A un cheveu de la gloire
Edgar Fabar
Nous aussi, nous ne sommes pas passés loin de la gloire. Souviens-toi copain, comment, en cette fin d'année de seconde, nous l'avons même frôlée.
Juin 1993, dans la pampa mulhousienne où qui fait froid même en été. Passablement éméchés, après 3 Monaco payés 33 francs au bar de motard de la gare routière - le bien nommé Cordial Bar - nous le tenons, notre passeport pour la gloire. Direction le bahut, pour lui montrer à Chouffeau, cet enfoiré de CPE, de quel bois on se chauffe. Ouai, il est temps qu'il paie pour ses petites remarques à 2 francs, son éternelle autosatisfaction et ses airs soupçonneux chaque fois qu'il nous valide une absence.
C'est donc mus par un sentiment de vengeance et aussi, par la volonté tenace de marquer l'histoire que nous enjambons la grille à la tombée de la nuit. C'est un mardi, parce que c'est toujours les mardis qu'il se passe des trucs dans la vie et à quelques centaines de mètre, on entend les cris d'une escadrille de canards qui s'en va au loin vers le midi.
En vrais copains, on décide de se partager les lauriers de la renommée : j'écrirai la première partie du tag et toi, tu donneras le coup de grâce. La tension est palpable, l'adrénaline se lit sur nos visages aussi surement que l'acné juvénile.
Je prends mon courage à deux mains, et de l'autre, la troisième donc, je saisis la bombe noire que tu me tends et je me lance. C'est le cœur battant que j'écris Chouffeau sur un mur du bâtiment A. J'ai de la peinture plein les doigts quand je te passe l'engin aérosol. Rapidement, tu cherches les mots qui vont nous faire entrer dans la légende. Je te dis de te dépêcher parce que je crois avoir entendu un chien qui aboie dans la cour. Ça y est, enfin tu passes à l'action : tu choisis de taper sur le physique de Chouffeau et tu le traites de "crâne d'œuf" rapport à son énorme calvitie... - au passage et a posteriori je ne sais pas si tu ne t'es pas attiré une malédiction ce jour-là... enfin bon je m'égare, revenons au milieu des années 90.. Tu finis le job donc et on s'échappe dans la nuit noire.
Le lendemain matin, je me lève et je file au lycée à 7h. Je vais directement derrière le bâtiment A, là où doit se trouver notre notre graffiti flamboyant. Et lorsqu'enfin, je l'aperçois, je comprends instantanément trois choses :
1/ j'ai tremblé à mort et du coup ma partie est presque illisible
2/ toi, toujours fâché avec l'orthographe, tu as marqué "crâne d'eouf" au lieu de "crâne d'œuf"
3/ personne ne doit jamais savoir que c'est nous qui avons fait ça
Quand tu arrives enfin, je m'empresse de te montrer le désastre. Pendant un quart d'heure, on se traite mutuellement de SALE CAVE, puis tu finis par me dire au moment où la sonnerie retentit :
- bon bein pas la peine d'en parler quoi
- bein ouai quoi
- on se retrouve à midi ?
- bein ouai quoi.
Bein ouai quoi, on est vraiment pas passé loin de la gloire.
Excellent mais il ne fait pas toujours froid à Mulhouse ;-)
· Il y a presque 10 ans ·akhesa
mon plus bel hiver ? un été à Mulhouse... ;-)
· Il y a presque 10 ans ·Edgar Fabar
Cela aurait pu s'appeler "A un cheveu de la gloire !". J'ai trouvé votre texte très drôle. Aaah le Monaco à 11 frs
· Il y a presque 10 ans ·anton-ar-kamm
merci, votre titre est bien meilleur ! je vous l'échange contre un monaco ?
· Il y a presque 10 ans ·Edgar Fabar
Je vous l'offre. J'ai arrêté le monaco depuis 896 jours et 1 heure. C'est un combat pour ne pas replonger.
· Il y a presque 10 ans ·anton-ar-kamm
Qu'est ce qu'on est con quand on est jeune. Cette sorte de connerie innocente, poussée par l'acné et la frustration hormonale. Excellent texte, direct, dans lequel tout petit branleur qui a fait sa crise d'ado se reconnaîtra.
· Il y a presque 10 ans ·petisaintleu
vive les branleurs ! (merci sympa le post)
· Il y a presque 10 ans ·Edgar Fabar
Très bien ! J'ai surtout apprécié le détail qui tue : l'escadrille de canards au loin ! LOL
· Il y a presque 10 ans ·veroniquethery
merci beaucoup ! (même si là c'est plutôt escadrille de foie gras de canards.... argh)
· Il y a presque 10 ans ·Edgar Fabar