Une petite ville

aile68

C'est une petite ville où il y a plus de monde au cimetière que dans les habitations. Du mimosa superbe pousse au printemps et en été du bougainvillée rose fuchsia tapisse les routes et les trottoirs. J'aime m'y promener, m'y perdre même, cette ville est un vrai labyrinthe, pour qui ne la connaît pas. Le curé veut remettre dans le droit chemin les garçons qui fréquentaient le catéchisme à petits coups de bible sur la tête, les filles elles, se maquillent en cachette mais tout le monde les voient sur la grand place de la ville quand elles mâchent ostensiblement du chewing-gum en faisant des bulles qu'elles font éclater avec de grands rires. Je suis l'une d'entre elles mais je ne maquille que très peu, mes bulles sont les plus grosses, mes rires les plus bruyants mais je ne fais de mal à personne, les garçons ne m'intéressent pas à part Arnaud. C'est pour lui que je ris si fort, un jour Mado m'a dit que ce n'est pas comme ça que je l'attirerais dans mes filets, l'image ne m'a pas plu, mais je l'ai laissée parler. Elle m'a confié son secret pour séduire les hommes, elle les flatte, s'intéresse à ce qu'ils aiment le plus, les voitures, le sport, des trucs de mecs quoi. Mais moi je continue à rire comme une baleine, et c'est vrai que ça n'a pas l'air de plaire à Arnaud, est-ce que je lui plais un peu au moins? nous avons fait notre communion ensemble, j'avais une robe blanche qui faisait un peu mariée sans voile, ni traîne et des petites fleurs blanches à mes cheveux que j'avais un peu fait pousser pour l'occasion. A un moment j'ai vu qu'Arnaud me regardait avec des yeux de merlan frit, il avait un costume bleu marine, et une chemise blanche sans cravate, ni noeud papillon, un oeillet blanc à sa pochette, j'ai bien cru percevoir le parfum poivré de l'oeillet parmi les odeurs écoeurantes d'encens et de cire qui fondait. Ce jour-là j'ai bien cru que j'allais m'évanouir, d'émotions et d'écoeurement, j'avais envie qu'il me prenne la main pour réciter le notre Père mais il y avait Viviane et Alain entre lui et moi. Dommage. J'aurais voulu être comme Pénélope, l'attendre patiemment en tissant ma tapisserie, mais je n'ai pas l'envergure d'une héroïne, je suis une fille de la ville c'est tout. Les garçons croient que je suis facile avec mes grands rires et mes chewing-gum, je ne suis qu'une amoureuse transie. Je regarde des films où l'amour triomphe à la fin, y a toujours quelqu'un qui vous empêche de tourner en rond, et puis cette personne est évincée, exclue, éliminée par un stratagème mystérieux, ingénieux. Parfois je voudrais jeter des sorts à Arnaud mais ça ne se fait pas. Un jour Alice me montera la baraque, nous arrangera un rendez-vous, je l'attendrai sous le pont, près de la grève et loin de la grand place où tout le monde passe en montrant leur dernière robe ou autre achat vestimentaire. Moi je mettrai ma robe  blanche d'été avec mon gilet au crochet. Comme Capitaine Crochet je veux kidnapper celui que j'aime, celui pour qui je pleure certaines nuits alors que le jour on entend mes rires jusqu'à l'église où d'autres filles et  garçons préparent leur communion.




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