Une sacrée matraque de malfaiteur

Eric Varon

Une sacrée matraque de malfaiteur


C’était tôt le matin vers 7 heures 30 au début de l’hiver. Le vent humide s’engouffrait le long du boulevard Saint Germain. Je prenais de l’argent au distributeur automatique de la Banque Postale. Un des distributeurs était en panne je grommelais en utilisant l’autre et je repartais en rangeant mes affaires quand je me trouvais nez à nez avec une silhouette noire qui me barrais le passage plus froide que la mort une main gantée de noir se posait rudement à la hauteur de ma poitrine. Une lourde voiture de transport de fonds était arrêtée Mon corps se figea en un spasme les convoyeurs vêtus de noirs avec un gilet pare-balles bleu marine formaient une colonne infranchissable. Je regardais l’ombre qui n’avait arrêté, sur le moment je crus qu’il s’agissait d’un jeune garçon aux cheveux longs mais je constatais qu’il s’agissait d’une jeune femme blonde aux cheveux ondulées tombant sur les épaules. Maintenant elle souriait comme pour excuser la brutalité de son geste.  Je marchais en rangeant mon portefeuille et j’avais failli buter sur la procession de porteurs de sacs remplis d’espèces. Cependant malgré son sourire elle gardait son revolver à la main le long de sa cuisse fuselée et svelte de sportive et son autre main posée sur ma poitrine. Elle dût sentir mon cœur battre sous sa main, soudain ravie de l’agressivité masculine de son comportement et du trouble qu’il suscitait en moi. Avec son uniforme et sa casquette inclinée sur ses yeux légèrement soulignés de noirs elle m'observait d'un air narquois... Elle fit glisser sa main le long de mon torse jusqu'à mon jean et touchant  juste, sous ma ceinture, elle émit un petit sifflement admiratif : « tu voulais nous attaquer avec une vraie matraque de malfaiteur ? Mais c'est moi qui est l'artillerie la plus moderne »,  dit-elle en soulevant légèrement le  revolver qu'elle tenait incliné vers le sol.
Cependant ses collègues avaient terminé leur transfert de sacs de monnaie. Tout le monde embarquait dans le camion blindé. En partant elle me glissa quelque chose dans la main. Une adresse de messagerie électronique.
Le soir je me suis connecté sur son chat. « Je suis le type qui est troublé par les femmes en uniforme », « Ah oui ce matin, le jean bien rempli humm ? », « Pourrait-on remplacer le gilet pare-balle  par une protection plus douce ?»
Je suis extrêmement sévère, je n'aime pas les plaisanteries de garçon de bain, j'aime l'eau glacée, les seins durs et tendus les frictions dans la neige après le sauna !
J'ai envie de dégrafer ton wonderbra avec mes dents !
Mais tu rêves, je ne porte absolument JAMAIS de wonderbra ! Est-ce que tu es prêts à en finir avec l'état civilisé, à venir où je veux et quand je veux ?
Je crois...
Tu me rappelleras quand tu en seras certain !

Elle raccroche.

J'attends sous les étoiles, avec un vague sourire. Il existait déjà entre nous une espèce de complicité confuse, mais il y a un parcours initiatique à accomplir. Une sensation de danger fait battre le sang à mes tempes. Comme dans un rêve c'est d'un geste irréel que je reprends mon portable.
Alors dit-elle, dit-elle, je t'obsèdes donc tant ?  Tu es prêt à te jeter au feu ?
Je ne me souviens plus de mon passé, je ne penses plus à mon travail, je n'imagine plus mon futur...
C 'est un bon début, nous allons remettre de l'ordre dans tout ça !
Je ne suis pas une personne docile, je peux déraper...
J'imagine oui, j'ai lu dans tes yeux, tu sais ça ?
Oui je sais, mes yeux brillent comme ceux d'une bête dans la jungle
Grand félin humm ? Ou chacal en maraude ? Tu ne t'es même pas présenté, tu sais que tu es très mal élevé ?
Tu as dit que tu allais remettre de l'ordre dans ma tête, il faut bien que je me conduise mal pour te plaire. Tu as envie d'un voyou que tu contrôlerai...
J'ai glissé ma main sur ta poitrine et j'ai senti ton coeur battre la chamade. La prochaine fois je dégraferais ta chemise et tu devras fermer les yeux. Ma main sera fraîche comme la nuit sur ta peau fiévreuse. La douceur de mes caresses sera ta seule patrie, l'obéissance à la sensualité sera ton honneur, tu seras soumis sans perdre ta dignité de macho...
Reste avec moi, ta voix est une fièvre presque nue, ta bouche sanglante de rouge incarnat me fait frissonner des pieds à la tête
Tu as mal regardé, ce n'est pas ma bouche qu'il faut redouter ce sont mes griffes je peux te lacérer à mort....Je suis généreuse mais susceptible, ne me défie pas, ne me trahie pas et tu seras heureux...
Tu es dans mon coeur, je ne peux rien dire de plus....
Ta gueule, tu es malheureux de bonheur, je suis révoltée contre l'hypocrisie des mecs qui désirent et méprisent à la même seconde.
C'est pas poli de me dire ta gueule
Ta gueule ! Vous les mecs il vous manque une case dans la tête 
Tu as envie de casser du mec ?
'Xactement j'ai un donjon gothique et je danserais la danse du scalp en ondulant des hanches autour de toi !
Aïe !
Le mot est faible, tu verras ça si t'es cap' !
Où et quand ?
Si tu viens tout de suite tu as des chances de me trouver dans mes draps roses pas encore froissées. Je suis toute nue sans gilet-pare balles et sans flingue...
J'arrive !
Je précise que je suis une porno star retraité à 21 ans et demie et que je ne tolère pas les caleçons blancs avec des nounours dessus...
Ok, Je ne met rien sous mon jean...
Attention à ne pas te coincer avec ton zip mon chéri, je te veux intact, c'est moi qui m'occupe des sévices...

Ensuite je suis chez elle. Elle est réellement venue m'ouvrir sa porte toute nue enroulée dans un drap rose.
Viens tu vas voir que je n'ai pas besoin de fouets ou de flingues pour me faire respecter !
Ses cheveux blonds vénitien en cascade sur ses épaules de miel me troublent mais je dois être macho jusqu'au bout de la moustache, un sourire qu'elle prend mal plisse mes lèvres en quête de volupté.
Ne joue pas au petit gars médiocre, ce n'est pas toi, dit-elle, avec une pointe d'exaspération dans la voix... tu es sensible comme une fille, tu es un garçon lesbien.

Puis la jeune beauté cruelle se penche et m'embrasse d'un attouchement cinglant et bref comme la morsure d'un martinet. Elle laisse glisser son drap et tout son corps m'apparait d'un coup, les pointes de ses seins dressées vers le ciel sont volcaniques, nudité parfaite qui provoque un enthousiasme qu'elle réfrène avec un joli sourire un peu dur qui anime ses lèvres roses...
Fais moi un peu confiance de temps en temps, dit-elle en ouvrant ma chemise, qu'elle ôte d'un coup comme une peau de serpent. Sa respiration devient plus rapide elle saisit son bâton de rouge à lèvres incarnat et écrit sur ma peau nue « Il faut faire une oeuvre d'art du corps humain ». Puis elle maquille mes lèvres.
 J'adore les voyous invertis comme dans Jean Genet, est-ce que tu as lu Jean Genet ? 
 Le Condamné à mort oui, mais je ne suis pas un voyou inverti ! 
 Tu ne l'étais pas, mais maintenant c'est moins certain, je vais t'apprendre à faire des choses répugnantes que tu vas adorer...
 S'te plaît enlève aussi le jean, le zip me fait un mal de chien...
Tu as raison, j'en ai assez de faire la méchante, maintenant je vais devenir douce fondante et soumise comme une crème dessert, mais ne fais pas trop le malin je peux redevenir une petite peau de vache n'importe quand  !
Je suis l'étrier où ton pied divinement galbé pose sa courbure cruelle...
Allez mon poète au boulot, je te libère de ton zip et tu t'occupes de moi qui suis nue comme une larme.

Elle refuse de me guider, je caresse sa nudité parfaite, l'âme échancrée ouverte enfin à tous les possibles, science de la dissolution du corps, ses boucles blondes caressent ma peau ses marques d'enthousiasme sont une tempête sur les lignes régulières du visage au sourire net presque dur. Vertige du désir nous tombons sur des gros coussins couverts de papillons brodés bleus et mauves elle est un brin d'orchidée flexible et dur comme l'acier soften the skin lui fait la peau si douce chaque respiration est une jouissance au bord de l'asphyxie, de son lac si doux au Niagara de soie sous sa taille fine où je récompense la déesse, « salope » me dit-elle affectueusement à l'oreille quand je touche son point G du bout de la langue (j'imagine que c'est là), « le pire c'est que j'aime ça ! » dis-je sobrement, trop sobrement pour un poète (j'ai la bouche pleine),  tandis que son pubis s'offre avec une inimitable grâce s'ouvrant sur un luxe inouïe de naïade adoration du désir ou désir d'adoration, Vénus vertigo, Diane, les Heures, les Grâces, toutes vêtues seulement de leurs chevelure fauves s'y multiplient à l'infini. « Arrête ! », dit-elle, enfin sur un ton sans réplique qui indique que je dois obéir sans discuter. Elle m'encourage à caresser le reste de son corps, je me jettes goulument sur ses seins que je dévore à moitié, mon zèle la fait sourire, puis sur ses fesses de marbre Diane, Aphrodite, hautaines et pleines de défi, mes mains remontent vers ses yeux clairs gagnés par la fièvre, je l'adosse à la cloison, la saisissant sous les cuisses je la pénètre du premier coup tout stress disparu, « joli coup », approuve-t-elle, les bras noués autour de mon cou, elle cherche ma bouche pendant que je suis saisi d'un gros délire de cosaque Tarass Boulba chargeant sabre au clair au milieu des coups de tonnerre,  avec ses cheveux qui masquent mon visage, en une cascade parfumée, sa langue s'infiltra entre mes dents soudain une douleur me vrille la lèvre inférieure, elle me mord la petite peau de vache, je redouble ma charge héroïque « oui, dit-elle continue !!! »  Elle se retient de céder à l'orgasme et sa tête est saisie de mouvements ondulants aux rythme des supplications de tout son corps tendu comme un arc, la réalité disparaît, l'amour n'est qu'un point lumineux et il semble arrêter le temps, relation corps incendie sacrifice,  je me sens ébloui parcouru de tressaillements, j'effleure la tige tremblante de son clitoris et tout à coup elle se laisse aller à une jouissance en tornade s'appuyant contre moi de ton son corps. 

Plus tard devant le petit déjeuner qu'on a préparé ensemble dans la cuisine en silence elle me dit :

- Je retire le mot « lesbien », pour le point G tu t'es complètement gourré d'adresse, comme tous les mecs... Tu as failli te retrouver à poil sur le prériph' (1),  mais tu as une sacrée matraque de malfaiteur, on ne peux pas te retirer ça, ou alors à coup de bulldozer !

C 'est mieux qu'un coup de bidule (2) par les CRS non ?
T'en fait pas je t'adoptes ! Et je n'appelles même pas un taxi pour te raccompagner, tu vois que je ne suis pas une garce, mais une jeune fille sensible et généreuse, pleine de compassion pour les garçons handicapés par leur machisme  ! Peut-être que tu auras droit aux croissants, mais faudra que tu ailles toi même chez le boulanger et que tu me rapportes ma part du butin !

Elle me passe le bras autour de la nuque et me bourre le menton de petits coups de poings affectueux, en même temps qu'elle me mordille  le lobe de l'oreille, la petite peau de vache !       Tout bas elle me chante un air de Kurt Cobain  qui dit que tous les grands garçons vont en enfer.  


(1)Le périph' : appellation populaire à Paris pour le boulevard périphérique, construit sur les anciennes fortifications de Monsieur Thiers. Se retrouver à poil sur le périph n'est pas une situation enviable (note pour le traducteur).
(2)Bidule : appellation populaire pour désigner la grande matraque noire de CRS. (note pour le traducteur).

  • Merci pour ces commentaires, je n'ai pas lu ma messagerie depuis un moment c'est pourquoi j'ai du retard dans mes commentaires !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Chat

    Eric Varon

  • 8 pages sans temps morts, on ne s'ennuie pas et c'est déjà bien.
    Une mention toute particulière pour ce titre bien choisi.
    Merci pour le partage Eric, j'ajoute mon vote avec plaisir.

    · Il y a presque 13 ans ·
    St barth 052

    jb0

  • Bravo, vous échappez très bien à la vulgarité des codes porno, ce qui est pour moi l'enjeu le plus intéressant du concours, vous ne serez sans doute pas sélectionné, les jurés de Welovewords n'aimant généralement que les textes écrits avec les pieds sous prétexte de réalisme contemporain et d'accès immédiat facile, mais en ce qui me concerne j'ai eu beaucoup de plaisir à vous lire.

    Nalpas

    · Il y a presque 13 ans ·
    Default user

    nalpas

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