Un nuage de fumée, un sourire

Lou

Oui, le monde est gris.

Et elle fumait

Un nuage de fumée s'éleva dans les airs. De la fumée grisâtre, toxique. Marie souffla encore et encore. Cela la détendait de fumer. Oui, ce n'est pas bien pour les poumons, et on peut en mourir. Mais et alors ? Comment faire sinon ? De toute façon, un fumeur de plus ou de moins, avec tout ceux qui peuplaient la terre... Gris, gris, gris, tout est gris. La fumée, mais aussi le monde, avec les appartements de dix mètres de haut, qui bouchaient la vue, les voitures, les routes, que du gris, ou du noir, pas de verdure à part de misérables fleurs qui poussaient ci et là. Le monde est triste. Pourquoi n'y avait-il pas de couleurs ? Aucune idée. De toute façon, personne n'en voudrait, ils préfèrent leur tristesse. Ils pensent que voir des gens heureux les détruirait.

Le vent souffla, faisant voler sa longue chevelure noire. Noire comme les corbeaux, comme l'ébène, comme le monde. Ses yeux verdâtres scrutaient la grille du lycée. Des centaines d'élèves sortaient, encore et encore, se bousculant, s'insultant, se faisant la bise... Et dire qu'ils se voyaient le lendemain, tant de cinéma pour ça... Et puis, vous avez vu leurs vêtements ? Que de la marque. Pour Marie, ce n'était qu'un déguisement, servant à cacher la vraie nature des gens. Des costumes de cinéma. La vie est un mauvais film en noir et blanc. Oui, les pensées de Marie vont de fil en aiguille, elle pense, c'est tout ce qui lui reste. C'est la seule chose qu'on ne peut pas lui enlever, personne, même le chef de l'Etat. Non, ça, elle le garde. Sa façon de penser.

Elle avait froid. Elle grelottait, et se maudissait de ne pas avoir pris un blouson. Etant habillée d'un pauvre gilet noir et d'un pantalon de même couleur, sa peau était parsemée de chair de poule. Le noir. Elle s'habillait comme cela pour se fondre dans la foule. Elle était tellement contradictoire, entre ses gestes et ses faits...Mais Marie était comme cela. Ce n'était pas elle qui allait changer la face du monde, du moins, pas pour l'instant. Oh, elle avait essayé de se révolter contre les adultes qui n'avaient plus de rêves, contre ceux qui se donnaient un genre, alors que la vérité était tout autre... Mais elle s'était sentie ridicule. Tout le monde l'avait regardé avec des yeux tout ronds. Des soucoupes. Elle était comme nue sur une scène, avec des dizaines de projecteur dirigés sur elle. Une attraction de foire, un animal en cage comme de ceux que l'on admire au zoo.

Marie écrasa sa cigarette sur le muret sur lequel elle s'appuyait, laissant un résidu noirâtre sur la pierre. Elle jeta le reste dans une poubelle près d'elle, regarda les feuilles tomber sur le sol et commença à marcher. On la bouscula violemment, mais elle s'en fichait. Au mieux, elle aurait un bleu, au pire, elle aurait un bleu. Rien à perdre, tout a gagné. La vérité, c'est que Marie s'en fichait de sa vie. Elle en profitait, elle la mordait à pleines dents, mais si ça s'arrêtait, elle n'aurait aucun remord, si ce n'est de ne pas avoir pu changer le monde. Les nuages se pressaient dans le ciel. Un orage ? Cela sentait le roussi. Elle détestait les orages. Cela lui faisait peur. Pas la pluie, mais le tonnerre, oui.

Elle courut, son gilet au dessus de sa tête, tandis que les premières gouttes tombaient. D'une main, elle déverrouilla sa voiture, de l'autre elle s'abritait tant bien que mal. Elle se jeta sur le siège, ferma la portière d'un coup sec, et cala sa tête sur son poing. Elle voyait l'eau s'écraser sur la vitre, tracer des sillons de pluie, puis disparaître à la fin. La durée de vie d'une goutte de pluie : deux secondes.Une vie éphémère. C'est triste. Comme tout.

Marie mit ses clés dans la fente prévue à cette effet, la tourna d'un demi-tour, et alluma la radio. Le moteur ne ronronnait pas encore, pour cela, il fallait faire un tour complet. C'était complexe. La radio diffusait une musique en anglais, « Girl on fire ». Marie n'aimait pas chanter, du moins, pas devant tout le monde, mais toute seule, elle pouvait. Des notes s'échappèrent de sa gorge, des notes fausses, mais elle s'en fichait.

Elle continuait à regarder les élèves. La sonnerie retentissait à seize heures trente, il était seize heures trente-cinq. Pourquoi restait-elle là alors qu'elle avait fini ses cours depuis deux heures ? Pour rien. Elle n'avait rien à faire. Sa vie, ce n'était qu'un fleuve trop tranquille. Les jours passaient et se ressemblaient tous. Aucune différence. Toujours les mêmes pensées plus ou moins noires. Toujours seule. Elle préférait la solitude. C'était mieux : pas d'embrouilles.

Marie se demanda alors pourquoi elle ne riait jamais. Elle aimait la vie, mais ne souriait. Pourquoi ? Elle ne savait pas. Ne savait plus.

Enfin, alors que la lune pointait le bout de son nez, elle démarra sa voiture. Le moteur rugit. La pluie fouettait la fenêtre. Elle roula, roula jusqu'à chez elle, mais ne descendit pas. Elle resta dans ce petit endroit, où elle se sentait en sécurité. Oui, elle était bien.

En fait, Marie n'était pas comme tout le monde. Elle était dans son monde, pleins de rêves. Elle posa son front sur le volant, et ferma les yeux. Ses paupières se faisaient lourdes. Elle s'endormit d'un coup, la musique en fond.

Oui, Marie n'était pas banale. Et elle aimait ça.

Et pour la première fois depuis des mois, elle sourit.

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