file d’attente au guichet de la poste. Elle profita pleinement de ses nouvelles attentions. Un bébé, ça vous changeait vraiment la vie.

Une photo tomba de son sac, par inadvertance, un peu défraichie, certes, il faudrait la faire retirer ! Une photo d’elle bébé, en tenue d’Eve, allongée sur une peau de panthère en synthétique, la houppette gélifiée et droite comme un i sur la tête ! Comme elle vous ressemble ! s’exclama une dame en  lui rendant poliment la photo, c’est votre clone ! J’émets un léger sourire, le plus modestement possible, pour la  remercier du compliment. A son tour, une autre cliente resta ébahie devant Valentine.  Partout où elle allait, ce n’était que compliments à l’égard du nourrisson ! Au supermarché, au rayon fruits et légumes, une mère de famille s’arrêta devant elle, comme si elle contemplait, minutieusement, un tableau dans une expo, puis  se pencha sur le nourrisson. « Il a l’air si tranquille » et, dans son effervescence, n’y tenant plus, elle se permit de poser sa main sur la joue de la petite, avant que ne s’en aperçoive Matilde.

-       Mon dieu il est glacé, si glacé, oh mon Dieu, il est froid, tellement froid ! Il est ….mort ???

Horrifiée, la dame tenta de se dégager. Les yeux exorbités, teintés d’une pointe de suspicion quand elle vit la jeune mère lui sourire en tentant de la rassurer d’une voix douce et sereine en lui avouant que ce n’était qu’un faux bébé ! Un modèle exclusif de jouet conçu pour les futures mères anxieuses, cela leur permettait d’anticiper leurs peurs et leurs craintes. Ou pour les petites filles pour faire comme maman !

La cliente encore un peu médusée, reprit lentement ses esprits. Matilde l’invita  courtoisement à partager un café pour qu’elle se remette de ses émotions. Calmement, elle lui expliqua les heures de travail que cela représentait soit, quatre semaines de tâches méticuleuses pour obtenir un baigneur peu ordinaire et unique. Il arrive en pièces détachées qu’il faut assembler. Ensuite il faut lui décaper le crâne avec de l’acétone afin de le faire reluire ! Puis ajouter deux kilos cinq cent grammes de silicone sous le body ! Enfin, repeindre les ongles... Le tout à la perfection !

J’ai passé l’âge de jouer à la poupée avoua-t-elle d’un sourire attendri, celle-ci est une commande destinée à  ma nièce, pour son anniversaire !

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