Venise au coin du canal
Emilie Levraut Debeaune
Venise au coin du canal
Nous avions décidé, mon mari et moi, de parcourir le nord de l'Italie pendant l'été. 2500 kilomètres à en prendre plein la vue. Nous avions soigneusement préparé notre itinéraire, et en bons baroudeurs, nous en étions ostensiblement éloignés. C'est ainsi que depuis Forli, nous devions aller à Vérone, et coup du sort ou coup du destin, nous nous sommes retrouvés à Venise.
Venise était ma ville fantasmée. Sa proximité, toute relative certes, de Lyon, la rendait accessible. Pourtant, j'avais au fond de mon cœur la crainte qu'y aller détruirait cette si plaisante chimère. Dans mon esprit, la ville réelle devait être moins magique que le ville rêvée...
Pourtant, arrivés sur le pont de la via Libertà, impossible de faire marche arrière. Nous étions trop proches pour renoncer, il fallait y aller. La route était déserte, mais j'appris plus tard que le 15 août était une date idéale, car les Italiens partent ce jour soit à Turin soit à Rome. Ne restent que les touristes, qui la plupart du temps, suivent les autochtones.
Nous avons pu nous garer sans peine dans l'immense parking de l'Isola Nuova, d'où nous avons pris le Vaporetto.
Sous prétexte d'admirer le paysage, je me précipitai à la proue du bateau. En réalité, j'avais peur de faire la peine à mon mari, ravi d'avoir pu m'emmener, si je ne manifestais pas l'enthousiasme qu'il attendait sans doute de moi.
Rien ne m'avait préparée à ce qui allait m'arriver. Au fil du Canal Grande, à admirer ces palais chargés d'Histoire, je me suis sentie toute petite, insignifiante... Et j'ai vite chaussé mes lunettes de soleil en marmonnant un « Il fait vraiment beau... » pour qui voulait bien l'entendre.
Mais arrivée place Saint Marc, impossible de faire semblant. Dès le pied posé sur le sol, de grosses larmes ont coulé sur mes joues. Quel sentiment m'a envahie alors, je ne saurais dire. Un mélange de joie, de bonheur, de soulagement mais aussi d'une étrange nostalgie, comme si je revenais ici après une très longue absence. Non je n'avais pas fantasmé Venise. D'une façon ou d'autre, je la connaissais déjà. Expérience mystique, syndrome de Stendhal... Peu importe le nom donné à ma réaction, j'ai ressenti une incroyable paix intérieure. Je m'étais trouvée, complétée, remplie, et j'étais repue.
Mon mari a vite compris mon état, et m'a lancé un joyeux « Si je te fais pleurer, je ne t'emmènerais plus en voyage ! »
J'ai ri. Et nous avons exploré Venise, une Venise presque déserte, silencieuse et magique.
La lagune est bordée par de beaux palais, orgueilleux, sachant qu'ils peuvent l'être. Venise est une grande fleur de pierre sur l’eau. C’est sa solidité spirituelle et sa sagesse existentielle qui nous font percevoir ce lieu comme mystérieux et festif.
Quand on reprend son chemin, on n’a pas envie de se retrouver à nouveau au soleil. On s'y sent en pèlerinage intellectuel et sentimental. On passe de la lumière à l’ombre. On longe les murs lisses, compacts, mauves des maisons. La lumière est rose pâle à certaines heures du jour. Le mystère se mêle à la beauté. Tout le monde se perd parmi ces couleurs et ces échos. La ville semble vivante et vibrante dans la double lumière des murs et du ciel.
La ville semble avoir une âme. Et cette âme sait entendre et se faire entendre. La ville est partagée entre pénombre et pleine lumière. C’est une ville métaphorique.
Une ville dont je ne suis jamais réellement partie.