Un peu de temps en liberté ?

elcanardo

« Telles des aiguilles, les rayons du soleil transpercent mes paupières pourtant lourdement fermées. Instinctivement, je me renverse sur le côté. J’ai les jambes mouillées jusqu’aux genoux, léchées inlassablement par les vagues. Le sable que je touche du bout de mes doigts ne me laisse aucun doute. Je reprends connaissance (je pourrais aussi dire « conscience ») sur une plage. Le son du ressac me donne la nausée. Mon estomac se contracte violemment, à l’unisson, tous mes muscles reprennent avec lui. Un spasme de douleur me secoue le haut du corps. Laissant échapper un filet bileux à l’odeur et à l’acidité caractéristiques, le sable se mêle à mes lèvres puis s’agrippe à ma langue rêche. Écorché, blessé, coupé, brûlant, mon corps entier n’est  qu’une plainte sourde. La fièvre s’est emparée de moi anéantissant par la même toute capacité à raisonner, à fonctionner. Je ne parviens pas à éclaircir mes pensées, seulement capable de ne percevoir que le vide en moi et autour de moi. La luminosité trop vive me repousse vers une première touffe de végétation exotique qui flirte avec le long du bord de mer. Je m’écroule dans les hautes herbes, laissant la légère brise recouvrir mon corps endolori de son souffle apaisant… C’est à ce moment-là que ma conscience a de nouveau cédé à la volupté du néant… »

Voilà, ces quelques lignes résument les premières choses dont je suis capable de me rappeler de toute mon existence ! Avant ce réveil dans l’inconnu, tout est blanc. Comme si quelque entité supérieure avait fait un reformatage complet de ma personne. Plus aucune information me concernant personnellement ne me revient pour le moment. Où suis-je ? Que s’est-il passé ? M’attend-on quelque part ? Est-on en train de me chercher ? Déroutant, déboussolant. Je ne sais plus qui je suis ni d’où je viens. Je suis là, assis sur un frêle matelas de verdure, comme une grenouille qui au réveil sur son nénuphar séché constaterait le désert autour d’elle et qui chercherait à comprendre où est passée la mare disparue pendant son sommeil. Cette remise à zéro de mon compte « vie » m’absout de toutes ces choses que j’ai pu faire dans le passé. Intervention divine ou résolution raisonnée ? Pour l’instant, le pourquoi et le comment de cette situation m’échappent. Je me retrouve dans cette bulle paradisiaque ne sachant pas ce que j’ai perdu ou peut-être gagné. Plus de lundi, plus de weekend, plus de gens qui font la gueule, plus de crottes à éviter sur le trottoir, plus de règles ni de contraintes à respecter. Toutes les réticences initiales qui m’interdisaient le lâcher prise, qui me torturaient jusqu’à l’insomnie et la perte d’appétit, sont devenues désormais silencieuses, depuis que s’est ouverte cette inespérée parenthèse. Incroyable, il n’aura fallu que quelques jours pour que mon instinct prenne le dessus et se libère de tous mes clivages sociaux et intellectuels. En l’absence de contextes social et économique, je n’ai plus à me mesurer à des icônes inaccessibles, à respecter un quelconque savoir-vivre ou à être capable d’un savoir-faire. Plus de droit ni de devoir, c’est à mon instinct de s’exprimer si je veux survivre.

Comme au lendemain de dantesques soirées, ma gorge, torturée par la soif que les maigres noix de coco n’épanchent guère, semble enchevêtrée dans un fil de fer barbelé. Mais, je ne veux pas me plaindre, la mer a été bonne avec moi, elle semble veiller sur ma petite personne. A quelques brassées de là, au pied de la falaise se situant au couchant, elle a retenu dans ces rochers coupants une grande partie de ce qui semblait être un bateau de plaisance. J’ai pu y retrouver une cantine à peine endommagée pleine de victuailles, deux trousses de premier secours, quelques livres à peine abimés, des stylos, plusieurs cahiers vierges pas trop mouillés, un sac de vêtements qui semblent tous m’aller, une couverture de survie, un petit sac marin étanche abritant quelques liasses de billets… Avec un peu d’astuce, je vais pouvoir améliorer mon quotidien avec toutes ces « trésors ». Je n’ai malheureusement réussi à mettre la main sur aucune indication nominative, ni temporelle. Mon premier sentiment est que j’étais seul sur ce bateau, probablement en quête de solitude et de recueillement. Cherchant certainement à amarrer, la barre sous le vent, une étourderie de navigation m’aura amené à m’approcher trop près et à échouer sur ce lit de rochers à fleur d’eau. La corde de sécurité que j’ai retrouvée à bord ne laisse aucun doute sur le fait que n’étant pas attaché, j’ai dû passer par-dessus bord. L’île paraît peu étendue, je reporte pour le moment toute expédition en son sein. Une petite plaine semble s’ouvrir vers le levant, derrière l’épais mur de végétation dans lequel je me suis réfugié pour le moment.

Parfois, comme un film mal monté, certaines séquences d’une autre vie me reviennent. Explosés, saillants et surgissant de façon impromptue, ces souvenirs en kaléidoscope me déroutent me plongeant dans un état de béatitude profond. Je suis incapable de dire si ces douloureuses poussées proviennent d’un véritable vécu. Ce que je ressens assurément, c’est que tout mon être les repousse désormais. À ma grande surprise, une fois rasséréné, je ne me sens ni seul ni déprimé ni même en manque. Je prends la vie comme je respire, une bouffée d’air après l’autre.

Il fait déjà très sombre maintenant, j’ai assez écrit pour cette première fois, mes doigts s’enraidissent encore très vite. La nuit tombe vite sous cette latitude, je dois être proche de l’équateur. Le voile obscur des ténèbres à peine en place, c’est un nouveau spectacle de lumières qui commence. Là, assis face à la mer, les cheveux au gré du vent marin frais, je me laisse cerner par la myriade d’étoiles. Comme autant de points d’interrogation dans mon esprit, elles font scintiller de leur éclat énigmatique la voûte infinie. J’aime ma nouvelle existence d’être « réellement » vivant. Je ne scrute déjà plus autant l’horizon, j’ai remisé la fusée de détresse au fond du sac. Je me surprends même à penser que ce qui m’arrive aujourd’hui, c’est ce que voulait mon autre « moi », le précédent. Larguer les amarres d’un quotidien oppressant et débilitant, me sauver de ces griffes pour enfin avoir la sensation de vivre. J’en viens même à souhaiter qu’au moins pour un temps on m’oublie, et qu’ainsi on me laisse encore ... un peu de temps en liberté.

 (À suivre)

Sypnosis :

Début forcé de nouvelle vie ? Simple respiration-parenthèse avant la noyade sociale assurée ? Remise à zéro volontaire d’un compteur vie dont les chiffres tournaient trop vite ? Nathan (le personnage principal) s’en remet au hasard d'un naufrage sur une île qui semble déserte et d’une amnésie qui persistera encore durant quelques chapitres. Avant que la mémoire ne lui revienne, présent et passé se rapprocheront par intermittence au long d’épisodes qui permettront de revivre la vie récente et courante du héros.

Acteur bancaire de seconde zone mais aussi et surtout clandestinement au service d’une organisation « discrète », Nathan légitime des revenus aux origines douteuses. En parallèle, il se prépare doucettement un complément de retraite plus que substantiel. Pris en chasse par des avdersaires féroces menés par une inquiétance sublime cubaine, et aussi protégé par un mystérieux tueur de la vieille école, il est la cible de deux camps qui s’affrontent et ne veulent en aucun cas perdre la pièce maîtresse du jeu que semble être devenu Nathan. Le récit patientera le retour au présent avant de redonner progressivement son passé au jeune financier. Partant du Luxembourg, traversant la France, ce voyage-poursuite se poursuit vers les Caraïbes où il s’embourbe pour un temps pour finalement trouver son issue au nord de New York.

Les moments rares de calme amènent le propos à la réflexion sur l’équilibre précaire des forces en présence, sur un monde factice et spéculatoire, ainsi que sur la valeur de l’existence et, au final pour aboutir sur le retour nécessaire à l’essentiel : ne pas oublier de ... VIVRE.

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