Vert

Nathan Noirh

Les creux de ma peine et de ma joie. Ses reins.

J'ai pas changé de verre. Le récipient n'est pas si important en lui-même tant que le contenu vient de toi. Je crois même avoir oublié d'où venait ce verre. Je ne t'ai pas oublié, je ne t'ai jamais connu. J'ai rêvé d'embrasser tes mains et tes épaules, mes rêves n'ont jamais été aussi mouillés. Ta peau ton humeur ton vert. T'a pas changé de vert. Changes pas de vert. Tes yeux me pètent au visage à chaque fois, je change de sourire, je change de regard. Tu déconnes et tu te changes devant moi. Je me ressers un verre de tes reins, les creux de ma peine et de ma joie. Les creux de ma peine et de ma joie. Encore ? T'a pas besoin de plus de mots et plus de lettres. T'a besoin de plus de moi. Je peux changer de style de phrase aussi vite que tu changes de lingerie. Imagines comment je souris à l'avance quand je laisse traîner mes phrases. Ma diction n'a jamais été aussi lente que ma succion entre tes cuisses.

L'envers de toi c'est moi dans le décor. Je peux traîner ma course, je peux traîner ma main. Tu sais très bien où est-ce qu'elle va traîner. J'ai pas envie de regarder, j'ai envie de te sentir. Tu crois que je peux jouir de la bouche et de mes yeux en même temps sans faire d'arrêt cardiaque ? Tu me fais dire de ces trucs. Apprends-moi. Que je me délecte de ta voix et de mon silence. Mon silence pourrait durer des heures quand tu ne dit pas tout ce que tu devrais me dire. Y'a tout à entendre, tu as tout à dire. J'ai les mains là, devant toi pour tout ramasser. Quand t'auras fini de me tuer verbalement, mes mains et moi on ramassera l'évidence visqueuse rouge, celle qui bat celle qui saigne même quand ça va. Je noircis des pages entières pour ne pas t'avoir rencontré encore. Pour ne pas t'avoir prise tout entière. Toute l'encre jaillissante et dégoulinante suffirait à noyer cent femmes, cent amantes et cent éperdues. Cent fois j'écrirais et cent fois je changerais de mains, les crampes galopantes et les jambes tremblantes pour les va-et-vient de mon souffle. Sens-tu ta nuque, et la brise de mon râle s'écraser contre elle ? Écrases donc mes cris et mes bruits, car l'ardente envie n'a pas finie de jaillir et de se taire.

Y'a du toi, y'a du tu, y'a trop de moi encore. J'ai même pas de nom pour toi, et surtout rien pour nous. Ma cigarette me fume et la braise me brûle quand tu n'es pas là pour user mes lèvres. Boris disait d'arrêter quand la chair la peau et le regard s'éteindraient. Vian n'a rien dit à propos du reste. Je n'ai rien pour enfermer le temps et rien non plus pour le raccourcir. J'ai toutes les bouteilles du monde s'il le faut mais ton nectar est le seul que je recherche. La poésie c'est pas mon fort et c'est seulement quand je ne vois personne que je pense à toi. La poésie c'est pas moi, c'est pas mon texte. La poésie ce serait d'avoir crevé sans t'avoir vu au moins une fois. Je veux pas te voir pour ne pas mourir, je ne peux pas te voir non plus pour tomber amoureux. La poésie c'est pas mon fort. Je veux te voir pour savoir que tu existes. Le reste j'en fais mon affaire. Mon lit le tien, la rue les voitures, toutes nos petites affaires. J'ai des défauts plein la muse et la capacité émotionnelle inexistante depuis ma naissance. Ma fierté vient de mes pensées pour toi, l'invisible et le certain, les cicatrices et la douleur, l'accouchement de ta maturité et la mort de ton innocence. Tu verras je suis bon pour absorber tout ce qui dégouline. Je suis prêt à boire, prêt à m'enivrer. J'ai pas changé de vert. Pour toi c'est toujours le même. On s'en fou du verre. 

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