une belle semaine

roger-zujar

La retraite ! Enfin. Des années a la rêver, des milliers de jours a décompter.

Le soleil se lève comme avant, mais l'aube n'est plus la même.

Une absence de contraintes, le temps qui n'a plus d'importance.

Et ne plus avoir a supporter les humeurs d'un petit chef, aussi arrogant que stupide.

L’apéro du bistrot avec les copains , c’était la cloche de fin de journée, aujourd'hui, c'est profiter du temps qui passe et regarder les gens.

Même ma loterie de la semaine, toujours semblable, mais plus indispensable. Elle ma fait rêvé pendant tant d’années , elle n'est plus qu'une habitude.

Loterie ou je n’ai jamais rien gagné, malgré19 ans d'assiduité. Toujours le prochain tirage, peut être.

Rien gagné , sauf une fois, 4 numéros. Juste de quoi offrir une tournée générale.

Des kilos de petits bulletins. J'ai tué plus d'arbres qu'une famille de castors sur plusieurs générations.

Et pour parfaire le tableau, ma femme est en vacances chez sa mère. Sans moi.

La retraite, ça ce fête, ça se déguste, et pas avec belle-maman.

je vais donc échapper a la corvée, je vais éviter les conseils médicaux sur l'alcool, le tabac, le gras et le manque d’exercice. Ça m’éviteras de promettre, pour ne jamais tenir.

Mes oreilles vont siffler, mais qu'importe. Si l'une persifle, l'autre a de quoi surenchérir.

Elles vont bien ensemble, en fait. Une sacrée vieille peau, sa mère , soit dit en passant.

Elle m'a toujours bien fait sentir que je n’étais pas a la hauteur, qu'elle pensait que je n’étais pas assez bien pour sa fille. Mon absence de promotion, l'a conforté dans son idée.

Elle avait rêvé mieux, plus riche, plus beau, plus intelligent.

Mais bon, sa fille, c’était pas non plus une reine de beauté. Pour les prétendants, il n'y avait pas la grande foule.

Mais elle sait bien faire la cuisine, et ça, ça compte tout les jours. Merci belle mère pour vos leçons culinaires

Je voulais fêter ça avec les copains, parce que je crois que plus rien ne sera comme avant. Eux vont continuer leur vie, moi je vais passer a autre chose.

Des vieux copains, des copains qui comptent. Avec qui on a tant de souvenirs en commun.

Lucien, Marcel et Paulo, depuis tant d'années. Et tiens, même Marc. Ce sacré Marc. Je ne l'ai jamais aimé, en fait. Tout a fait le genre a aimer son boulot. Un rôle de chefaillon, toujours a surveiller les autres, a faire des rapports. Et la tète de l'emploi qui va avec.

Un emmerdeur, mais un emmerdeur crédule.

On lui avait fait croire qu'on avait gagné au 3 télés , un petit jeu a gratter.

3 télés et c'est parti pour le tirage en direct sur le plateau TV. Le million ! Le million !

On jouais tout les quatre, toutes les semaines. Et un jour, pour rigoler, j'ai pensé qu'on pouvait maquiller le petit ticket en découpant et en collant une autre icône.

La blague était parfaite. La réalisation aisée. Et ça a marché!!!...

Il nous a cru, l’imbécile. Il se voyait déjà riche et faisait pleins de projets....Il en a parlé a sa femme et a sa fille, et nous on rigolait. En fait, la blague n’était pas drôle , et d'une grande cruauté. Car il a cru qu'il allait enfin pouvoir soigner correctement sa fille. On ne le savait pas, on ne pouvait pas deviner.

Quand il a enfin compris qu'on se moquait de lui , il n'a pas du tout apprécié. Il ne nous a plus parlé pendant des années, sauf pendant le travail, quand il y était obligé. J'aurais du m'excuser, mais je ne l'ai pas fait,

Ça ne fait que quelques jours qu'il est revenu. Toujours un peu distant, surtout envers moi .

Comme il est a la retraite, lui aussi depuis 5 mois, il devait commencer a tourner en rond dans son 2 pièces. Juste en tête a tête avec sa rombière acariâtre. Quand un boulot vous prend toute une vie, impossible d'en demander une autre. Il ne sert plus a rien maintenant, il n'a plus rien a faire. Alors il est revenu vers nous.

Mais juste deux fois par semaine, le mardi, jour de sa loterie. Il vient, bois son verre, valide son ticket, et repart.

Le lendemain , il vient, bois son verre, regarde le tirage et repart.

Moi je joue le vendredi, une habitude prise avec la paye de fin de semaine

Une retraite ça s'arrose, mais la on a fait vraiment très fort. J'en ai encore des nausées, rien que d'y repenser. Et comme l'alcool donne les idées les plus bêtes, j'ai voulu lui refaire le même coup que la dernière fois. Pas forcement très original, mais mon état d’ébriété ne me permettais pas mieux.

La seule variante , ça n'était plus les 3 petites télés , mais le bulletin de la loterie.

Je venais de faire valider le mien. C'est ce qui m'y a fait penser. J'aurais mieux fait de m'abstenir.

Je me demande d'ailleurs pourquoi je continu a jouer. Toujours les même numéros, la date de naissance de ma femme et son chiffre porte-bonheur.

Ben dit donc ,pour un chiffre censé porter chance, c'est 19 ans d’échec. Si il a porté bonheur a quelqu'un , c'est a celui qui encaisse mon jeu toute les semaines. Et pas question d'en changer, ma femme n'apprécierais probablement pas. Alors je le garde, mais je sens qu'il va continuer a me porter la poisse. Je me dit souvent, si jarrette de jouer, il n'y a pas de doutes, les numéros vont sortir la semaine suivante. Et donc je continue. Mais j'y crois de moins en moins.

Les potes étaient pas trop d'accord, pour lui refaire la même plaisanterie des années après. Ils avaient raison, bien sur, et bien moins ivre que moi. J'ai quand même réussi a les convaincre, avec force tournée.

Et nous voila en train de gratter, effacer , maquiller, pour faire d'un ticket de perdant , quelque chose qui ressemblait a un pass de tout les rêves.

J'en rigolait d'avance. Parce que les 3 télés, c'est quelques centaines de milliers d'euros voire le million. La, c’était des dizaines de millions, au minimum.

De quoi le rendre totalement fou. Plus j'y repense , moins je suis fier,

Et il est arrivé , toujours ponctuel. Ne se doutant de rien. Et moi qui riait sous cape.

Il a pris son vittel menthe, est allé aux toilettes, est revenu tranquillement. Et après avoir fini son verre , est allé voir le tirage de la veille.

Bien sur pendant qu'il n’était pas la , j'avais substitué son bulletin avec notre œuvre d'art.

Quand il est revenu vers nous, je lui ai demandé :

- alors tu as gagné cette fois?

-Non.

-Comment tu le sais, tu as pas regardé ton bulletin.

-Pas besoin, je joues les même numéros depuis 6 ans et demi.

Depuis le jour , ou tu a cru bon de me faire croire que nous étions riches, tu te rappelle?

C’était très drôle Robert, vraiment d'un humour extraordinaire.

Lucien s'en est mêlé

-Ta blague tombe a l'eau , je crois, Robert.

-Sa blague , , qu'elle blague?

-Regarde dans ta poche.

Quand il a sorti le bulletin , il a compris instantanément. Il est devenu très pale, presque blanc.

Il a déplié le bulletin et c'est mis a trembler comme une feuille.

-Robert, tu es vraiment un sale type. Ton sens de l'humour est a ton image : gras et répétitif

Dans le bistrot , le silence est devenu total, et tout le monde s'est tourné vers nous.

-Regarde ce que j'en fais de ton humour...Scratch... tu vois Robert? Scratch....

Il étouffait de rage en réduisant le bulletin en confettis

Quand il n'a plus été possible de déchirer des bouts plus petits , il a tout mis en boule dans sa main et la jeté dehors.

-Voila ce que j'en fait de ton humour monsieur Robert.

Il s'est penché vers moi, les 2 poings sur la table en me hurlant :

-Vous êtes un con, Mr robert . Que ce soit au travail ou dans la vie , vous êtes un abject personnage. Quand vous n’êtes pas mesquin , vous êtes vulgaire. Pendant trente ans de carrière, j'ai du supporter votre paresse et votre mauvaise fois.

Alors aujourd'hui , je vous le dit Mr Robert: vous êtes un triste con et je vous emmerde.

Et il est sorti....On ne l'a pas revu , ni avant-hier, ni hier.

Aujourd'hui je suis resté a la maison. J'ai bien compris que mes vieux copains me faisait la trogne. Je crois que notre amitié va se finir plus tôt que prévu. Et je ne peux pas leurs donner tord.

L’apéro est aussi bon ici qu'au bistrot. La grande différence, c'est que je bois pour boire. La déprime n'engendre pas la consommation d'eau. Écluser pour oublier. Pour oublier, je ferais mieux d'aller dormir.

Le téléphone sonne, manquerais plus que se soit ma femme qui me bassine avec ses super vacances et sa chère maman, pour que la journée soit complète..

Gagné.

Elle hurle dans le téléphone.

-ROBERT!!!!.....Robert tu as vu le tirage?

Je ne comprends strictement rien

-Mais de quoi tu me parle?

-Mais bon dieu Robert, le tirage , le tirage d'hier soir.. Mais tu est saoul ou quoi?.. Robert, on a gagné. C'est nos numéros. On est riche. Mais tu comprends rien? Les 6 bons numéros, je te dis. On a gagné.....

Le tirage.... Nos numéros...

C'est pas possible, on a gagné ? Ces numéros que je joue depuis si longtemps?

Ces numéros qui ont toujours été perdants?

Mon bulletin? Ou ais je foutu ce sacré bulletin. Cette saloperie de bulletin. Ou ais je pu le fourrer?....

Et le le revois. Je le revois, réduis en pièce, déchiqueté. Et je revois cette petite boule de papier jeté par terre et l’accès de rage qui va avec. Je revois la face de Marc, hurlant en postillonnant a 10 centimètre de ma figure.

Mon bulletin. Ou peut il être aujourd'hui? Au fin fond d'un égout, quelque part sous nos pieds? Ou déjà enterré au milieu d'une déchetterie ?

-Robert ?..... Roobeerrt? tu es la ? Robert ! réponds moi!

Je crois que je vais finir ma vie tout seul.

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