Lynchage en terre inconnue

jack

Visiblement, ni la femme qui me hurlait dessus, ni la dizaine d’hommes qui m’entourait ne semblaient enclins à m’écouter. Je baragouinais quelques mots d’anglais, mais arrêtais rapidement cette tentative lorsque je vis leurs visages se fermer plus encore.

Je n’avais aucune idée de ce que je faisais ici. Un homme massif avec des mains comme des battoirs poussa un cri d’énervement et se servit de ses larges épaules pour se frayer un chemin jusqu’à moi. Il s’agenouilla pour se mettre à ma hauteur, plaçant son visage à quelques centimètres seulement du mien. Sa peau burinée par des années de travail sous le soleil était tannée comme du vieux cuir.

-       Allons, calmons nous, c’est un foutu malentendu sur le…

Il m’interrompit d’un habile crachat qu’il accompagna pour la forme d’un coup de pied, certes rapide, mais placé dans mes parties les plus chères. J’étouffais un cri aigu, faisant naître des sourires mauvais sur les visages idiots de mes tortionnaires.

Tentant de trouver un semblant de calme au plus profond de moi, je fouillais ma mémoire. Que s’était-il passé ? La dernière chose que je me souvenais avoir vu se résumait au visage radieux de Sophie, ma jeune épouse qui pour fêter notre première année de mariage avait décidé de m’organiser un voyage surprise. Nous étions à Orly, terminal W, en route pour une destination inconnue. Pour préserver le mystère, elle me banda les yeux et me boucha les oreilles alors qu’un dernier sourire espiègle barrait son visage.

Une fois à bord, elle fut aux petits soins pour moi. Durant les longues heures que dura le vol, elle fit couler à flot champagne, kir, vodka, et un cocktail à base de téquila particulièrement savoureux. Alors que je trouvais le temps long malgré l’euphorie de l’alcool, elle revint d’une promenade aux toilettes avec une surprise. Elle plaça sur ma langue un cachet et me le fit avaler avec une rasade d’eau. Je ne saurais dire qui du cachet ou de l’eau eu raison de moi, mais les ténèbres dans lesquelles je stagnais se transformèrent soudain en un delirium aux couleurs éclatantes dans lequel le temps n’avait plus d’accroche.

Quelques heures ou quelques jours plus tard, je me retrouvais nu comme un nouveau né, au centre d’un village mexicain et prêt à me faire lyncher. Ce qu’il s’est passé durant ce laps de temps, je l’ignore aujourd’hui encore. Toujours est-il que l’ire des autochtones semble avoir été déclenchée par une suite de malentendus. Tout d’abord mon réveil. Étrangement euphorique, je me suis retrouvé face à mon reflet. Sale, miteux et barbu comme un ours. Évidemment, j’éclatais de rire. D’instinct je me dirigeais alors vers un lit que je savais être là. Je m’y étalais de tout mon long, heureux de trouver à mes côtés un corps aux courbes aguicheuses. Et sûrement aurais-je pu passer un agréable moment sans l’arrivée de cet homme – à n’en pas douter l’amant de la femme sur laquelle je me trouvais allongé – qui très vite s’en pris à ma personne.

J’eu beau tenter de m’agripper au giron de la dame, rien n’y fit. Sa force était colossale. Il me traina à travers une série de couloirs et de ruelles plus poussiéreuses les unes que les autres, tout en ameutant la populace locale à grands cris. Le soleil couchant dessinait d’étranges formes orangées sur le sol. Nous parvînmes à une place au centre de laquelle trônait une fontaine délabrée où stagnait une eau croupissante dont les effluves nauséabonds parvenaient jusqu’à mes narines. C’est là que me fut arraché mon caleçon, dernier vestige de mon humanité.

Alors que les cris s’intensifiaient, que les coups pleuvaient plus fréquemment et que je me voyais déjà pendu haut et court pour un crime dont j’ignorais tout, mon salut arriva dans un bruit de tonnerre. La foule s’immobilisa et s’écarta. Traversant un mur de poussière, je vis apparaître la chose la plus improbable qui soit. Une sorte de cowboy Chicanos, mélange étrange et effrayant entre Chuck Norris et Hulk Hogan, était assit sur une moto gigantesque, étincelante malgré la poussière. Une partie de son visage était voilé par un masque de catch rouge et noir qui laissait malgré tout deviner la partie calcinée de sa face.

Ignorant les cris de protestation de la foule, il vînt jusqu’à moi pour m’expliquer dans un français approximatif que c’était Sophie, ma femme, qui l’envoyait. Alors qu’il fouillait dans un sac pour me donner des affaires de change, l’homme massif qui m’avait craché dessus se jeta sur mon sauveur. Il ne put faire que deux pas. D’un mouvement si vif que je ne le perçu pas, le cowboy avait dégainé une sorte de colt au long canon dont le tir précis arracha la rotule de l’agresseur dans un grondement effroyable. Ce dernier laissa place au silence, uniquement troublé par les légères rafales de vent et le cri continu que poussait l’unijambiste.

« - Le prochain qui bouge, c’est dans la tête », dit-il calmement en rangeant son arme, avant de se reprendre et de répéter en espagnol.

Tout aussi calmement, il me poussa jusqu’à sa moto qu’il m’aida à enjamber avant de démarrer, noyant le village et ses horreurs dans une chape de poussière. Et alors que nous nous éloignions, accompagnés du rugissement réconfortant du moteur, il se pencha vers moi pour me glisser avec un ton ironique que je ne lui aurais pas deviné :

«  - Alors le français, bon voyage au Mexique ? »

Sacrés vacances, me dis-je…

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