Un idéal et un autre.

austylonoir

C'était une de ces nuits-là, de celles qui comptaient pour au moins mille et une réunies. Un sentiment l'avait attrapée violemment ; l'avait poussée à se jeter dans la brise amie, dont le souffle continu lui allait jusque dans l'en-dedans pour y caresser des souvenirs ancrés au plus certain de sa mémoire. La plage déserte la faisait poétique et sa nostalgie de toujours lui amenait des bribes de gens aux visages effacés ou parfois confondus, mais dont elle gardait une prise ferme sur toutes les émotions qu'ils avaient réveillé en elle, à l'instant où elle avait compris l'authentique maintenu en arrière des façades. Et tandis qu'elle se perdait dans le souvenir, ça lui faisait sur le visage son air tendre de rêveuse, dont toujours, on lui avait le reproche, comme s'agissant d'un mal qu'elle aurait été à commettre ; car n'étant pas comme les autres à regarder le monde des choses, mais perdue dans un imaginaire où parfois il faisait bon d'être, et où en d'autres circonstances au contraire, il s'y souffrait un mal solitaire dont il fallait s'accommoder, faute de pouvoir se fuir.


Elle se demandait tout à coup où était arrivée cette amie, l'imaginant s'occuper de médecine dans un hôpital en province, et cette autre-là, probablement dans un doctorat... et d'autres encore, qui la faisait sourire un peu, et l'instant d'après, la ramenaient à elle. Ouais, elle se disait les mains dans les poches ; elle ... bah elle, elle avait renoncé à tout ces trucs sur un coup de folie. Ça avait était bête, vraiment, mais d'une seconde à celle qui avait suivi, elle s'était décidée : que ce n'était pas une vie pour elle.


Lorsqu'une décision était prise dans le langage de la raison, elle était facile à expliquer aux autre, voici ce que j'ai fait et voici pourquoi je l'ai fait. Mais quand il fallait expliquer l'émotion, et pire encore, la justifier aux gens de la raison, on s'y trouvait à court de mots. Il fallait alors s'arranger d'un faux motif, ou prétendre qu'on ne savait pas ce qu'on faisait. Or c'était là un horrible mensonge. La vérité était plutôt la suivante, c'était d'abord un sentiment, puis une intuition brusque, comparée aussitôt à la mémoire. En dernier lieu seulement parlait la raison corrompue de tout ce qui l'avait précédée, et à ce moment : à quoi bon la raison puisque tout avait déjà été décidé. Elle l'avait donc faite la folie : démissionner et prendre la route sur des économies de pauvre, chasser l'Est comme d'autres chassaient l'Ouest, remuer l'Italie, s'attarder aux Balkans, descendre en Grèce, naviguer en eaux turques et poursuivre encore et encore des destinations qu'elle n'atteindrait jamais que dans sa tête, entre un idéal et un autre.


Sa dernière goutte d'essence l'avait arrêtée devant l'immense baie, maintenue éclairée à la clarté des astres, dont la vue seule édifiait en elle, la fille heureuse et la mettait en même temps, comme au bord du sourire et des larmes. Et plus que tout ses autres traits, réellement, c'était ça la beauté qui la faisait unique, pour peu qu'elle fût décelée, et c'était là tout un travail.


Quand on possédait une si fine connaissance de soi-même, de ses sentiments surtout, et parce qu'elle le possédait à un degré affreusement précis et inégalé, elle savait que jamais personne ne la saisirait autant qu'elle-même pouvait se comprendre. À l'exception peut-être de ses semblables ; ceux qui s'étaient fait de leur fort intérieur, un monde, et n'émergeaient dans la réalité physique qu'à l'occasion, à la façon sporadique des moines et des ermites, seulement pour regarder une fois de plus dans le cœur des hommes.

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