Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras

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Sous le feu des projecteurs, Mylène et Rebecca ne formaient plus qu’une. Leur numéro, bien rôdé, faisait un tabac chaque soir, et c’était toujours sous des tonnerres d’applaudissement qu’elles quittaient  la scène.  Dans les coulisses, elles se démaquillaient mutuellement à coups de gestes tendres.

Ce soir là pourtant n’était pas un soir comme les autres. Personne n’aurait pu le deviner, mais Mylène sentait en elle un violent bouillonnement croître et embellir dans son cœur et ses tripes. Une rage enfouie depuis des années, qui avait commencé à la naissance, quand ses parents eurent la bonne idée de l’affubler de ce prénom, et qui avait continué en sourdine lorsqu’elle fut en âge de comprendre qu’on l’avait aussi affublée d’une sœur.

Rebecca n’était pas une mauvaise fille, c’était même un ange venu du ciel, toujours douce, prévenante, positive, et talentueuse. C’est elle qui, rêvant de gloire et de paillettes, avait entraîné Mylène sur les planches, lui offrant ainsi une part de reconnaissance bienvenue après les années de commentaires railleurs qu’elles avaient du endurer.

On dit bien souvent des jumeaux qu’ils sont inséparables : quel doux euphémisme concernant Rebecca et Mylène, reliées par la taille, obligées de partager leur unique paire de jambes. Bien qu’elles se ressemblaient énormément, Rebecca parvenait on ne sait comment ce tour de force consistant à être toujours plus jolie que sa sœur. C’était vers elle que les regards se tournaient en premier. Peut-être parce que c’était elle qui était le plus « dans l’axe ».

Mylène, avec son bras pendouillant dans le vide et l’autre reposant sur sa taille tordue de côté faisait pâle figure. Elle ne rêvait pas de gloire mais d’amour. Un amour vrai, unique, sans sa sœur pour se lever au beau milieu de la nuit parce qu’elle avait envie de pisser. D’ailleurs en en parlant…

Le lendemain matin, elle trouva rebecca assise dans le lit, visiblement très affairée. Elle avait sorti des feuilles, des crayons, des bouts de tissus… visiblement elle s’était lancée dans la scénographie d’un nouveau tour. Mylène se pencha au-dessus de son épaule, lasse et peu enthousiaste, et regarda d’un œil morne les croquis chatoyants. Elle ne comprenait pas vraiment de quoi il retournait, comme d’habitude :  Reb aimait codifier ses idées pour en préserver la surprise. Elle tourna la tête vers Mylène avec un petit sourire en coin et des yeux pétillants. « Ca va être magique », lui dit-elle, « mais il va falloir faire des sacrifices ».Mylène se laissa retomber lourdement sur le matelas et entreprit de fixer le plafond.

Quelques temps plus tard, quand elle fut réveillée par le contact froid du canon du fusil Lebel que Reb pointait sur elle, elle ne comprit toujours pas. Reb pressa la  détente sans autres fioritures. De toute façons, ce n’est pas la sagacité qui aurait pu étouffer un jour son boulet de sœur.

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