Un moment de solitude.

Je ne sais pas pour vous, messieurs et encore moins pour vous, mesdames, mais pour moi, la promiscuité pour pisser me bloque. C'est vrai que c'est plus une histoire de mecs, depuis qu'ils pissent debout, les constructeurs de toilettes publiques de la miction en commun, se sont dit : « Tien, il y a moyen de gagner de la place, là, ici, pour le pipi ! » et ils nous ont accolé des urinoirs mitoyens séparés par un paravent pour les courants d'air con de grands couillons.

Pour satisfaire une envie pressante qui urge en hurlant dans votre bas-ventre, vous vous retrouvez donc, avec un pingouin à droite, qui siffle pour se donner une contenance et un quidam à gauche, qui louche sur votre urinoir, alors qu'il en a un, bien à lui, juste devant son nez du bas. C'est gênant et vous qui ne pouviez plus vous retenir, ne serait-ce qu'une seule fraction infinitésimale de seconde, vous vous retrouvez, comme un con, à sécher devant une cuvette désespérément tarie qui se rit de votre défection.

Les deux autres sentent votre gène et en profite pour jouer à celui qui pisse le plus loin, en prenant des poses de toréadors, reins cambrés, main sur le membre viril et un jet sonore à trois heures et un autre à six. Ils voudraient vous faire croire que leur cuvette déborde à marée haute. Allez, allez, c'est les grandes eaux de Versailles, version chutes du Niagara à Venise !

Bon… voilà… vous êtes là…OK… mais porqué ? Les autres commencent à vous trouver suspect d'y être sans objet, ils vous regardent d'un sale œil, du regard noir de l'inquisiteur qui scrute le pervers hérétique.

Alors, là, monsieur, plusieurs solutions :

Si vous savez imiter à la perfection le bruit de l'eau qui coule, vous pouvez toujours essayer de donner le change. Mais attention, cela n'accepte pas la médiocrité, une bonne maîtrise technique est strictement recommandée, où vous passerez d'un silence pitoyable à un bruitage pathétique.

Aussi, pour éviter ce grand moment de solitude dans une partouse, je vous conseillerai plutôt, pour détendre l'atmosphère, d'essayer d'engager la conversation, qui sait, de belles rencontres amicales, ou plus si affinités, ont, peut-être, pu débuter dans ces lieux d'aisance où l'on s'y sent si peu. Personnellement, c'est la stratégie que je préconise pour la pratiquer, en sachant que le silence est pire que les conneries que vous pourrez toujours débiter pour compenser la trahison de votre bite.

-         Il fait froid pour la maison ?

Oui, attention aux lapsus qui arrivent toujours quand on ne leur a rien demandés et qui vous trahissent alors que vous ne leur aviez rien fait de sournois, pourtant en emporte le vent.

Donc, là, les deux mecs ont compris votre malaise, votre gêne embarrassée. Ils en rient sous cape. Par charité crétine, le plus indulgent vous répond.

-         Certes, le temps est à rester à la saison, raison gardée au chaud sous l'édredon.

Bon, pour lui, ce n'est pas vraiment un lapsus, c'est plutôt manifestement de la raillerie conscientisée. Le sarcasme incarné comme le gros ongle du doigt de pied de ma belle-mère par alliance.

Dans mon prochain coup de gueule, je parlerai de la grosse commission faite en commun, on va se gondoler dans les latrines.