VERSION REVU Les mémoires plus ou moins vrai de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 10eme Partie

Remi Campana

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10. LE SECOND CHEF-D’OEUVRE DE MAITRE SCARABEE

Comme le temps présent est une ombre, beaucoup de choses dans la vie m’ont fait du mal ;

mais le plus brutal reste peut-être mon beau royaume de France. Comme aujourd’hui vous

l’avez abîmé, vous, messieurs les notables, nouveaux Artaban, aux paroles non plus

chrétiennes mais universelles. Par vos mensonges, vous êtes passés maîtres en la matière,

vous, les fossoyeurs de la pensée libertaire. Il faut dire qu’à l’origine, l’histoire vous a bien

aidés ! En éternels usuriers, vous avez laissé vos défroques de côté et, à votre tour, vous vous

êtes grimés de brocardes et de soie héritées des vieux rois fatigués. Et vous savez y faire pour

que les petits jubilent devant vos mensonges.

Même avec un seau d’eau, on ne vous décollera plus.

Quant au bon peuple, que pouvons-nous en espérer ? Des dégénérés que vous avez bien aidés,

crétinisés à l’ extrême devant leurs télés. Des eunuques, des petits coqs à la gouaille aphone.

Aussi méprisables que les voleurs qu’ils condamnent ; et de moi, il ne reste plus qu’un

anarchiste en charentaises, un amant péteux jamais remis de sa margot. Mais où se trouve le

plus grand mal, le méprisé qui se forge un caractère a contrario, par dépit amoureux, ou les

grands qui vous brisent l’échine, tout en vous imposant leur propre vertu, sans vous avoir

demandé le moindre consentement ? Mais il est temps que je revienne à mon histoire.

Avec l’argent gagné au chapitre sept, partagé par Dupa Grave, j’avais graissé la patte à

quelques fonctionnaires à la morale légère. Grâce à eux, Lada se trouvait légalisée, française

et réellement libre ; dorénavant je pouvais prendre vis-à-vis d’elle une cure de longue

distance. Quant à moi, la droiture de la vie m’avait fait basculer dans l’arnaque, et j’en

dormais du sommeil du juste, rêvassant à quelques mauvais coups dont seul Scarabée avait le

secret.

Allongé dans un sofa, il laissait le tic-tac des heures ronronner à son oreille. Malheureusement

pour lui, le téléphone sonna. Surpris, il en perdit l’équilibre ; et ses grosses fesses tâtèrent du

plancher. Grommelant comme un charretier, remettant sa bedaine en place, par mille

pirouettes, il réussit à se relever sur ses gambettes et décrocha. Son ami Dupa le prévenait que

dans une heure, il serait là. Il se frottait déjà les mains, car il lui restait très peu de temps pour

peaufiner l’ensemble.

Détendu, il s’apprêta, grimaça une fois ou deux devant le miroir, puis rajusta son maquillage.

Encore une dernière vocalise, pour la touche finale ; et la voix se trouvait en place. Grâce à

tous ces artifices, il ressemblait à un vieillard des plus respectables. Sortant les toasts et les

alcools du frigo, il n’avait plus qu’à patienter.

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La location de l’appartement pour l’affaire était bien trouvée, un peu chère certes, mais très

XVIIIème et, de toutes manières, on n’appâtait pas le « trimard » avec du miel. Il ne lui restait

qu’une dizaine de minutes à attendre, et mademoiselle adrénaline commençait à faire des

siennes dans sa tête. Au même moment, le carillon sonna onze heures trente et la porte

s’ouvrit : Louis-Phillipette, le président bourgeois, était là.

Sans même un bonjour, accompagné de son conseiller (en la personne de Dupa Grave), il

demanda à voir les oeuvres d’art. S’asseyant face à lui, avec le regard d’un inquisiteur, il se

mit à contempler les barbouilles que lui présentait Scarabée;

- Dites-moi, c’est joli ça, c’est quoi ?

- Un Rembrandt, Monsieur le président.

- Ah oui, Rembrandt, j’aime la peinture du XIXème, mais vous n’avez rien de plus italien, de

plus noble qu’un Espagnol ?

- Humm, oui, comme un petit Léonard ou Raphaël ? (Scarabée lui sourit, tout en lui sortant ce

qu’il désirait).

- Ah oui, les futuristes… C’est bien, c’est très bien ça, et ça ne fait pas trop moyen-âgeux.

Pendant ce temps, au creux de l’oreille, Dupa le poussait à la consommation.

- Souhaitez-vous un café ? demanda notre héros de papier.

- Oui, je veux bien, mais seulement s’il s’agit d’un grand cru, car comme vous le savez, je

suis un spécialiste exclusivement dans les grands noms, et pardonnez mon ignorance pour les

vins de table…

Et tous trois se mirent à rire à cette boutade, mais certainement pas pour les mêmes raisons.

Avec diplomatie, Scarabée lui répondit :

- Grand dame, Monsieur le Président, je vous comprends ! Mais ici, il s’agit du célèbre

« Bourbon pointu», l’un des cafés les plus chers au monde.

Le président, en homme du monde, sut retenir deux mots qu’il affectionnait particulièrement

« Bourbon » et « cher »; et de ce fait sut apprécier ce breuvage noir de premier prix, sorti tout

droit de la supérette d’en face. Heureux et rassasié par cette marque de respect dû à sa chère

personne, il consentit à ce que Scarabée l’appelât désormais familièrement « Phillipette ».

- Dites-moi, je cogite, je cogite… Le Raphaël est bien… Petit mais bien... Le Léonard est

moins bien… Oui, moins bien, mais plus grand… En plus, ne trouvez-vous pas que c’est

dommage, oui, dommage que le papier soit un peu trop jauni-jauni, et qu’il sente le vieux

comme mon prédécesseur?

C’est drôle comme il avait besoin de tout répéter deux fois, mais il est vrai qu’en politique,

une bonne réponse est une réponse qui dure longtemps, si longtemps qu’elle vous permet d’en

faire oublier la question. Mais ici ça devenait une vraie torture. En plus, il semblait si petit en

tout que ses prédécesseurs en sortaient grandis. Peut-être avait-il été mazouté sur quelque

plage normande, dès son enfance, pour sembler aussi odieux ?

- Mais dites-moi, vous me répondez quand je vous parle ?

Scarabée sortit de sa léthargie, sous un regard réprobateur de notre nain costumé en cartier :

- Eh bien, prenez les deux, « Phillipette ».

- Les deux, les deux, c’est une idée, mais non… Lequel est le plus cher, car en temps de crise,

même moi je dois faire des économies ; et en plus, en sortant d’ici, je dois m’acheter ma

dernière montre « Rolex ».

Donc vous comprendrez que je sois un peu gêné ?

- Bien entendu ; et comme vous l’avez si bien fait remarqué, le Léonard est plus grand, donc

le prix va avec.

- ça, c’est bien, c’est très bien, ma Borgia va adorer, elle qui aime spéculer ; dommage qu’il

ne soit pas en couleur. Mais, je le prends quand même, si vous m’assurez que je ferai

« esthète » avec.

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- Je vous assure qu’avec un « Léonard », même la reine d’Angleterre vous jalousera.

- La reine d’Angleterre ? (à ce moment-là, il se leva en marquant un silence, leva le nez en

direction du plafond, et passa sa main droite dans la boutonnière). Battre la niaque à la

vieille, c’est très bien ça, oui, très bien. Monsieur De Athanasius (il s’agissait du nom

d’emprunt de Dupa), payez notre ami, oui, payez-le ; et terminez les formalités, moi, je suis

pressé, mon bébé d’amour doit m’attendre à Eurodisney.

Malgré ces dépenses, il ne perdait pas le nord, le vieux grigou. Inviter sa belle, dans une boîte

qui vous embouche, quel manque de goût ! Par décence, je tairai le prix du dessin, vu que

nous fûmes grassement payés par vous, messieurs les contribuables et croyez- moi, pour une

oeuvre de ma main, je l’avais bien capitalisée.

Par la fenêtre, discrètement, nous le regardâmes s’en aller, le petit « abricot-sec ». Il sautillait

et sifflotait gaiement, son dessin en main, Ils nous donnaient même l’impression d’être

heureux. Mais très vite, son air naturel reprit le dessus : caractériel et renfrogné, il enguirlanda

sans raison le personnel qui l’attendait, s’installant dans sa voiture de poupée, il donna ensuite

l’ordre de démarrer.

- Bonyousse! Eh bien, mon lapin, jamais je n’aurais cru qu’on arriverait à lui faire bénène, à

ce pruneau-là. Eh bien, « félicitasias », tu l’as bien réussis ton deuxième chef-d’oeuvre,

dommage qu’il manque quelques belettes pour fêter ça !

Cette fois-ci, je laissai Dupa me donner sa tape amicale, trop ému, par ce que je venais

d’entendre, j’avais enfin réussi ! Nous fîmes quand même un petit gueuleton, avec les toasts et

les alcools que j’avais prévu en début d’histoire. Rassasiés et éméchés, nous pensions déjà à

quelques nouvelles pitreries, quand le téléphone de mon acolyte sonna.

C’était lui ! Affolé, le pied à terre, je pensais qu’on avait échoué.

-Oui… De quoi, Monsieur le Président ?… Oui, bien sûr, je comprends… Il n’y a pas de

problème, je resterais discret… Oui… Non, aucune gêne, ça arrive… Oui, bien sûr, mes

respects, Monsieur le Président….

Candide, je demandai si nous devions fuir ou rembourser notre forfaiture. Mon large ami, en

éclatant de rire, me répondit :

- Mais pas du tout, mon « canaillion », il nous prend le Raphaël et le Rembrandt !

Là, je dois reconnaître que j’étais perdu… L’explication, en réalité était des plus simples :

notre roublard, après quelques tours de montagnes russes, eut la bonne idée d’amener sa

princesse dans un restaurant dans lequel il avait quelques actions (ce qui lui permettait

d’éviter de payer l’adition). Un peu souffreteux, il lui déballa son cadeau pour lui déclamer sa

flamme et sa demande en mariage, et là : patatraque ! Je vous laisse imaginer la suite…

Résultat de l’opération : un costume à changer, sa belle amie éclaboussée et son dessin, foutu

par l’acidité du renvoi, dut prendre la direction de la poubelle. Et pour clôturer le chapitre, une

facture salée à renouveler en cadeaux de toutes sortes pour se faire pardonner auprès de sa

belle.

Voilà comment le malheur des uns fit notre bonheur.(a suivre)

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