Vélocipède

Fionavanessabis

C'était le vélo. Elle l'avait enfourché quelques minutes auparavant et déjà, sa magie opérait. Elle fendait l'air. Glissaient sur ses épaules les lourdeurs qu'on lui avait appris à porter. Elle n'avait qu'à se concentrer sur sa posture en équilibre sur la petite route. Se laisser respirer. Epouser les variations du sol, dépasser élégamment les boursouflures du macadam. Le vélo lui rendait le sourire, invariablement. Lui rendait les belles couleurs  automnales abordables,  lui faisait humer les senteurs sylvestres alentour. Elle devenait un peu  cavalière, se permettait un regard plus cavalier depuis sa posture bien campée sur sa selle. L'air encore doux d'octobre  chassait de son front les plis qu'y mettaient ses interrogations de tous les instants, ses doutes, ses élans de pensées pour les êtres qu'elle chérissait. Tenir le guidon lui donnait l'impression non pas de maîtrise mais de se laisser couler dans le flux des choses, et c'était reposant, précieux, c'était un petit goût de liberté qui réveillait les papilles de son cœur.

Oui, elle arrivait en sueur, les mollets tiraient, le roulis continuait un moment en elle après que ses pieds aient retouché terre, mais elle était heureuse, de rien, de tout à la fois, de son effort et de la multitude d'impressions reçues en chemin et qui l'avaient nourrie, repue, animée, retrouvant peu à peu un souffle apaisé. Elle se sentait  vivante à présent.

Oui, elle aurait ainsi le geste juste, pour saisir à bras-le-corps sa longue journée, qui ne demandait qu'à la happer, elle trouverait comment chevaucher l'hydre à deux têtes sans être broyée par les obligations, les urgences, les attentions à prodiguer, son cœur était prêt à donner de lui-même et du bon pied. Ses yeux prêts à la guider par leurs observations. C'était encore le vélo. Et toute l'application qu'elle y mettait, pour être là. Les obstacles viendraient, comme cela ne manquait pas chaque jour, les talons d'Achille, elle s'oublierait cent fois, les larmes même se frayeraient un chemin en elle quand elle se trouverait devant son incapacité à changer certaines circonstances qui la peinaient. Mais ce serait une vague qu'il faudrait laisser passer, par laquelle il faudrait qu'elle se laisse traverser, qui laisserait aussi son propre goût, plus amer. Ensuite viendrait l'heure du retour ; elle goûterait le fruit de l'effort accompli, le partage d'un repas simple avec les siens,  la sérénité d'une toilette bienfaisante, puis le repos. Là s'incrusterait derrière ses paupières l'image chérie de celui qui lui rendait la vie belle, les instants précieux, elle s'en remettait à la paisible nuit qu'il étendait sur elle, s'endormait en l'espérant demain.


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